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J’ai ouvert le coffre arrière et j’ai pu y fourrer la bécane après avoir démonté la roue et replié le guidon…

— Nous le balancerons sur la côte, quelque part, ai-je dit à Herminia, c’est au poil dans un sens, comme ça les soupçons n’iront pas tout de suite sur bibi…

Nous avons quitté Menton peu après. J’étais crevé par ces heures de volant.

— Où allons-nous ?

— Monte-Carlo…

En cours de route nous avons jeté le vélo du haut d’un rocher sur la grève, mais de façon à ce qu’il attire l’attention…

Quand, après ça, je suis venu m’asseoir au volant, Herminia avait des larmes plein les chasses.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Je pense aux millions…

— Tu as tort, c’est tordu, n’y pensons plus, ma jolie.

CHAPITRE XV

Brutalement la direction est devenue vasouillarde.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’est inquiétée Herminia.

— Un pneu crevé sans doute.

Très exactement c’était le pneu arrière gauche… S’il y a un truc qui m’horripile c’est bien de changer une roue de voiture.

— On va téléphoner à un garagiste, ai-je murmuré…

C’était aisé, il y avait un café à deux pas et, sur ce point de la Côte, ce ne sont pas les stations-services qui manquent.

Pourtant, à la réflexion, il valait mieux que j’opère moi-même. Inutile de me faire repérer par un mécano si, par hasard, les choses se gâtaient du côté de mon locataire de Menton.

J’ai posé ma veste et retroussé mes manches, suivant les principes du parfait automobiliste en rade.

Le cric était à l’arrière. Je l’ai engagé sous la voiture et Herminia est descendue pour faire les cent pas. Je me suis mis à tourniquer la manivelle comme un malheureux.

Avant que le pneu crevé ne quitte le sol je me suis arrêté pour dévisser les goujons plus facilement. J’ai ôté l’enjoliveur et j’ai regardé sans piger tout de suite. Contre le moyeu se trouvait une petite enveloppe de carte de visite maculée de cambouis. J’ai ouvert l’enveloppe ; à l’intérieur se trouvait un reçu de recommandé. Vous me croirez si vous voulez mais je n’ai pas éprouvé une surprise exagérée. Il y a des moments où l’on accepte le merveilleux sans s’étonner.

Herminia qui me regardait a demandé d’une voix étrangement calme.

— C’est le reçu ?

— Oui…

— Quelle est la localité ?

— Cagnes…

Elle a appuyé la main sur sa poitrine comme pour contenir les violences de son cœur. Je me suis assis à côté d’elle sur le talus. Le tampon de la poste de Vizille portait la date du 27, j’avais eu raison sur toute la ligne.

— C’est tout près, ai-je murmuré. On va aller coucher à Cagnes, près de nos millions, hein ? Et demain, à l’ouverture…

— Et comment !

Après un choc semblable j’ai mis au moins une demi-heure pour changer la roue. Mes mains étaient plus molles que de la ouate.

On s’est retrouvé derrière le pare-brise comme deux amoureux qui viennent de fauter pour la première fois et n’en sont pas encore revenus.

J’ai ri, d’un rire chevrotant de vieillard.

— Qu’est-ce que tu penses de ça, Herminia ?

— Mon père dit toujours que le hasard a le dernier mot.

— C’est un homme sage. Tu ne parles jamais de lui. Où vit-il ?

— Oh ! par là…

Mais je me foutais de son vieux et j’ai vite écrasé.

— Dis, ma gosse, on a passé près de la tasse, hein ? Mais il y a un bon Dieu pour les assassins…

— Il faut croire…

— En route pour l’Italie, demain ?

— Oui…

— Et les dollars ?

— Eh bien ?

— Comment vais-je les passer ?

— Je les mettrai dans une gaine que j’achèterai tout exprès.

— Ça va modifier ton tour de taille ; tu auras l’air d’être enceinte.

— Je souhaite à toutes les femmes grosses d’accoucher de vingt et quelques millions…

— On passera également ramasser les dix autres sur mon compte. Je me sens goinfre… Et après… l’Italie ? Je ne tiens pas à y moisir.

— Penses-tu ! Nous trouverons un avion pour l’Afrique du Nord… Une fois là-bas, en route pour Tanger… Depuis Tanger le monde est à nous…

— D’autant plus que c’est le pays des faux papelards…

Tout en devisant nous sommes arrivés à Cagnes. Il y avait une chouette hostellerie aux portes de la ville. Nous y sommes descendus et je me suis grouillé de planquer la bagnole dans le garage de l’établissement. Ensuite j’ai pris une chambre sous un faux blaze. Si près du but, je sentais ma méfiance à vif. Je ne voulais pas échouer. Ce qui m’arrivait était trop beau. On allait faire ce qui était prévu, c’est-à-dire ramasser le paquet d’osier et mettre les cannes.

Une fois là-bas, je ferais cadeau au pays du Dante d’un second cadavre, car j’avais suffisamment d’expérience pour savoir qu’un couple recherché ne va jamais très loin. Et puis Herminia savait qui j’étais et je ne pouvais pas prendre le risque de la laisser derrière moi avec un secret pareil… Même les millions ne lui feraient pas tenir sa langue. Il arrive fatalement un instant où les gonzesses les plus chouettes, les plus intelligentes, les plus aimantes et les plus discrètes l’ouvrent…

Bien sûr, ça me ferait de la peine de l’allonger, celle-là, après les multiples services qu’elle m’avait rendus.

Et cependant c’était la seule solution.

Je suis entré dans la salle commune de l’auberge. Elle était décorée dans le style ancien, avec énormément de cuivres et de meubles encaustiqués.

— Il paraît que la spécialité du patron c’est le loup au fenouil, m’a dit Herminia. J’en ai commandé un…

Ce soir-là nous avons bouffé et fait le reste avec la fureur que communique la proximité d’un tel nombre de millions.

CHAPITRE XVI

A sept heures nous nous levions le lendemain matin. C’était décidément le grand jour. Nous allions enfouiller le gros paquet et, franchement, j’étais un peu ému…

On nous a servi le jus dans un coin de la salle, près de la fenêtre. Il faisait un temps magnifique, un vrai retour de l’été… Tout était blond, joyeux, soyeux…

Je trempais un croissant dans mon caoua lorsque mon regard est tombé sur un canard de la région posé sur une table voisine. A l’envers j’ai lu le gros titre de la une et mes gencives se sont arrêtées de polker.

« LE TUEUR KAPUT EST SUR LA CÔTE »

Je me suis précipité sur le baveux. Au-dessous du titre il y avait ma photo, toujours la même, celle qu’on m’avait tirée au moment de ma dernière arrestation. Là-dessus je faisais un peu « voyou blême ». Depuis je m’étais étoffé et mon regard avait perdu cette expression de gamin traqué. D’autre part, avec mes tifs décolorés, j’étais méconnaissable.

Herminia s’est arrêtée de tortorer aussi et, joue contre joue, nous avons ligoté l’article.

Tout de suite j’ai pigé que j’étais tordu : on avait percé à jour l’identité sous laquelle je me cachais et tout ça parce que j’avais commis une connerie monumentale…

Le vélo noir que j’avais embarqué n’appartenait pas au flic. C’était celui d’un garçon boucher venu dans le quartier faire une livraison. Des voisines embusquées derrière leurs rideaux m’avaient vu chouraver la bécane et le louchébem était allé porter le deuil au commissariat en étalant le blaze à Rapin. Le commissaire, qui attendait le retour de son agent, s’était empressé de grimper « chez moi » et il avait découvert le cadavre de son archer. Mes empreintes relevées un peu partout avaient fourni ma véritable identité car ma fiche signalétique se baguenaudait dans tous les postes de police de France et de Navarre.