J’ai passé quatre jours dans l’hôtel à me cogner le tronc et à lichetrogner. Je lisais tous les baveux, autant que me le permettaient mes minces connaissances du rital et le petit dictionnaire acheté à un marchand de souvenirs. Mais il n’y avait rien au sujet du mort de la grève. Le Robert devait se liquéfier peinardement au soleil de l’Adriatique. Quand on le découvrirait, il ressemblerait à une arête de hareng. Les bourremen avaient le salut de mes deux pour s’y retrouver dans cette panouille ! Ils communiqueraient le signalement approximatif du mec au burlingue des disparus et, comme officiellement Robert Rapin était toujours en vie, aucun rapprochement ne pouvait s’établir.
De ce côté-là j’étais paré… bien paré…
Je me suis remis à voir la vie en rose et à gamberger ferme sur l’organisation de mon futur. Un truc me tracassait. Important ! Il y avait quelque part en France plus de dix briques en souffrance sur un compte bancaire, et j’étais prêt à les adopter. Seulement la chose n’était pas facile.
Des heures et des heures j’ai tortillé le problème, allongé sur mon pageot, une sèche dans le bec… J’arrosais le problème avec l’alcool du pays. Il n’était pas formidable mais il avait un goût de raisin assez agréable à priori… Rien ne fertilise plus les idées que l’alcool.
C’est pourquoi j’ai fini par trouver…
Je ne pouvais pas aller à la banque pour retirer les fonds car Rapin devait y être connu. J’avais le chéquier à ma disposition et, sur son passeport, un spécimen de sa signature, autant dire que l’imiter était pour moi un jeu d’enfant. J’avais déjà essayé et ça « donnait » de bons résultats. Seulement le fric devait être sorti de la banque d’une façon détournée. J’avais mon idée.
Joyeux j’ai bouclé mes valoches le quatrième jour. En m’appliquant j’avais signé trois chèques en blanc de façon à ne pas être obligé de me reporter au modèle dans le cas où je serais amené à libeller un chèque devant quelqu’un.
Puisque j’étais Rapin, j’allais jouer à Rapin. Y jouer vraiment, totalement… Et pour que l’illusion soit complète je retournais en France.
Vous allez me dire qu’il fallait être gonflé à bloc. Je l’étais ! Pourtant, je dois avouer que l’aventure était moins imprudente qu’on ne pouvait le croire de prime abord. Primo cela faisait dix jours que j’avais disparu de France et la police estimait que je m’étais réfugié en Italie. Secundo je possédais une solide identité et j’avais considérablement modifié mon aspect. Tertio enfin, je comptais séjourner dans un endroit tranquille et me tenir peinard. Menton me paraissait un coin idéal à cause de sa proximité de la frontière…
Je suis parti de bon matin et, le soir, je franchissais la frontière française sans la moindre difficulté. Lorsque vous vous pointez quelque part au volant d’une Alfa Romeo, on ne vous cherche pas de patins. La richesse est le meilleur des laissez-passer. Mes fafs étaient en règle et les gapians n’ont même pas ouvert mes valoches.
Je me suis pointé à Menton comme un brave touriste qui regagne ses pénates. La ville me plaisait. C’est un bath coin de paradis plein de mimosas et de citronniers. Le ciel bleu, la mer couleur de lavande ; les collines ocres… Les petites rues qui sentent le safran… Je trouvais ça aussi bien que l’Italie et moins fatigant.
Le premier soir, je suis descendu dans un hôtel moyen. L’air de France m’exaltait. J’aimais renifler la bonne odeur de chez nous. Quelques jours loin de mon bled m’avaient tonifié mais il était temps que je rentre.
Le lendemain, je suis allé musarder dans le centre de la ville et je me suis arrêté devant une agence de location immobilière. De grands panneaux bleus promettaient des crèches de rêve à des prix raisonnables.
Je suis entré.
A l’intérieur de la cambuse il y avait un petit écriteau rédigé en « ronde » qui portait ce mot pompeux, ponctué d’une flèche :
J’ai frappé. Une voix minable m’a conseillé d’entrer. J’ai alors mis le pied dans un joyeux capharnaüm. La pièce était grande, tapissée d’un papezingue gris-jaune sur lequel se voyaient des traînées d’humidité. Des classeurs, un vieux burlingue, un bouddha rouge au rire sinistre et un vélo qui avait dû appartenir à Vercingétorix le meublaient.
Derrière le bureau se tenait un petit vieillard vêtu d’un léger costar de coutil gris et coiffé d’un canotier noir. Il louchait atrocement derrière d’épaisses lunettes aux charnières charpentées par du sparadrap.
Il avait un gros tarin pustuleux irrigué de vaisseaux bleus qui évoquait un morceau de carte réservée aux voies navigables.
Il zozotait, ce qui complétait agréablement son personnage.
— Vous désirez ?
— Mon médecin m’a ordonné de passer quelques mois sur la Côte et il me faudrait une petite maisonnette gentille avec un palmier devant la porte pour faire plus gai et la vue sur la sauce !
Il m’a souri.
— A vendre ou à louer ?
— A louer…
Il m’a regardé, évaluant mon standing à mon costar de flanelle. L’impression dut être favorable car il a soupiré comme si on lui arrachait trois mètres de tripes :
— J’ai ce qu’il vous faut… Quatre pièces, salle de bains, au-dessus de la ville. Cette maison est à louer pour quatre mois au prix forfaitaire de deux cent mille francs… Voulez-vous que nous y jetions un coup d’œil ?
— D’accord…
Dehors, ma tire que j’avais fait briquer avant de sortir de l’hôtel jetait des feux sensas. Elle en a mis plein les carreaux au père la dorure.
Il a regretté de m’avoir proposé la bicoque à ce prix.
— C’est donné, a-t-il balbutié en prenant place sur la banquette de cuir. Enfin, la saison est avancée, si nous étions en mai vous auriez payé le double…
La cabane était gentille tout plein. Peinte en bleu lessive avec un toit ocre… Elle était rustique mais confortable et elle m’a plu tout de suite.
— Bon, ai-je fait, emballez-moi cette marchandise…
Nous sommes retournés à son invraisemblable bureau et là il m’a donné le papier de location contre un chèque. J’étais pour quatre mois locataire de la chouette petite crèche sur la colline. En sortant de l’agence j’avais des ailes. Cette fois je m’organisais bien, sans fausse note. Planqué dans cette encoignure de France sous un faux blaze je pouvais me la couler douce et laisser oublier définitivement le gars Kaput et ses exploits.
J’ai demandé à un agent s’il existait à Menton une succursale de la Société Générale. Il m’a désigné le coin. C’était bath de pouvoir se tuyauter auprès des matuches. Je me sentais devenir honnête et même bourgeois dans ma nouvelle peau. »