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Devant la porte du bistrot, la petite môme rabougrie me regardait avec cet air grave qu’ont parfois les petites filles.

Elle devait me prendre pour quelqu’un de fabuleux, arrivé du fin fond de ses rêves…

Je lui ai fait signe d’approcher et, lorsque, tremblante d’émoi, elle a été devant moi, je lui ai tendu l’Alsacienne.

— Tiens, prends, c’est pour toi.

Une petite fille pauvre à qui l’on offre une belle poupée ! Combien de midinettes n’a-t-on pas déjà fait chialer avec ça ? Je m’en foutais de me jouer le grand feuilleton de la Veillée des chaumières !

Elle a saisi l’Alsacienne avec précaution. Puis elle a couru à la lourde et, brutalement, pétrifiée, s’est arrêtée.

— Merci ! a-t-elle lancé à pleine voix.

Elle s’est envolée comme une alouette. Son merci n’en finissait pas de planer dans la pièce.

Il m’a fait du bien. Un bien profond, inconnu… Un bien qu’on ne peut éprouver que lorsqu’on est un salaud comme moi.

Ce régal de l’âme valait vingt et quelques millions.

Franchement c’était pas cher.

Je me suis penché sur mon omelette. Elle était déjà froide. Froide et trop salée ! Mais ça devait venir de mes larmes !

Troisième épisode

PAS TANT DE SALADES

CHAPITRE PREMIER

Ça faisait au moins deux jours que je n’avais rien bouffé et je commençais à avoir l’estomac qui faisait bravo. La flotte des fontaines et les rares pommes véreuses oubliées sur les talus, c’était plutôt chétif, vous admettrez ! J’avais la tremblote comme le centenaire de votre village et ça m’humiliait quelque peu.

Enfin, je suis arrivé un soir dans une petite ville où sévissait une fête foraine et je me suis dit que le moment était venu de rectifier mon standing. Du train où allaient les choses, j’allai sombrer dans la cloche sous peu et je me voyais pieuter dans les locaux de l’Armée du Salut à brève échéance, à côté de tous les pouilleux de France et de la périphérie.

Je crois que ce sont les lumières et la musique qui m’ont revigoré. Je me suis planté devant un marchand de gaufres en plein air et, avec attendrissement, j’ai regardé les mômes et les amoureux mordre dans cette sorte de néant sucré…

La foule, c’est le gros remède des mecs dans ma situation ; elle les réconforte à cause, je suppose, de la chaleur qu’elle dégage et du bruit informe qui étourdit… Oui, c’est comme un doping.

Je me suis mis à renoucher autour de moi, en quête d’une poche pas trop hermétique dans laquelle je pourrais plonger deux doigts en pince de piqueur. Mais les nabuts planquent leur crapaud dans la poche du futal et pour aller le pêcher là-dedans il faut vraiment être outillé. J’essayais pas de m’y risquer. Qu’un peigne-cul s’aperçoive de quelque chose et ça allait tout de suite être le grand cri dans le patelin.

Je voyais déjà se profiler, en ombres chinoises, la silhouette des pandores… Le cambron, mon identification, tout ça s’enchaînait et me conduisait rapidos aux assiettes ! Non, fallait pas risquer le paquet dans un coup fourré minable. Je n’aurais pas été fiérot de me faire crever pour un délit de bricoleur. Kaput surpris au moment où il volait le porte-monnaie d’un cultivateur ! Vous voyez d’ici le topo ? C’est pour le coup que le mitan se fendrait la tirelire comme un seul homme !

Je m’étais arrêté précisément devant le manège des petites bagnoles tamponneuses et je regardais la jeunesse jouer les as de formule I avec de grands cris et des rires crétins… C’était bath comme spectacle, bien susceptible de tenter le pinceau d’un peintre de mouvement… Les petits baquets de couleur sur la piste de tôle, le trolley fleuri d’une perpétuelle étincelle bleue, raclant le grillage électrifié… Oui, ça me faisait plaisir à regarder…

La patronne du circus se tenait à la caisse, bradant les tickets à tout va car il y avait queue. Son bonhomme, un gros zig nourri au gaz de ville, actionnait les commandes du manège. C’était lui qui filait les coups de klaxon annonciateurs des départs et des arrêts, lui qui branchait le courant et qui lançait les coups de gueule lorsque des marmots chahutaient sur la plate-forme de bois bordant la piste.

Son employé, un grand sidi jeune et triste, récupérait les tickets à bord des véhicules. Il était souple comme un chat et sautait d’une voiture à l’autre sans poser le pied sur la tôle luisante. Il ne se tenait même pas… Quand il avait à peu près fini son compostage, le Vieux des commandes branchait le jus et les petites autos multicolores reprenaient leur ronde idiote tandis que l’arabe achevait en voltige de déchirer les billets des deux dernières. Son numéro d’acrobatie faisait partie du spectacle… Ceux qui attendaient leur tour, les pas vergeots qui n’avaient pu se farcir une guindé, tuaient leur envie de conduite en regardant bondir le félin.

J’allais m’arracher à cette contemplation, lorsqu’il s’est produit quelque chose. C’est marrant, je crois que par moment je suis doué d’une double vue… Probable que la faim vous affûte la gamberge… On voit les choses un poil de seconde avant qu’elles ne se produisent. C’est ainsi qu’au moment où je m’apprêtais à passer mon chemin, un pressentiment m’a cloué sur le sol… J’ai vu…

Le nordaf sautait de la dernière voiture vérifiée. Il allait prendre place sur la plate-forme, comme de coutume, mais une bousculade s’est produite, rapport à deux troufions qui chahutaient et il a été refoulé sur la piste au moment où une voiture fonçait droit sur lui. Il y a eu un choc, des cris… Le gnard du manège a illico coupé le contact… Des mecs se sont rués… L’arbi se tordait sur la tôle avivée par le frottement. Il avait la cheville brisée et le bas de sa flûte branligotait de gauche à droite. Le pauvre était vert pomme avec des lèvres entièrement décolorées. Il souffrait tellement qu’il ne pouvait piper mot, alors il a pris le parti le plus sage : celui de se payer un valdingue dans le cirage… Pendant ce temps de bonnes âmes l’ont coltiné jusqu’au troquet de la place en attendant une tire pour l’évacuer sur l’hosto du canton.

Le manège s’est arrêté un bon quart d’heure car le patron, bonne âme, avait tenu à assister son employé…

Je l’ai vu radiner du bistrot, un peu pâle, le front soucieux, se mordant les lèvres avec ennui.

— Dites donc, patron…

Il m’a regardé, comme un type qui rêve, sans paraître me voir.

— La jambe cassée, a-t-il dit, ç’aurait pu être plus grave.

— Oui… Deux mois de plâtre et il pourra danser le jerk. Vous n’avez plus personne pour vous aider ?

— Non. Va falloir que je fasse seul en attendant…

Il a eu un regard triste vers la file des péquenods qui se pressait déjà autour du manège.

Il devait se livrer au méchant calcul mental, le zig… Evaluer qu’à tout faire il perdait environ un tour de manège sur cinq. C’était pas jouissif, d’autant plus qu’on arrivait en fin de saison. C’était le moment de bourrer au maxi.

— Ecoutez, j’ai vu travailler vot’gars. C’est pas sorcier… Si vous voulez de moi je peux en faire autant, le saut de la mort excepté !

Alors là, j’ai presque aperçu le frémissement qui lui cavalait le long de l’échiné.

— Vous ? a-t-il murmuré…

Il m’a regardé enfin… Le spectacle n’était pas formidable… J’avais laissé pousser ma barbouze et je ressemblais plus à une cloche de la Mouf qu’à Robin des Bois. Et puis, m’est avis que je devais cocoter un brin. Quand on dort à la belle étoile c’est fatal…