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Robert a poussé un gentil gloussement printanier.

— Vous êtes amusant, mais pourquoi ne venez-vous pas vous installer à mon hôtel ? Le service y est impeccable.

— Parce que mes moyens d’existence ne me permettent pas de fréquenter les palaces…

Il a haussé les épaules.

— Nous en reparlerons…

Il n’arrivait pas à se tirer. Ça le démangeait d’assister à ma toilette. Je commençais à en avoir sérieusement classe… J’ai été sur le point de l’envoyer au bain en mes lieux et place, mais la pensée des dix mille lires qu’il m’avait prêtées m’a retenu.

— Je ne vous demande qu’un instant.

A regret il s’est évacué. J’ai poussé la lourde et mis le verrou.

Si le gars n’avait pas été aussi irritant avec ses petites manières de fiotes, j’aurais peut-être trouvé l’aventure cocasse ; mais, franchement, il me déplaisait et je n’ai jamais pu supporter longtemps les mecs qui me débecquetent à ce point.

Brusquement j’ai eu une idée. Mais alors une idée merveilleuse. Une de celles qui comptent dans l’histoire d’un cerveau de deux livres !

Je me suis rasé ; j’ai sorti mon falzard de sous le matelas, j’ai enfilé le sweater jaune citron et je me suis peigné savamment.

Ça boumait… J’étais beau gosse, avec les traits bien reposés, le visage bruni par le mahomet, des sapes de bon aloi…

J’ai enfoui mon argent dans ma poche revolver et je suis descendu rejoindre la nave.

Il était assis dans le fauteuil bancal du hall et feuilletait la Gazetta.

— Vous êtes ravissant ! s’est-il écrié, satisfait…

Sans répondre, je l’ai entraîné vers la sortie. La petite rue était grouillante de trèpe. Une odeur de vin aigre et de moisissure y flottait, compliquée de remugles d’huile chaude. Les habitants jacassaient comme des perruches.

Nous avons gagné la place San Marco d’un pas mou et heureux. Je cherchais comment attaquer, mais c’était duraille, j’avais peur d’aller trop vite en besogne d’une part et, d’autre part, je comprenais que, d’une seconde à l’autre, la lope allait déguster le plus beau crochet du droit que j’avais jamais balancé.

J’y suis allé de ma tirade au milieu de la place inondée de soleil, avec tout autour de nous une nuée de pigeons.

— Robert, je suis un garçon direct ; je ne voudrais pas vous choquer, mais…

Il a pâli, car il a cru que j’allais lui parler de l’orthodoxie de mes mœurs. Le pauvre chérubin se disait qu’il était marron et qu’il m’avait fait sa cour pour ballepeau.

Aussi mes paroles lui ont-elles produit l’effet d’un seau de crème fouettée sous le dargeot d’un mec souffrant d’hémorroïdes.

— Ecoutez, vous me plaisez beaucoup. Je sens qu’une grande affection se prépare pour nous deux…

Tu parles, Charles !

Il bichait, le gnace ! Emoustillé à bloc.

— Seulement je ne peux plus souffrir Venise, j’en ai tellement bavé là que cette ville m’est devenue odieuse… Rien ne vous attache ici ?

— Rien, a-t-il fait avec empressement. Au contraire, je pensais partir pour Florence…

— Alors, partons…

— Quand ?

— Tout de suite…

— Eh bien ! vous, mon chou, vous êtes le garçon des décisions promptes !

— Vous ne saurez jamais à quel point c’est vrai, ai-je murmuré sincèrement…

C’était pas un compliqué. Il aimait la vie et, par conséquent, l’imprévu.

— Bon… Le temps de passer à mon hôtel boucler mes valises et payer ma note… Rendez-vous sur l’embarcadère de San Marco dans une heure… Allez chercher vos bagages.

— Entendu.

Je lui ai filé un de ces coups de sabord qui ferait fondre une bombe glacée.

— Vous êtes un type bien, Robert…

Il m’a souri languissamment. Il ne doutait pas une seconde d’avoir fait ma conquête. J’étais son lion superbe et généreux…

Je l’ai regardé s’éloigner de sa démarche sautillante de gonzesse.

Il y a vraiment des mecs qui foncent vers leur destin tête baissée.

Une heure plus tard, ma petite valise posée à côté de moi, je regardais les eaux vert sale du grand canal sur lesquelles flottaient des bouchons de paille, des légumes pourris et des chats crevés. Fallait vraiment bouffer du nuage pour trouver de la poésie à cette baille répugnante. Un peu partout dans le monde, à la même heure, des cinoqués mouillaient en zieutant un chromo du paysage…

— Ohé ! a crié ma michetonne.

« Elle » se radinait sur un canot à moteur aux cuivres étincelants.

Un larbin de son hôtel pilotait l’embarcation.

J’ai pris place à bord.

— Nous allons à la gare ? ai-je demandé.

Il a sourcillé.

— Pourquoi à la gare ? J’ai ma voiture…

— Ah ! bon…

Dans un sens, ça m’arrangeait rudement…

Sa tire, c’était pas du tréteau de la Marne, je vous prie de le croire. Il s’était payé une Alfa Romeo, Rapin… Du bolide de classe qui tenait la route comme un rouleau compresseur. Seulement, avec cette mécanique on cognait le cent quatre-vingts en ligne droite sans même s’en apercevoir.

J’ai pris place à ses côtés. Il a mis la radio et, sur un fond de vent, un type s’est mis à baver du sirop. Ça créait une ambiance du tonnerre. Le soleil, la mer… J’avais l’impression de vadrouiller dans un film de la Paramount.

— Vous rentrez bientôt en France ? ai-je demandé.

Il conduisait bien, mais d’une manière un peu crispée. Au volant, il perdait de son affabilité. Deux plis en forme de V surmontaient ses sourcils et il se mordillait la lèvre inférieure.

— Rien ne me presse, a-t-il répondu au bout de quelques secondes… L’essentiel est que j’y sois avant le 15.

— Personne ne vous attend ?

— Non, personne… Je n’ai plus de famille et j’ai dit au revoir à mes amis parisiens…

C’était plus doux à entendre que la chanson du glandouillard qui grattait son jambon devant le micro de Milano.

La route était sillonnée de voitures de tout poil. Ça ne faisait pas ma balle.

Le mieux était de laisser flotter les. rubans et d’attendre mon heure, à condition toutefois qu’elle ne tarde pas trop à sonner, because l’autre endoffé allait me faire le grand jeu d’ici peu !

Nous avons traversé de petites agglomérations chauffées à blanc par le soleil de l’Adriatique. Des mômes guenilleurs cavalaient le long de la guindé dans les rues encombrées en tendant leurs mains sales…

— Le pays de la sébile ! ai-je murmuré.

Rapin a eu un petit sourire mesquin.

— Ici, tout le monde est prêt à faire n’importe quoi pour n’importe quoi. C’est un beau pays.

Le salaud ! Il m’énervait de plus en plus…

A midi on s’est arrêté pour bouffer dans un petit établissement pour pigeons. Il a commencé sérieusement à me faire la cour. L’ambiance lui chavirait la terrine, à ce chéri… Je me suis contenu de mon mieux, répondant à ses pressions de main par des sourires noyés qui l’humectaient.

Mais ma décision a été vite prise…

En sortant du restau, je lui ai dit :

— Robert, ce qui serait aux pommes maintenant, ce serait d’aller faire un brin de sieste dans une calanque tranquille, non ?

L’émotion lui a coloré la frime. Il a viré au rose bonbon.

— Vous avez des idées merveilleuses…