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Alors, après tout, pourquoi ne risquerais-je pas le gros pacson ? Supposons que je parvienne à démolir Carmoni, du coup je deviendrais un super-caïd du mitan et j’aurais tous les truands de France et limitrophe à mes pieds… Ça méritait réflexion.

— Ça va, je vais essayer de gagner vos vingt-cinq briques, monsieur Bertrand…

Il n’a pas soupiré, à proprement parler, mais j’ai vu sa poitrine se soulever un peu plus.

— Je savais, a-t-il murmuré.

— Vous avez une idée de l’endroit où je pourrais avoir des nouvelles de Carmoni ?

— Pas la moindre… C’est à vous de voir…

— C’est vraiment du gâteau que vous me proposez là, décidément…

— Vous réussirez !

Il a parlé d’un ton rauque. Ses yeux étaient plus acérés que d’ordinaire. On aurait dit la pointe de deux couteaux bien affûtés.

— Vous ne bougez pas d’ici ?

— Non…

— Vous tiendrez le fric à ma disposition lorsque le moment sera venu… s’il arrive ?

— Il arrivera. Comptez sur moi, l’argent sera là.

— Pas de chèque, je vous préviens !

— Me prenez-vous pour un gamin ? Vous aurez du liquide et des billets dont les numéros ne seront pas relevés, croyez-moi ! Mettez-vous bien dans la tête que nous passons un marché. Et renseignez-vous sur mon compte : je n’ai encore jamais failli à ma parole !

Il ne m’a pas tendu la main et je n’ai pas fait le moindre geste dans ce sens non plus. Je savais que si je lui présentais ma paluche il la serrerait, mais que ça lui déplairait. Lui c’était un ancien type de la haute, et moi un simple gibier de potence !

Le fossé qui nous séparait ne pouvait être franchi à pieds joints.

CHAPITRE IV

La jauge indiquait qu’il restait peu de tisane dans le réservoir de la bagnole.

Je me suis arrêté à un poste pour faire le plein.

Au volant de ce tréteau, je me sentais quelqu’un de respectable. J’imaginais que j’étais un honnête chef de Service, au Ministère des Travaux Finis, et que j’allais au boulot, peinard, dans le jour brumeux.

J’aurais été au volant d’une grosse ricaine, ça n’aurait pas été du kif, mais cette honnête bagnole de bureaucrate me plongeait dans un bain idéal. Je suis descendu pour me rendre au lavabo et j’ai examiné ma frime dans la glace. Franchement, je m’étais transformé. Le collier de barbe bien taillé me donnait l’air de n’importe quoi, sauf d’un gangster.

Je suis reparti pour Paris… Il m’a fallu une heure pour l’atteindre, mais après ç’a été bon… Cette odeur, ça faisait un bout de temps que je ne l’avais pas reniflée ! Elle valait le déplacement !

Mon premier mouvement a été de descendre dans un hôtel sous un faux blaze, ou bien en m’inscrivant sous celui de Bertrand, puisque j’avais un permis de conduire bricolé à ce nom. Mais réflexion faite j’ai préféré m’abstenir. C’est par le lit que la police arrive à ses fins. Tôt ou tard, un type en cavale a besoin d’un tas de laine sur quoi s’étendre et il vient donner tête basse dans les pièges à rats que sont les hôtels et autres garnis. Les patrons de ces crèches bouffent à la grande gamelle pour la plupart.

Puisque je disposais d’un domicile, chez Bertrand, mieux valait l’utiliser. Bien sûr, c’était loin de Paris, mais du moins m’y trouvais-je en sécurité !

Le premier turbin consistait à me procurer un de ces ustensiles qu’on ne trouve pas au Salon des Arts ménagers et qui crache des noyaux de plomb. Seulement, c’était pas le quincaillier du coin qui pouvait m’approvisionner ; d’autre part, si je me mettais à draguer dans les taules susceptibles de m’en fournir un, ça n’allait faire qu’un cri dans la capitale que le gars Kaput était de retour ! Alors je me suis dit qu’il valait mieux commencer le boulot sans outil ; j’avais pas mal de terrain à déblayer avant d’en arriver à cette phase de l’opération. Si vraiment il me fallait une pétoire, je chargerais Bertrand de m’en procurer une. Vu son grand âge il devait avoir droit à un permis…

J’ai remisé ma trottinette sur le boulevard Saint-Michel et je suis entré dans un troquet pour réfléchir. Quelque part dans Paris se trouvait Carmoni et j’ignorais où. Fallait tout prendre à la base ; un drôle de turbin en vérité. La seule chose que je savais de sa pomme c’était qu’il contrôlait la drogue… Je n’avais donc que ce chemin de praticable… Il était tortueux et semé d’embûches de toutes sortes.

Autour de moi c’était plein d’étudiants noirs qui buvaient des cafés-crèmes ( !)… Ça discutaillait ferme en bougnoule, à grands renforts de rires blancs… Ils semblaient aussi heureux que moi d’être à Paris et de regarder les allées et venues de la foule… Ça les changeait des palétuviers roses et des ouistitis pendus par la queue !

J’ai vidé mon verre de vin blanc — un gentil muscadet, discret comme une toux de jeune fille — et j’ai senti que je devais m’accrocher fort à la question drogue. Jusqu’ici je n’avais pas la moindre relation dans cette branche. En aurais-je eu que je n’y aurais pas fait appel, car ce sont les amis et connaissances qui vous enfoncent dans la mélasse. Si j’agissais rigoureusement en solitaire, j’avais une chance d’arriver à quelque chose…

Pour débuter, il me fallait donc mettre la patte sur un drogué et le prendre « entre quat’yeux » !

En remontant, j’arriverais peut-être jusqu’au bon Dieu ! Seulement, il était dix plombes du mat et pas un type se bourrant le pif ne pouvait être levé à pareille heure ; il fallait être gentil et ne pas confondre les drogués avec les laveurs de trottoirs que je voyais évoluer devant moi.

Le quartier me plaisant, j’ai laissé ma tire où elle était et je suis allé musarder au Luxembourg. Il y avait déjà des amoureux qui se bouffaient le groin sous les arbres jaunis et des mômes en rupture de classe lançaient des contre-torpilleurs en papier sur le bassin. Ce qu’il faisait doux et tendre ! Ce que la vie était pure à renifler !

J’ai arpenté tout le jardin, m’arrêtant devant les courts de tennis où des jeunes vierges à gueule de girl-scouts faisaient des balles ; devant les jeux de boules où de vieux mirontons essayaient de dompter leurs sciatiques !

Et midi est arrivé bêtement… Ça a crevé sur Paris comme mille bourgeons éclatant douze fois de suite !

J’ai bouffé dans un restaurant… Ensuite ciné… Un beau film un peu pleurard mais de bon ton… Puis re-ciné, re-gueuleton dans un restaurant chinois…

J’ai décidé de me payer les Folies-Bergère… Je n’y étais jamais allé. Ça faisait un peu péquenod-qui-débarque, mais j’avais envie de reluquer de la jolie fesse et de battre des paupières dans de la lumière…

En attendant l’heure du spectacle, rue Richer, j’ai bu le café dans un bar… Il y avait des petites danseuses de la maison qui discutaillaient le morcif en attendant l’heure d’aller se filer une plume dans le train… L’une d’elles a demandé ce que devenait Gilberte… Une autre a répondu qu’elle était malade et qu’elle avait dû suspendre son numéro au « Cacatoès ». Pourquoi ai-je mentalement enregistré cette bribe de conversation ? Je l’ignore. Y a des moments où votre subconscient marne tout seul, comme un grand… Toujours est-il qu’après le spectacle ça m’est revenu dans le bocal, cette histoire de Gilberte qui n’allait pas au « Cacatoès »…

J’ai demandé à un aboyeur s’il connaissait une taule de ce nom dans les parages et il m’a dit que ça se trouvait dans une petite voie perpendiculaire aux Folies. Entre la rue Richer et les boulevards…