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Au pifomètre, je l’ai guidé sur le rivage par des chemins nus, réduits en fine poudre blanche par l’immense roue du soleil. La bagnole tanguait dans les ornières.

Le site était sauvage, pelé, désert… Il n’y avait que la mer en face de nous, verte et intense comme de l’eau en ébullition.

— Nous sommes terriblement seuls, a roucoulé Robert…

— Complètement seuls, Robert…

— N’est-ce pas merveilleux ?

— Et comment !

On a abandonné la guindé parce que le chemin se transformait en un sentier impossible piquant droit sur une plage de fins galets.

— Je prends mon maillot de bain ? a-t-il demandé.

— Pas la peine…

Non, franchement, ça ne valait pas le coup.

L’air brûlait. Aussi loin que portaient les yeux, on ne voyait que cette plage décolorée, mordue par l’eau verte. Personne ; la solitude était totale.

J’ai respiré à pleins poumons, mais sans tirer de cette profonde aspiration la tonifiante impression que j’espérais.

J’ai ramassé une grosse pierre ronde de forme bizarre, étranglée en son milieu comme le sont certaines pommes de terre.

Rapin était devant moi, les tifs au vent… Il semblait heureux.

Moi je n’avais pas de haine, j’étais calme comme un bon ouvrier qui accomplit un boulot pour lequel il est né.

J’ai rejeté le bras en arrière, je me suis cambré comme un lanceur de disque et de toutes mes forces je lui ai appliqué le caillou sur la nuque.

La syncope a été instantanée. Il s’est écroulé en avant, d’un bloc.

J’ai lâché la pierre et tâté la blessure d’un doigt peureux.

C’était tout mou à la base de son crâne. Il était « out » pour toujours…

La sueur ruisselait sur mon visage. Ça ne venait pas de l’émotion — j’étais d’un calme olympien — mais de cette chaleur torride. Il n’y avait pas un oiseau au ciel, pas une voile sur la mer. J’avais la curieuse sensation d’être le dernier homme vivant sur cette planète à la con. Ça me faisait tout drôle et, dans le fond, c’était presque exaltant.

J’ai regardé autour de moi. Un peu en arrière, à environ trente mètres se dressait un monticule de rochers roses. J’ai chopé Rapin par un bras et je l’ai traîné jusque-là. Puis je me suis attaqué à un sale turbin : le déloquer. Il n’avait par lerche de fringues sur lui : un sweater blanc, un pantalon et un slip.

J’ai posé sa tête sur une large pierre plate puis, bandant mes muscles, j’ai saisi un rocher de faible dimension. Je l’ai soulevé de cinquante centimètres et l’ai laissé choir sur la bobine du gars. Ça a giclé… J’ai repris le rocher pour voir. Il fallait que je voie, non par sadisme, mais parce que mon plan exigeait que je le défigure… De ce côté-là je pouvais être peinard : sa gueule avait éclaté comme une noisette. Il y avait une espèce d’infâme bouillie rouge au milieu de laquelle se dressaient des touffes de cheveux blonds.

Ça m’a un peu dégoûté. Presto j’ai remis le rocher sur cette chose ignoble. Ensuite j’ai réuni un tas de ces brindilles de bois que la mer rejette sur les plages, j’ai posé le sweater, le futal et le slip dessus et j’y ai mis le feu. Avec cette chaleur on aurait foutu le feu à un cube de glace. Ça s’est mis à crépiter et à flamber comme une torche…

Lorsque le brasier a été intense, j’ai foutu les deux mains de Rapin dans les flammes. Une vilaine odeur de cochon grillé s’est répandue à la ronde. J’avais bien fait de choisir un coin solitaire, car cette odeur devait aller loin…

Il fallait que je procède ainsi… Quand le feu est tombé, il ne restait des fringues qu’un tas de cendres noires. Les avant-bras du mort étaient noircis également.

Ses pognes boursouflées, craquelées, avaient éclaté comme des patates dans un four. Pour les empreintes, c’était scié maintenant. J’ai regardé le tableau. Pour le voir, fallait venir dessus carrément. D’après moi, sauf caprice du hasard, naturellement, on ne devait pas trouver le Roberto avant plusieurs jours. Avec ce soleil ardent, ce qui resterait alors de sa pomme ne serait pas racontable. Pour l’identification, les carabiniers auraient le bonjour…

Je me suis déloqué et j’ai piqué une tronche dans la baille. La flotte était chaude. J’ai fait la planche. J’étais rudement bien, comme sur un lit de plumes mouvant, avec le ciel dans les yeux, d’un bleu presque blanc.

Quand j’ai été bien reposé, je me suis resapé et j’ai rejoint la bagnole…

En la voyant, la réaction s’est faite. J’ai eu les jetons. Ça a été une sorte de vilaine panique que j’avais peine à maîtriser. Cette guindé posée au milieu du paysage lunaire se voyait comme le mont Saint-Michel. Fallait que je me taille, et vite !

J’ai pris place derrière le volant et j’ai tiré sur le démarreur que j’avais bien repéré… Le moteur a toussé mais c’est tout. J’ai cru que mes crins allaient se lever tout droit sur ma terrine. D’un seul coup, je venais de piger : il y avait une clé de contact et elle était restée dans le pantalon de Robert ! Je n’avais pas pensé à l’en retirer. Maintenant je revoyais le geste de la lope en descendant de voiture. Un geste automatique que tous les conducteurs ont.

Je ne pouvais pas partir sans cette putain de clé et la trouille me faisait grelotter. Je ne me sentais pas le courage d’affronter la charogne qui commençait de pourrir sur la plage de galets… Et pourtant !

J’y suis retourné en courant. J’avais le cœur qui s’était décroché et qui vagabondait dans ma poitrine comme un môme en récréation.

A mon approche, une escadrille de mouches vertes s’est envolée en rouspétant. J’étais l’intrus, je les dérangeais dans leur banquet. Y avait menu de gala et je les chassais en pleine festivité.

Quand elles ont pigé que c’était pas à elles que j’en avais elles se sont rabattues sur le corps nu.

Fébrilement j’ai farfouillé dans les cendres. Ça puait ! Cette odeur-là, même si on vous coulait du plâtre de Paris dans les trous de nez, vous la sentiriez. On la renifle pas seulement avec son naze, mais avec toute sa surface portante. Elle entre en vous par vos pores…

La clé était là, bleuie par le feu… Je m’en suis saisi et j’ai cavalé à l’Alfa. En démarrant je me suis vu dans le rétroviseur : j’étais rouge comme une pivoine avec des yeux fous qui ont augmenté ma trouille…

J’ai refait en sens inverse le chemin défoncé. La bagnole sautait comme une chèvre. A chaque instant je me cognais la tête au pare-brise. Rouler à cent dans un chemin pareil, fallait être dingue et ne pas avoir pitié des amortisseurs. C’était un truc à faire péter les lames de ressort comme des brides de soutien choses dans un ciné de quartier ! Mais je m’en suis sorti tout de même. Bientôt la grand-route a été en vue. J’ai stoppé derrière un buisson afin de laisser s’écouler le flot de bagnoles qui vadrouillaient. Lorsque à droite et à gauche ça a été dégagé j’ai mis toute la sauce…

La bagnole est redevenue silencieuse. Personne ne m’avait vu…

J’ai ralenti et mis la radio… Une gonzesse chantait en rital un air made in U.S.A. Le bonheur ambiant m’est retombé sur les épaules, avec ses couleurs tendres, sa chaleur, ses bruits de fête…

J’étais content de moi. En un clin d’œil je venais de trouver du pognon, une bagnole et… une identité. Le gros lot, quoi !

Maintenant, à condition de prendre certaines précautions j’étais sorti de l’auberge pour de bon !

CHAPITRE III

J’ai roulé comme ça, au hasard, une partie de l’après-midi. Instinctivement je me suis écarté de la mer. J’allais au petit bonheur. Vers quatre heures je me suis trouvé dans les faubourgs de Bologne. Le moment était venu de prendre une décision. J’ai stoppé et je me suis mis à inventorier les valoches. Souvenez-vous que Robert Rapin ne risquait pas de se retrouver avec le fignedé à l’air. C’était inouï le nombre de costars qu’il possédait. Tous plus incroyables les uns que les autres. Sa prédilection allait aux étoffes violines. Ma parole il avait dû avoir un évêque dans ses ascendants ! Ça expliquait pas mal de choses !