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— Vous êtes plus jolie encore qu’hier, et pourtant je ne pensais pas que ce fût possible.

— Merci.

— Je ne mens pas.

— Je sais.

— C’est pour me séduire que vous vous êtes faite si belle ?

— Un peu…

— Alors c’est gagné. Vous buvez un whisky ?

— Il est trop tôt…

— Excusez-moi, c’est de la déformation, ma mère a dû m’allaiter avec une queue de morue.

Elle a ri, doucement, contente de voir que j’étais enjoué, détendu et bougrement heureux de la regarder.

— Un café ?

— Non, rien… Je ne suis pas venue ici pour boire…

— Pourquoi êtes-vous venue ?

— Pour vous voir.

— Seulement pour me voir ?

— Aussi pour vous parler.

— Alors je vais essayer de vous écouter. C’est duraille quand on vous regarde. Automatiquement on a l’imagination qui vadrouille.

— C’est au sujet de votre allusion d’hier…

— Quelle allusion ?

— Concernant… ma façon de jouer.

— Eh bien ?

— J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Je me suis versé une copieuse rasade de whisky. Elle entrait carrément dans le vif du sujet, elle me demandait d’abattre mon jeu et fallait que je mette mes brèmes en ordre.

— J’écoute ! a-t-elle encouragé.

— Que voulez-vous que je vous dise ? J’ai vu que vous trichiez et je vous ai fait part de cette remarque. C’est tout. Dites, vous êtes en combine avec le croupier, non ? En général ces mecs-là n’ont pas du lard fumé sur les yeux…

Elle a soupiré.

— Il est très sensible à mes sourires… Un croupier est un homme comme les autres… Les vieilles dames qui l’ennuient à longueur de journée ne sont pas dignes d’intérêt. Il s’est certainement aperçu de quelque chose, mais il ne dit rien. Je crois que, dans un sens, ça l’amuse…

— Et dans l’autre sens, ma belle ?

— Je ne comprends pas…

— Vous pensez que votre exploitation va durer longtemps ?

— Non…

— Vous êtes ici depuis quand ?

— Dix jours…

— Alors un conseil : changez de crémerie. Un de ces quatre, le chef des jeux vous mettra le grappin dessus et ça chauffera. Il n’est peut-être pas sensible aux sourires de miss Europe, lui !

Elle est demeurée un instant silencieuse, puis elle a dit :

— Merci du conseil, je crois que je le mettrai à profit…

— Vous êtes une professionnelle ?

— J’allais le devenir…

— Orientez-vous plutôt vers une carrière libérale…

Elle m’a regardé une fois encore, d’un air anxieux et hésitant.

— Qui êtes-vous ? a-t-elle répété.

— Je vous l’ai dit.

Un haussement d’épaules agacé l’a secouée.

— Qu’est-ce qu’un nom ! Je vous demande qui vous êtes, sur le plan moral.

— Qui croyez-vous que je sois ?

Une seconde d’hésitation, puis, courageusement elle a lâché :

— Un drôle de type…

— Oui ?

— Oui…

A mon tour je me suis senti mal à mon aise.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas, justement. Vous tenez du riche désœuvré et…

— Et ?…

— Et du gangster.

J’ai commencé à me demander si j’avais eu si bon nez que ça de forcer l’intimité de cette perruche.

— Vous exagérez… dans les deux sens. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je me débrouille dans certaines affaires, voilà tout. En ce moment je me repose…

— Vous êtes bien jeune pour être rentier.

— Quand on est vieux on n’en profite pas.

— Vous pensez rester longtemps… inactif ?

— Ça dépend.

— Ça dépend de quoi ?

— De la rapidité avec laquelle je croquerai mes économies.

— Ça peut durer longtemps ?

— Assez si je suis raisonnable.

— Dommage.

— Pourquoi ?

Elle m’a jeté un regard provocant.

— Parce qu’on aurait pu s’associer…

— Acheter une épicerie-comptoir ? Ou une mercerie ?

— Non : jouer ensemble…

— Jouer à quoi ? Si c’est à papa-maman d’accord, mais autrement…

— Jouer à ça et à autre chose. La roulette ne vous tente pas ?

Ça venait. C’était une drôle de mousmé en vérité. Elle devait savoir faire son beurre. Son idée de jouer cartes sur table avec moi me prouvait également qu’elle n’avait pas froid aux chasses…

— Vous avez des projets ?

— Oui…

— Dites toujours…

— A deux on a plus de possibilités… Je triche depuis peu de temps mais j’ai beaucoup réfléchi et compris pas mal de choses.

— Si vous me racontiez un peu tout ça ?

— Je suis divorcée d’avec un garçon gentil mais pauvre. J’avais des idées d’indépendance et des goûts de luxe. J’ai suivi un industriel ici… Je l’avais rencontré dans une boîte des Champs-Elysées. Il voulait vendre son usine pour moi paraît-il. Mais au bout de huit jours il s’est ravisé et a disparu. Je suis donc restée à Menton. J’ai joué pour essayer de gagner un peu de fric ; comme je perdais j’ai triché. Quand on le veut, on peut très bien s’identifier au hasard ; il s’agit simplement d’être plus malin que lui…

Elle était lancée, elle a continué :

— A la roulette, tout le monde essaie de constituer une martingale. Tout le monde cherche à donner des règles à un jeu qui ne peut en comporter. Un seul type s’en remet au hasard : le croupier ; conclusion, c’est lui qui gagne vraiment, et de façon assidue. Je me suis dit que, puisqu’en voulant chercher des règles au hasard on se cassait le nez, mieux valait aller plus loin, le dominer… Vous comprenez ?

— C’est un bon principe.

— La pratique évidemment en rend l’application assez délicate, mais, vous l’avez vu, on y parvient ?

— Oui…

— Et en unissant nos… idées, nous devons faire mieux que je ne fais.

— Vous croyez ?

— J’en suis persuadée. Voulez-vous un exemple ?

— Allez !

Supposez que nous soyons de connivence et que nous allions séparément dans la salle de jeu. Vous avez une dizaine de plaques de mille francs dans la main. Moi je suis de l’autre côté de la table. Vous vous asseyez près du croupier. Celui-ci lance la boule. Vous regardez où elle s’arrête du coin de l’œil. Supposons que ce soit sur le 8. Immédiatement, avant que le croupier fasse l’annonce vous vous écriez : Six mille sur le 8. Et vous déposez vos dix mille sur la case. Evidemment le croupier s’indigne et vous somme de retirer cette mise tardive. Vous obéissez. A ce moment je proteste en disant que j’avais quatre mille francs sur le 8. Vous vous troublez, recomptez votre paquet de plaques, vous admettez votre erreur et reposez « mes » quatre mille francs sur le 8. Gain : 140 billets ! On vous regarde comme un escroc et vous quittez la salle, mais j’empoche le fric. En opérant une fois dans chaque casino de la Côte nous aurons vite ramassé une grosse somme…

Là alors j’ai été sur le dargeot ! Elle avait sa dose de phosphore sous la coquille, cette chérie !