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— Que voulez-vous ?

— J’ai à lui parler…

— De quoi ?

Il a ricané :

— On trouve toujours à dire à un type qui vous a empaillé de douze millions.

Si j’avais eu un dentier, parole, il partait droit sur le carrelage.

— Douze millions !

— Oui… Cet enviandé de frais s’est barré avec mon fade…

Il s’est levé. La gueule noire d’un automatique est apparue au-dessus de son poing.

— On ne va pas passer l’année à se dire des trucs vides. Ecoutez, je suis prêt au pire… Les gars qui n’ont plus un flèche voient dégringoler leurs scrupules…

— Je sais.

— Bon, alors on va peut-être se comprendre. Pour une raison qu’il est inutile de vous expliquer, Rapin me doit douze briques et il a disparu. J’ai fait mon enquête… J’ai su qu’il s’était taillé en Italie… Pas moyen de le rejoindre car je suis évadé de la boîte aux mille lourdes…

Un confrère ! Je commençais à reprendre mon aplomb.

— Ah ! bon…

— Oui… Ça vous choque ?

— Non. Mais j’aimerais savoir…

— Quoi ?

— Comment vous avez débarqué ici ?

Il a souri gentiment, a rejeté sa hure en arrière pour me considérer à son aise. Ma curiosité le flattait.

— Je pensais que tôt ou tard Rapin rentrerait en France car il n’avait pas pu passer le magot chez les Macaronis. On n’emporte pas vingt-quatre briques clandestinement, surtout pas cette fiotte. Il était trop prudent…

Vingt-quatre millions.

— Alors ?

— Alors je me suis démerdé de savoir s’il avait remisé son fric à la banque. Je connaissais celle-ci car il m’avait déjà fait un chèque avant… avant le coup.

Le coup ! Ça devenait fichtrement intéressant.

— Je me suis rencardé à la banque, j’ai fait la connaissance d’un garçon de bureau qui, pour dix tickets, a jeté un coup d’œil à son compte. Il n’y avait que dix briques et des…

Ça je le savais… Je pigeais itou comment le Bouboule avait trouvé ma planque. Le garçon de bureau avait appris le virement des fonds à la succursale de Menton et il avait affranchi l’homme aux paupières baissées. La preuve que le pressentiment existe : en faisant cette opération j’avais senti qu’il en découlerait quelque chose d’imprévisible.

Le visiteur a fait un geste avec sa main tenant le pétard.

— Bon, à vous de causer…

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte, le présent ou l’avenir ?

— Le passé !… Le présent, je m’en charge et mon avenir dépend du passé.

On finissait par s’habituer à ses yeux.

Qu’est-ce que je dis ! A son absence d’yeux.

Il m’était déjà familier. Quand un truand rencontre un autre truand il se sent à l’aise aussitôt. J’étais très à mon aise malgré le soufflant qu’il continuait de serrer dans sa grosse patte velue.

Le mot « coup » qu’il avait employé pour qualifier ses affaires antérieures avec Rapin me plongeait dans un océan de délices. Il m’apprenait que Robert avait été un malfaiteur et j’en ressentais une longue vibration dans ma moelle. J’y voyais une dédicace affectueuse de la destinée.

— Si vous posiez des questions, ça irait plus vite ! ai-je déclaré.

— Qui êtes-vous ?

— Pour tout le monde, Robert Rapin. Pour vous, à titre exceptionnel, un ami qui vous veut du bien.

— Bon. Où est Rapin ?

En guise de réponse j’ai sifflé la Marche funèbre. Il devait être un brin mélomane car il a pigé. Sa gueule s’est littéralement allongée.

— Mort ?

— Un peu…

— Tu l’as tué ?

Il n’en doutait pas et le tutoiement avait jailli, spontané, fraternel.

— Non. Il s’est tué en tombant d’un rocher… C’était sur une plage italienne. C’est moi qui l’ai trouvé : il était mort. Comme je cherchais une identité et une situation ça ne pouvait pas mieux tomber… Non ?

— T’es certain de ne pas l’avoir buté ?

— Certain… Remarque : le résultat serait le même…

— C’est toi qui as viré le flouze ?

— Il avait son chéquier et son carnet de banque dans sa bagnole… J’ai fait pour le mieux… On est bien ici… Le soleil est chaud et les filles sont belles, t’as vu le spécimen de propagande ?

— En effet…

Il a remisé son artillerie et s’est mis à réfléchir.

— Alors t’es entré dans la peau du gars ?

— Puisqu’elle m’allait…

— Tu sais qu’il était pédé ?

— Je sais…

Ça m’avait échappé, et je mesurais d’un seul coup l’étendue du désastre.

Il a sauté sur ma bévue à pieds joints.

— Donc, tu l’as connu vivant !

— C’est-à-dire…

— Donc, tu l’as buté…

— Tu m’emmerdes, c’est mon affaire…

— C’est aussi la mienne. Ce gars a planqué plus de vingt briques avant de filer… Qu’il soit mort je m’en moque dans la mesure où ça ne m’empêche pas de retrouver mon tas, tu piges ?

— Oui…

— T’as pas une idée de l’endroit où il est, le blé ?

— Je ne savais pas qu’il y avait du fric à la clé, à part le compte en banque…

— Vraiment ?

Le revolver venait de jaillir à nouveau dans sa main.

— C’est une manie, ai-je rigolé… Remise ta pétoire, pauvre tronche. Je ne sais rien, rien de rien… Mais je ne demande qu’à être mis au parfum. Vingt briques, ça intéresse toujours un gars comme moi, figure-toi !

Il a secoué la tête avec obstination.

— Tu me bourres le mou. Parle !

— Je ne sais rien du magot !

— A d’autres ! Tu as suivi Rapin en Italie. Tu lui as arraché son secret, tu l’as bouzillé et t’es revenu… Bon, c’est du joli travail. Seulement, moi, j’avais des droits sur la moitié de cette oseille, et je vais les faire valoir. Rapin avait un côté naveton, mais c’était un naveton rusé, capable de tout, y compris de se laisser posséder par un dégourdi de ton espèce. T’es beau gosse et c’était son point faible, avoue que c’est par là que tu l’as eu !…

Bouboule m’avait l’air vraiment dégourdoche. Il comprenait les choses, la vie…

— Tu vois juste ; sauf que je n’étais pas au courant de l’artiche.

— Qu’est-ce que tu fichais en Italie ?

— Je me planquais…

Il m’a regardé avec attention.

— Oh ! mais dis donc, a-t-il murmuré… Tu ne serais pas le mec que les bourdilles recherchaient à cor et à cri ? Comment, déjà… Kaput ?

CHAPITRE IX

A peine le nom lui était-il tombé des lèvres que j’ai cessé d’appréhender.

Kaput ! Il venait de me donner mon blaze. Ça me faisait plaisir comme lorsqu’on enfile ses pantoufles après avoir beaucoup marché.

Au regard que je lui ai filé, il a compris qu’il ne se trompait pas. Ça lui a coupé le siflet d’un coup.

Le pétard s’est mis à trembler dans sa main.

— Pose ça, ai-je murmuré, je n’aime pas ces sortes d’intermédiaires.

Mais au lieu de m’obéir, il a relevé un peu plus le canon du feu. J’avais le petit orifice noir juste à la hauteur de la poitrine ; seule nous séparait la largeur de la table. Si jamais il pressait la détente, j’allais déguster une drôle de porcif.