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— Voilà…

— Regarde vite !

J’ai vidé tous les compartiments de leur contenu. Aucun reçu ne s’y trouvait…

Je jurais comme un charretier en le glissant dans ma poche. Depuis la terrasse je voyais les montagnes environnantes et celles-ci m’étouffaient comme une ceinture de fer. Elles avaient quelque chose de menaçant qui me déprimait…

— Ne nous affolons pas, a murmuré Herminia… Réfléchissons plutôt.

Moi, c’était d’action que j’avais surtout besoin. Je sentais gronder en moi mon impatience… Il fallait que ça sorte ou que ça casse, mais quoi j’allais chercher des patins au premier mec qui me tomberait sous la paluche histoire de lui massacrer un peu la gueule.

— Il n’a pas jeté ce reçu, a réaffirmé ma compagne. C’est absolument impensable… Voyons, tu es un homme. Où donc un homme range-t-il un petit rectangle de papier qui possède une grosse valeur ?

— Dans son portefeuille…

— Il n’est pas dans le portefeuille… Dis-moi, ce portefeuille, Rapin l’avait-il sur lui au moment où… ?

— Non… Il se trouvait dans la poche de la voiture…

— Et sur lui ?

J’ai évoqué la scène terrible de la plage italienne.

J’avais ôté le futal de Rapin, son sweater, et je les avais brûlés après en avoir vidé les fouilles. Il n’y avait rien dedans… A moins que… Oui, certains pantalons comportent sur le devant, à la hauteur de la ceinture, une minuscule poche pour le briquet. Rapin avait pu y serrer le fameux reçu.

Et pourtant, à la réflexion, je ne le croyais pas car il changeait trop souvent de toilette pour véhiculer chaque fois le papier d’un futal dans l’autre.

— Il devait le ranger dans un endroit fixe… a murmuré Herminia, comme si elle eût suivi ma pensée…

Nos yeux sont tombés simultanément sur la voiture… Paradoxalement c’était le seul point fixe qu’un voyageur eut en vacances… Une voiture, c’est le prolongement d’un appartement, en somme… J’ai fait signe à la serveuse qui se détranchait depuis son comptoir pour nous bigler son chien de saoul. Puis nous sommes sortis…

— Quittons le village, a dit Herminia.

J’ai piloté la guindé au-delà de l’agglomération et l’ai arrêtée sur le bord de la route. Nous nous sommes comportés, elle et moi, comme un nuage de sauterelles. La malheureuse bagnole a subi notre pillage. C’était hallucinant. Nous agissions à toute vibure, sans un mot, arrachant les banquettes, fouillant sous les tapis de caoutchouc, ôtant les cendriers, vidant les poches à soufflet, démantelant les pare-soleil… Rien ! Rien !

Nous avons déployé les cartes Tarride, visité le coffré de fond en comble, dévissé le plafonnier… Rien !

Herminia en avait les larmes aux yeux et je serrais si fort les dents que les mâchoires me faisaient mal.

Découragés, nous nous sommes assis côte à côte… Il faisait un temps gris et les premiers froids commençaient à embuer le pare-brise… J’ai relevé le col de ma veste. C’est un geste de truand… Le geste de tous les gars qui sont destinés à être réveillés de bonne heure, un matin, dans une prison…

— Vingt-quatre millions, a murmuré Herminia…

— Oui, ai-je dit, y aurait de quoi s’acheter de la moutarde, avec ça !

— Tu parles…

— On partirait en croisière, non ?

— Si…

— On irait en Amérique… Il y a longtemps que je rêve de ça…

Je pensais à mes anciens projets et ça me foutait dans l’âme une bouffée d’amertume.

— Pour le moment, tu vas en Espagne, a-t-elle dit, pour y construire des châteaux…

— Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

— Rentrons à Menton, le plus vite possible, fouillons tous les vêtements de Rapin… Tu m’as dit qu’il avait des bijoux… Peut-être le reçu est-il parmi eux ?

— C’est à voir…

Nous avons repris la route des Alpes. Il y avait déjà de la neige sur les sommets et on sentait que l’hiver ne tarderait plus à se ramener… L’Alfa est une guindé idéale pour les routes en lacets. Je crois que je n’ai pas mis quatre heures pour regagner nos pénates…

On avait oublié de déjeuner mais nous n’avions pas faim. Durant tout le trajet, Herminia a gardé les yeux sur la montre…

— Supposons que nous soyons à la maison à cinq heures, disait-elle. Supposons que nous trouvions le papier tout de suite et que le bureau de poste où se trouve le paquet soit près de Menton, nous arriverions à entrer en possession du fric ce soir…

— Tu parles d’une java !

On se gargarisait d’espoir, et pourtant rien n’était plus compromis que ce coup à la noix. Si au moins Bouboule s’était manifesté plus tôt ! Nous aurions visité tous les bureaux de poste du Midi et serions arrivés à un résultat… Maintenant le temps pressait. C’était foutu. Presque… Et malgré tout, chacun de notre côté, nous songions à ce que nous allions faire des vingt-quatre briques… La vie est marrante dans le fond !

Nous sommes arrivés à Menton à cinq heures moins dix. J’ai arrêté la guindé pile et alors ça a été la ruée dans la chambre à coucher. Pas une fringue, pas un objet ayant appartenu à Rapin que nous n’explorâmes à fond ! Au bout d’une demi-heure nous avions tout dévasté et le résultat était négatif. La sueur ruisselait sur nos visages… Nos pommettes étaient en feu et des lueurs inquiétantes passaient dans notre regard.

— C’est fichu, a soupiré Herminia…

Oui, c’était fichu… Bien fichu… A un point que je n’imaginais même pas car, comme nous retournions dans le studio pour nous venger sur le whisky on a carillonné à la porte du jardinet. On s’est défrimé, sans joie.

— Va voir ! ai-je ordonné à Herminia.

Elle est allée ouvrir… Quand elle est revenue, presque aussitôt, un agent l’accompagnait. J’ai réprimé un mouvement pour sauter sur mon feu et flinguer le poulet. Ce qui m’a retenu c’est la pensée que le cogne en uniforme ne venait certainement pas m’arrêter. Une opération de ce genre est effectuée par les archers de la P.J.

J’ai trouvé la force de sourire…

— ‘Jour, M’sieur l’agent… Qu’est-ce qui se passe ?

C’était un jeune au visage blanc et neutre inondé de sueur. Il a porté une main raide à son képi…

— Je viens au sujet d’une infraction au code de la route…

— Pas possible ?

— Si. Vous avez laissé votre voiture en stationnement du mauvais côté avant-hier… Un de mes collègues a dressé procès-verbal, je viens pour remplir le formulaire d’identité…

— Comment savez-vous que j’habite ici ?

— C’est le gérant de cette villa qui a fourni le renseignement. Il se trouvait de passer au moment où mon collègue notait le numéro… Ici, vous savez, tout le monde se connaît…

J’ai respiré. C’était un simple incident sans conséquences.

— Vous vous appelez Rapin ?

— Robert, pour les dames, oui, M’sieur l’agent… Asseyez-vous.

Il s’est assis et a tiré d’une poche de sa veste un vieux carnet cradingue et un crayon qu’il devait bouffer entre les repas car l’extrémité supérieure ressemblait à un pinceau.

— Vous pouvez me donner vos pièces d’identité ?…

Il parlait d’une voix neutre. Il était partagé, cet homme, entre sa mégalomanie de flic et son instinctif respect de salarié pour un mec qui contrevenait à la loi avec une Alfa Roméo de trois millions.

— Mais bien sûr…

Alors, les mecs, d’un seul coup, d’un seul, il m’est venu une sueur comme si j’avais séjourné dans un hammam. Je me suis aperçu à cette seconde seulement que je n’avais pas de permis de conduire…