— Ce sera cher ?
— Quoi donc ?
— Ce mirage ?
— Assez…
Il a levé sa coupe de Champagne et a regardé la montée joyeuse des bulles dans le liquide effervescent.
Je ne me suis pas pressé de le questionner. Au point où nous en étions, lui et moi, ça pouvait attendre.
A mon tour, j’ai levé la coupe pour voir le fourmillement radieux du Champagne. Puis j’ai bu voluptueusement le cher liquide… Ça faisait plusieurs semaines que je ne m’étais pas cogné du Brut. Celui-ci était fameux.
J’ai posé ma coupe vide sur la table et je me suis tourné vers la cheminée. Le Vieux s’est penché pour jeter deux grosses bûches dans l’âtre, ce qui a provoqué comme un minuscule feu d’artifice. Un brusque rougeoiement a incendié sa face crispée.
— Que faudra-t-il faire ? ai-je questionné, à bout de patience…
Il a attendu un peu, puis, joignant ses mains, il a dit :
— Tuer un homme !
CHAPITRE III
J’ai cessé de douter de la raison du vieillard. Maintenant j’étais certain qu’il n’avait pas de court-circuit dans la pensarde. Je me trouvais en face d’un homme méthodique sachant ce qu’il voulait et parfaitement décidé à faire n’importe quoi pour arriver à ses fins.
— En effet, ai-je murmuré, c’est cher…
J’ai regardé autour de moi, de mon air le plus dubitatif.
Il a alors étendu sa main décharnée sur laquelle saillaient de grosses veines violettes. J’ai vu cette dextre s’avancer sur ma personne ; elle me répugnait comme si c’eût été une araignée. Pourtant je n’ai pas bronché.
— Ecoutez-moi bien, a repris le vieillard, vous pouvez parfaitement m’assassiner et dévaliser les quelques objets de valeur qui peuvent se trouver dans cette maison. Je tiens à vous avertir que la mort ne m’effraie pas.
Parole d’homme, je n’avais pas eu cette pensée un seul instant. Ça m’a fait froncer les sourcils.
— Autre chose, a-t-il repris, si ma proposition ne vous convient pas, vous pouvez quitter cette maison…
Je suis resté dans le cirage, mijotant l’aventure auprès du feu. J’aime bien l’odeur du bois qui brûle… La chaleur était odorante comme un gâteau en train de cuire.
— Qui me prouve que vous tiendrez parole ? ai-je dit… Supposons que je marche dans la sale combine et que j’envoie votre bonhomme au paradis…
— Il ne saurait aller ailleurs qu’en enfer.
— … ou en enfer… Et supposons qu’ensuite vous me laissiez quimper ou même mieux, que vous me balanciez aux flics. J’ai déjà été mordu une fois dans un coup de ce genre…
Il a haussé les épaules.
— Ecoutez, monsieur heu… Kaput, je crois ?
Là il a ricané, ce qui m’a déplu. Il ne fallait pas qu’il me prenne pour un larbin du meurtre, sinon j’allais le faire changer d’avis avant longtemps.
— Je suis Alfred Bertrand… Ce nom ne vous dit rien à vous, mais il est très connu de Tout-Paris. J’ai eu longtemps le plus gros cabinet d’affaires de la Bourse… Je possédais une écurie de courses, un avion particulier, des maîtresses célèbres… Et quand je voulais coucher avec une actrice, je commanditais son prochain film !
Il a déballé ça avec l’orgueil du mâle… Il était vieux, mais son passé lui tenait chaud au cœur.
— Ceci pour vous dire que je n’apprécierais pas qu’on trouve mon nom associé à celui d’un gangster. Je suis téméraire, mais prudent. C’est en se méfiant de tout le monde et en faisant confiance à beaucoup qu’on arrive. La vie c’est une succession de risques…
Il s’arrête, caresse sa moustache blanche.
— Vous comprenez ?
— Yes, I do !
— Bon. Je vous fais donc confiance. J’ai pu suivre vos aventures au hasard des journaux et me faire une opinion sur vous. Je me suis rendu compte que vous étiez quelqu’un de bien… dans votre spécialité.
Là il se marre. Son rire découvre des dents blanches qui sont bien à lui. Le haut de son visage devient dur. Ses yeux sont fixes.
— Vous tuez l’homme et je tiens parole…
— Comment m’avez-vous reconnu ?
— Quelle question idiote ! En vous regardant, parbleu ! Je passais tantôt sur la place tandis que vous construisiez le man gt… Votre visage m’a frappé car je suis terriblement physionomiste. Je vous ai regardé attentivement en songeant que vous ne m’étiez pas inconnu… De retour chez moi je me suis souvenu et j’ai vérifié ma trouvaille en recherchant de vieux journaux à la cave… C’est tout !
— Ah oui…
Je réfléchis un instant.
— Qui c’est, le gars à buter, une huile ?
Le Vieux se renfrogne.
— Une huile, en effet, c’est pourquoi ce sera particulièrement malaisé, je vous préviens tout de suite…
— Et je toucherai combien ?
— Beaucoup…
— J’aime la précision…
— Combien souhaiteriez-vous ?
— Je veux dix millions !
Il pige la nuance et réprime un geste d’humeur.
— Je vous en donnerai vingt si c’est bien fait !
— Vous les avez ?
— C’est parce que je vis chichement dans une pièce et que je roule en 2 CV que vous doutez de ma solvabilité ? Rassurez-vous. Je ne suis qu’un ermite volontaire et j’ai pas mal de galette. Quand on vieillit, on commence à se retirer du monde. Lorsque l’homme sera mort, je pourrai à mon tour crever tranquille, et c’est pourquoi l’argent ne m’intéresse plus.
— Il me faut une avance, une bagnole… N’oubliez pas que je suis recherché… J’ai besoin de me camoufler sérieusement…
— J’ai songé à tout cela…
— Alors O. K… On commence quand ?
— Allez dormir… On ne fait rien de bon lorsqu’on est fatigué… Demain matin je vous appellerai… Vous trouverez bien une chambre à votre convenance dans cette bâtisse !
Le lendemain, il m’a appelé en effet. Il était très tôt et les vitres sans rideaux de la pièce que j’avais adoptée se teintaient à peine d’un vilain gris opaque.
Il était là, drapé dans une vieille robe de chambre noire à brandebourgs rouges qui lui donnait vaguement l’air d’un vieux manager de boxe. Ses cheveux blancs étaient drus pour son âge.
J’ai ouvert les yeux avec peine. Le lit où j’avais atterri était mœlleux comme de la Chantilly… Il ne comportait pas de draps mais je m’en foutais… Sous les couvrantes j’avais accumulé une bonne chaleur animale…
— Levez-vous, m’a dit Bertrand… Il est temps d’envisager les choses de plus près…
Je lui ai filé le train jusqu’à sa tanière… Une cafetière était nichée dans les braises de l’âtre et ça reniflait bon le caoua tout frais.
Il m’en a servi un plein bol. Il y avait des biscottes et du beurre.
Tandis que je briffais, il me considérait avec un vif intérêt comme on regarde une voiture dont on vient de faire l’emplette, en se demandant si le rodage terminé, elle vous donnera bien les satisfactions qu’on en attend.
— Maintenant, allez faire votre toilette. Il y a une salle de bain à côté de la cuisine.
— Merci.
Je suis revenu un quart d’heure plus tard, le torse nu, tout rosi par le contact de l’eau froide. Je m’étais rasé et je tenais la grande forme.
— Vous avez bien fait de ne pas passer vos vêtements, observa-t-il, je vous en ai préparé d’autres…
Il m’a montré quelque chose de noir sur son lit. Je me suis approché. C’était une soutane de curé. Alors là, j’ai renaudé.