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Je n’avais pas encore bien digéré son offre d’emploi. Qu’une petite aventurière comme elle accepte de vivre avec un homme recherché pour meurtre se concevait à la rigueur. Mais qu’elle se propose gentiment pour aller filer dans la grande tasse un zig qu’elle ne connaît pas, alors là j’avais un drôle d’aperçu sur la complexité féminine.

Il y a du monstre dans chaque femme. Herminia évidemment prétextait protéger ma sécurité, mais je me doutais bien qu’elle voulait noyer Bouboule pour en tirer des sensations exaltantes… Vous lui auriez demandé de noyer des petits chats, elle aurait poussé des cris d’indignation. Mais elle se portait volontaire pour rayer un homme…

J’en étais là de ma méditation lorsqu’elle a débouché de derrière une avancée de roches, sur un fond-plat à moteur…

Elle m’a fait un grand geste joyeux. Et il n’y avait pas de différence entre ce geste de meurtrière en puissance et celui d’une petite jeune vierge rongée par la puberté.

Elles sont toutes innocentes comme des Jésus de crèche… Et toutes prêtes pourtant à couper la ficelle retenant la lune si cette dernière était suspendue au-dessus de votre trombine.

Herminia pilotait son canot comme un vieux loup de mer. Elle s’est échouée doucement sur la courte plage de sable.

— Oh ! oh !

Elle agitait ses doigts en riant. Ma parole, elle se croyait à une partie de volley-ball !

J’ai filé un coup de périscope alentour. Personne. Le bout de route était vide et il y avait des rochers escarpés partout ailleurs.

J’ai ouvert la portière de gauche — côté mer — rabattu le dossier de la banquette avant et extirpé Bouboule de l’auto…

Il a éructé des choses vagues… Mais il était foudroyé par le biberon que je lui avais fait prendre.

— Amène-toi, mon salaud !

Je l’ai cramponné par un bras et traîné comme un objet.

En arrivant au canot, je l’ai flanqué dedans. L’embarcation a tangué dangereusement.

— Tu feras gaffe de ne pas piquer un plongeon, toi aussi, ai-je recommandé.

— Ne t’inquiète pas…

— Tu ne préfères pas que je me charge moi-même de cette balade en mer ?

— Non, il faut songer à ta sécurité, Robert…

— Comme tu voudras, sois prudente…

J’ai regagné la Station doucement. En conduisant, je regardais de temps en temps le large et je distinguais dans l’étincellement des eaux une tache sombre qui glissait vers la ligne d’horizon bombée.

En arrivant à la plage de Menton, j’ai eu beau regarder, je n’ai plus rien vu… La saison se tirait. Peu de monde occupait les transatlantiques multicolores… Au bar, un jeune gars brun à veste blanche pressait des oranges dans un appareil acheté au dernier Salon des Arts Ménagers.

— Un gin-fizz, fiston !

Je me suis assis sous le dais bleu du bar… Il a mis un disque en mon honneur. Un truc mexicain qui vous flanquait des fourmis dans les pattes.

J’ai longtemps regardé le cube de glace dans mon verre. Il flottait à ras de la surface et il me faisait penser à Bouboule qui n’allait pas tarder à engraisser les poissons.

Herminia était longue à revenir.

CHAPITRE XII

Elle est apparue enfin. Elle avait rendu son barlu au loueur de la plage et elle paraissait joyeuse.

— Tu prends quelque chose ? ai-je demandé.

— Oui…

— Un alcool ?

Son regard m’a fait rougir.

— Pourquoi un alcool ? a-t-elle demandé hardiment. J’ai simplement soif. Donnez-moi une orange pressée.

Elle a bu d’un trait. Ses joues étaient rouges. Mais son front restait pâle, car elle venait de fournir un effort qui l’avait fatiguée.

— Paie et allons nous asseoir !

Elle m’a entraîné à l’écart sur des chaises pliantes. On est resté un moment sans piper mot, à regarder le monotone mouvement de la flotte et le ciel infini où traînassaient des petits nuages filandreux.

J’avais envie d’elle, une envie terrible !

— Si on rentrait, Herminia, j’ai des projets…

C’était la formule consacrée. Elle a secoué la tête.

— Pas tout de suite…

— Emue ?

— Non : un peu lasse seulement… Il était lourd !

— Ça s’est bien passé ?

— Ça s’est passé, et c’est l’essentiel, non ?

— Nous voici en quelque sorte entre assassins ?

— En quelque sorte, oui. Mais je ne vois pas la nécessité d’en parler.

Elle avait un drôle de carafon, cette nière. Vous la regardiez et vous croyiez bigler une polka comme toutes les polkas. Et puis, en grattant vous trouviez le reste : c’est-à-dire une fille, troublante, inquiétante… Elle était capable de tout : de tricher, de tuer… Etait-elle capable d’aimer ? Ça me travaillait un peu la paillasse. J’avais un sérieux penchant pour elle, mais ça n’était pas vraiment de l’amour… L’amour, je l’avais connu avec une autre et ça restait encore trop frais pour que je m’embrase.

Mais je tenais néanmoins à Herminia. Sa peau parlait à la mienne. C’était comme si on nous avait taillés dans le même cuir…

— Tu veux qu’on parle d’autre chose ?

— J’aimerais.

— De quoi ?

— D’avenir…

— Tu voudrais que je t’épouse ?

Je riais ; pas elle. Elle avait une petite lippe désagréable qui faisait saillir sa bouche et la rendait exagérément sensuelle.

— Je voudrais surtout que tu cesses de plaisanter… Et j’aimerais également qu’on fasse le point de la situation.

« Tu as pris l’identité de quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre, l’homme de tout à l’heure voulait le retrouver. Pourquoi ? Une vengeance ?

— Il y a de ça… Plutôt, au sens propre, un règlement de comptes… Et le compte est élevé : vingt-quatre briques…

Je lui ai raconté toute l’histoire sans en sauter une broque. Elle m’écoutait, intéressée au plus haut point. Quand j’ai eu fini, elle s’est plongée dans de profondes réflexions.

— Tu crois que ce Rapin n’a pas emporté l’argent à l’étranger ?

— J’en suis certain, je l’ai assez connu pour comprendre son caractère. Et ce que j’ai appris sur lui ne fait que confirmer mon opinion. C’était un gars intelligent et prudent.

J’ai souri.

— Sa seule imprudence, c’est moi. Il y a toujours un moment où le sexe domine la raison.

— Alors, cet argent ?

Elle ne perdait pas la question de vue…

— Il a dû le planquer en France.

— Où ça ?…

* * *

De fil en aiguille, on s’est retrouvé à Grenoble le lendemain. J’attendais Herminia dans un troquet pendant qu’elle allait dans les bureaux du Dauphiné Libéré.

La rédaction d’un canard était le dernier endroit où je pouvais me permettre de vadrouiller. Les journaleux ont toujours des tas de photos qui traînent et je pouvais me faire repérer.

Un quart d’heure d’absence et elle revenait, rieuse, belle à crever les yeux, dans un tailleur bleu roi et un pull orange.

Des tuyaux, une fille pareille n’avait pas de mal à en récolter…

— J’ai le renseignement, a-t-elle affirmé.

Elle a fini son verre de jus de tomate, entamé avant son absence. Nous sommes sortis.