Outre la garde-robe, il y avait des tas d’objets de toilette en cristal, des flacons de parfum, des livres érotiques achetés en Italie, un coffret contenant quelques bijoux d’homme et… un revolver. Ça n’était pas le gentil joujou qu’on pouvait croire, mais un solide parabellum de calibre 38. Avec une pareille mécanique à secouer le paletot, il devait se sentir plus tranquille pour grimper des petits gars, Rapin. Notez qu’en fin de compte son arme ne lui avait pas servi à grand-chose…
Je l’ai glissée sous le coussin de cuir servant de dossier. J’aimais bien avoir un machin comme ça à portée de main. Je me sentais moins seulâbre.
J’ai trouvé les fafs et l’artiche du mec dans la poche à soufflet de sa portière. Son passeport d’abord, puis un paquet de pognozoff plié dans une feuille de la Stampa. J’ai émis un petit sifflement satisfait. Il y avait là-dedans deux cent mille lires. Cent billets de cinq mille balles français et quatre-vingts dollars en coupures de dix. Près de sept cents tickets en tout. Je pouvais voir venir.
J’ai réparti l’artiche dans mes différentes poches. Ensuite j’ai examiné la photo du passeport. Bien sûr je ne ressemblais pas à cette image, pourtant, en faisant décolorer mes crins et raser mes charmeuses, en m’appliquant à pincer les lèvres, je croyais fermement qu’aucun douanier ne trouverait à redire.
J’ai remis le passeport dans la poche à soufflet et c’est alors que, tout au fond, mes doigts ont rencontré quelque chose. C’était un carnet de chèques et un carnet de comptes bancaires de la Société Générale, Agence Bourse, à Paris.
Le carnet de chèques n’avait eu qu’une souche utilisée, sur le volet fixe j’ai lu : Moi, 600.000. Ça faisait un peu Sacha Guitry… J’ai feuilleté le carnet de banque. La somme terminale de la colonne crédit m’a fait soupirer : Dix millions quatre cent dix ! Une petite fortune !
Et puis ça m’a foutu en renaud de penser qu’une pareille somme allait roupiller pendant des mois sur ce compte avant de finir dans la poche trouée de l’Etat !
Enfin, peut-être qu’avec un peu de matière grise j’arriverais à lui trouver un père adoptif. Mais ça ne pressait pas. Mon plan consistait à me terrer dans un petit trou de province afin d’y lire les baveux en toute tranquillité. Si d’ici une huitaine de jours on n’avait pas retrouvé le cadavre de Rapin je pourrais penser à l’avenir d’une façon vraiment sérieuse.
Fort de cette décision je suis entré dans Bologne.
Je n’ai pas eu de peine à dégauchir un merlan chic. Son salon ressemblait à un palais florentin. Y avait du marbre rose et des glaces décorées partout.
Je lui ai expliqué que je voulais me faire décolorer les tifs. Je jouais à la pédale comme un bon acteur de vaudeville. Fallait que je me glisse dans la peau du personnage. Provisoirement je m’appelais Robert Rapin (les initiales du bonheur, avait dit cette pauvre guêpe !) et ça impliquait certaines servitudes !
Sans mes baffies et avec les cheveux blonds je faisais plus tante que mon modèle. J’étais tranquille : à moins d’avoir connu intimement Rapin, aucun zigoto ne pourrait se gourrer de la substitution. Quand j’y pensais c’était une veine que ma victime n’ait plus de parents. Je l’avais cueillie à un tournant de sa vie. Un tournant de vie, c’est le point idéal pour donner la mort. Je lui avais fait ce cadeau au bon moment.
Qui sait ? J’avais peut-être réalisé, sans le vouloir vraiment, le crime parfait.
J’ai cassé la graine à Bologne, de fort bon appétit. Je ne pensais plus au cadavre allongé là-bas sur la plage, la tête sous un rocher et les pognes brûlées. Ou alors, si j’y songeais, c’était comme à un mauvais film visionné dans un moment d’ennui.
Après la bouffe j’ai eu envie de me farcir une nana. Ça faisait un sacré bout de temps que je m’accrochais la grande ceinture. J’avais des arriérés à régler…
Avec une Alfa on ne reste jamais veuf longtemps, surtout en Italie. J’ai dragué un peu dans le centre de la ville, coulant des œillades assassines aux souris en vadrouille. L’une d’elles m’a souri. J’ai stoppé, ouvert la portière… Elle a grimpé sans chichi. C’était une belle brune à la peau mate. Elle sentait bon et on voyait des poils noirs en tortillon sous ses bas clairs. D’habitude j’aime pas les gonzesses trop velues ; moi je suis à bloc pour la féminité intégrale ; mais celle-ci m’excitait.
Elle portait une robe rouge, copieusement décolletée et un boléro vert amande ! Avec ça à côté de moi j’avais l’impression de pavoiser pour le carnaval de Nice. Je lui ai gentiment paluché le réchaud pour suppléer à ma carence de conversation.
Un peu plus tard, je l’ai embarquée dans un coin d’ombre et l’ai troussée comme une reine dans la bagnole, j’avais pas envie de faire des frais d’hôtel ; c’était pas une question d’économie, mais j’étais trop pressé.
Ça a été la chevauchée fantastique. Cavalière Rusticana pour ressorts à boudin. Les amortisseurs de l’Alfa en ont pris à nouveau un vieux coup… si j’ose dire !
J’avais allongé deux sacs à la gonzesse et, pour ce prix-là elle se serait embourbé la cour du Négus malgré le vieux conflit Italo-Abyssin. Elle se démenait comme une dingue et poussait des bramantes à vous crever le tympan. Pour une rapide, c’était une rapide ! Elle avait dû avaler de la nitroglycérine, probable ou prendre une infusion de cantharide. On m’avait dit que les Ritales avaient le panier surchauffé mais cet échantillonnage me laissait abasourdi.
Quand elle est allée au fade, elle a poussé un grand cri et s’est abattue contre moi, me serrant, me pressant, m’étouffant, me griffant. J’avais l’impression de m’être expliqué avec une tigresse !
Doucement je l’ai repoussée et j’ai délourdé de son côté, d’une bourrade je l’ai envoyée dinguer sur les tulipes et j’ai démarré. Je ne lui demandais qu’un moment d’extase, pour le cinéma elle devrait se chercher un autre partenaire…
La nuit était belle. Il faisait doux…
J’ai largué Bologne, je tenais à respecter mon programme et pour cela il fallait que je trouve un patelin tranquille où m’installer quelque temps…
A minuit je me suis arrêté dans un bled appelé Boccatine sur la route entre Bologne et Gênes. Un hôtel éclairé m’attirait et j’étais fatigué.
Je suis descendu pour demander une chambre. En pénétrant dans l’établissement, machinalement j’ai glissé la main dans ma poche. Une eau glacée m’a alors ruisselé le long de l’échiné. J’ai sorti ma main pour palper mes autres fouilles : toutes étaient vides. J’ai compris alors pourquoi la putasse de Bologne m’avait fait un pareil rodéo : tout en s’escrimant pour me donner du plaisir, elle s’occupait de mes profondes !
Il ne me restait plus que les quatre-vingts dollars que j’avais glissés dans ma poche revolver. Une misère !
J’ai tout de même pris une piaule.
CHAPITRE IV
J’ai demandé une bouteille de raide à l’aubergiste. Il me fallait un coup de gnole sérieux pour remonter ma déconvenue. Vraiment je me faisais l’effet d’une pauvre cloche ! Réussir un grand coup comme ça et se laisser sucrer le grisbi par la première petite carne venue, non, vraiment, je n’étais pas fiérot. Un moment j’ai eu envie de retourner draguer dans Bologne pour remettre la pogne sur la fille. C’était la réaction normale. Elle l’aurait senti passer, cette espèce de sale bidoche de talus ! J’allais lui aérer un peu les tripes ! Mais à seconde vue — et c’est toujours la meilleure — j’ai abandonné le projet parce qu’il était duraille à réaliser. Après un coup pareil, la souris allait se planquer un bout de temps. Et puis, quand bien même je l’aurais retrouvée, elle aurait nié, gueulé à la garde et ça se serait, en fin de compte, retourné contre le gars mézigue. Tant pis, je devais me contenter des quelques dollars pour voir venir…