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Rapin devait glisser le sien dans sa poche du sweater et je l’avais certainement brûlé avec les fringues. Qui sait si le reçu ne se trouvait pas avec ?

J’ai pensé ça, à toutes pompes…

— Voilà la carte grise, M’sieur l’agent. Vous accepterez bien un whisky, non ?

Je me faisais tout plein gentil dans l’espoir de l’amadouer.

— Non, merci, je ne bois pas d’alcool.

Il prenait des notes…

— Votre permis de conduire, s’il vous plaît.

— Je… une seconde…

Je cherchais le regard de ma souris pour lui faire comprendre ma détresse, lui demander de l’aide. Mais elle s’occupait à tripoter les boutons du poste afin de créer de l’ambiance.

Pour gagner du temps, j’ai fait mine de chercher le permis.

— Bon Dieu ! me suis-je exclamé ! Herminia, tu n’as pas vidé les poches de mon veston que tu viens de porter chez le teinturier ?

Elle a fermé le poste, s’est retournée et m’a répondu de son ton le plus paisible :

— Comment, chéri, tu ne l’as pas fait toi-même ?

— Mais non !

Elle n’avait pas eu une seconde d’hésitation.

— C’est ridicule, ai-je ajouté, il y avait mon permis de conduire dedans…

— J’irai le chercher demain…

— Oui, mais M’sieur l’agent en a besoin tout de suite…

— Vous ne vous souvenez pas du numéro ? a demandé le poulaga.

— Attendez : je crois que c’est A 10.999…

— Quelle préfecture ?

— Seine-Inférieure.

— Bon… Je note ça sous toute réserve ; si vous avez fait une erreur venez au commissariat.

— D’accord.

Je me croyais quitte.

— Donnez-moi une autre pièce d’identité alors…

J’ai hésité, puis, d’un geste délibéré, j’ai avancé le passeport.

Il a noté les renseignements. Soudain il s’est exclamé :

— Vous avez trente-cinq ans ?

— Eh oui…

— C’est pas croyable, vous ne les paraissez pas…

Et pour cause, j’avais douze berges de moins.

— Je sais, je fais jeune…

— Ça, vous pouvez le dire…

Alors ça a été la vacherie des vacheries… Machinalement il a examiné la photo d’identité. Si on chinoisait on se rendait compte de la supercherie. Et il s’en est rendu compte en un temps record…

— Mais ! s’est-il exclamé, ça n’est pas vous, là !

Il regardait le petit carré de carton glacé, sondant la frime de Rapin… Puis il m’a regardé. Ses yeux étaient vifs comme deux poinçons, ils me transperçaient…

— Qu’est-ce que ça veut dire ?…

Il y a eu le silence le plus crispant que j’aie jamais connu.

Ce petit bout de flic en uniforme me dévisageait, me perçait à jour, me découvrait, comprenait qu’il avait mis le nez dans un truc qui le dépassait…

Lentement il s’est dressé de sa chaise.

— Il va falloir me suivre au commissariat pour tirer ça au clair, monsieur…

— Bon, allons-y !

Ça n’était pas du commissariat que je parlais. Herminia le savait. Elle a mis la radio à fond tandis que, par-derrière, je nouais mes doigts au cou de l’agent.

Le contact de sa peau me dégoûtait. Et plus ça me dégoûtait, plus je serrais…

Je suis fort des pognes. La preuve, je vous soulève une chaise horizontalement en l’empoignant par un barreau inférieur ; essayez, ça n’a l’air de rien mais faut pas avoir du jus de nave dans les veines pour réussir ce petit numéro…

Ça a craqué sous mes doigts… Je serrais et le cou du gars durcissait.

Un râle sourd lui fusait des narines, mais je le devinais plus que je l’entendais car la radio faisait un boucan du tonnerre.

Puis d’un seul coup ma répulsion est tombée et je n’ai plus ressenti qu’une intense joie. Une joie violente, chaude, que je n’avais pas éprouvée depuis des semaines, une joie que je n’avais même pas ressentie en zigouillant Rapin m’innondait… Je souriais… J’étais libre, j’étais heureux, soulagé…

Herminia s’était plaquée contre le mur, grise comme cendre. Ses yeux emplis d’épouvante me fixaient avec incrédulité.

— Non, non ! balbutiait-elle.

Ça n’était pas pour le flic. Elle savait bien qu’il n’y avait pas d’autre façon de s’en sortir. Mais ce qu’elle refusait, ce qui la glaçait, c’était la joie peinte sur ma frime.

J’ai ouvert les deux mains. Mes doigts étaient blancs. Je les ai frottés pour rétablir la circulation. Le flic est resté immobile sur sa chaise. Le dossier incurvé le maintenait calé.

— Voilà le travail, ai-je déclaré après une profonde inspiration.

Je me suis assis aux côtés du cadavre et j’ai bu un bon coup de gnole, non pour me redonner du cœur mais parce que j’en avais envie.

Je venais de tuer un homme, une fois encore. C’était facile à comprendre… J’ai regardé le cadavre. La main gauche du flic reposait sur la table et un anneau d’or brillait à l’annulaire ; il était marrida ce pauvre melon ! Y allait avoir du chabanais sous peu. Maintenant j’étais grillé. Au lieu de vingt-quatre briques j’allais avoir droit aux condés. Adieu le compte en banque, l’Alfa et tout…

Herminia a demandé :

— Alors ?

— Quoi ?

— Quel est le programme ?

Elle avait retrouvé son calme.

Je me suis pris la tête à deux mains.

— Bon… Primo il faut planquer cette charogne… Ensuite tu iras chercher de la peinture blanche et de la peinture noire…

— Pourquoi faire ?

— Pour peindre de faux numéros à la voiture… Nous allons mettre les voiles.

Elle a soupiré :

— Pour aller où ?

— Ailleurs ; ça sent trop le brûlé ici.

— Tu es bête, une voiture comme ça ne peut passer inaperçue, même avec un autre numéro… Sans compter que la carte grise ne correspondra pas… Que tu te fasses arrêter et…

— Tu as mieux à proposer ?

— Oui… Nous allons cacher le cadavre et filer… Nous passerons la nuit ailleurs. Au matin je viendrai aux nouvelles, si rien n’a été découvert, tu iras retirer ton argent à la banque, pas tout, mais une grosse partie. Ensuite nous passerons la frontière et irons jusqu’à Gênes. Là-bas tu revendras l’auto pour une bouchée de pain ; c’est moins une question d’argent que de sécurité. Le type qui l’achètera sera obligé de la camoufler puisqu’elle est immatriculée en France… Ça nous laissera du temps. Nous prendrons le train pour Rome…

Elle avait raison, une fois de plus.

— Ça me paraît valable…

La maison ne comportait pas de cave. C’était compliqué de planquer le cadavre. J’ai fureté pour trouver un endroit ad hoc et me suis décidé pour le réduit à charbon. Je l’y ai porté seul en le chargeant sur mon épaule. Lorsqu’il a été tassé dans l’angle du local j’ai foutu par-dessus toutes les saloperies que j’ai pu trouver. J’avais besoin de quelques heures seulement.

Nous avons fait nos valoches en vitesse, ne prenant que l’essentiel. Puis ça a été le départ. J’avais le cœur serré car je m’étais habitué à la villa. J’y avais passé de fameux moments, des heures paisibles, les plus rares de ma vie.

Une fois dans la rue j’ai tiqué. Il y avait, devant mon Alfa, un vélo noir. Celui du poulet. Il allait nous faire repérer…