Sans plus bavocher, j’ai filé dans la pièce voisine… Je comptais sur mon calme et l’astuce machiavélique de mon plan pour lui cisailler le système nerveux ! Ça n’a pas raté. Au bout de deux minutes, elle m’appelait tant que ça pouvait.
J’ai couru à la cuistance, ça puait déjà vachement le gaz.
— Tu parles, mignonne ?
— Oui, oui… Arrêtez !
J’ai interrompu l’arrivée du gaz.
— Vas-y, je t’écoute…
— C’est un certain Pierrot qu’on appelle aussi le Dauphinois…
— Et où le trouve-t-on, ce pégreleux ?
— Je ne sais pas…
— Bon, dans ce cas, on va continuer…
— Je vous jure ! Il passe le soir, vers l’ouverture, à dix heures. C’est un gros type avec les cheveux en brosse et des chemises de couleur…
Je l’ai scrutée attentivement. Elle semblait ne pas me bourrer le crâne.
— Merde, il y a bien un endroit où on peut le trouver, non ?
Elle a hoché la tête.
— Je l’ai vu un matin, à l’apéritif dans un bar de la rue des Cloys… Il jouait aux cartes… Je ne peux pas vous dire si c’est son café attitré…
— Bon, on va aviser… C’est tout ce que tu peux me dire ?
— Oui, c’est tout !
— Dans ce cas, ferme ton bec !
Elle a eu droit à l’albuplast sur le museau. C’est radical. On n’entendrait plus parler d’elle avant un moment.
Je l’ai larguée dans la cuisine. Un instant, j’ai eu envie de rouvrir le robinet du gaz avant de mettre les cannes, mais je me suis abstenu… C’était pas la peine de faire du badaboum pour une souris de dernière zone. Si je me mettais à casser la cabane d’une dame de vestiaire, qu’est-ce que ça serait lorsque j’arriverais dans les hautes sphères ?
J’ai regardé l’heure. La pendulette d’onyx affirmait cinq plombes… Il faisait encore noye. Je n’avais pas le temps de rentrer à Fontainebleau, par ailleurs je me refusais rigoureusement à pieuter dans un hôtel… J’étais sur le palier de Nana lorsque l’idée m’est venue.
— Pourquoi pas ! me suis-je dit.
J’ai relourdé presto et je suis revenu à la cuistance chercher la poule. Elle n’avait que ses chasses pour s’exprimer, mais ils ne me racontaient pas des choses gentilles.
Je l’ai saisie à bras-le-corps et l’ai portée jusqu’à sa chambre. J’ai ouvert le lit et l’ai collée dans les draps. Puis je me suis allongé à côté d’elle… J’avais meilleur compte de pioncer at home. Ici, c’était du biscuit…
La chaleur de la fille m’a filé de la langueur dans la moelle épinière. Au bout d’un moment, je me suis mis sur mon séant et j’ai délié ses jambes.
— Tu m’excuseras, ai-je fait, mais j’aimerais prendre ma potion calmante avant de m’endormir…
Je m’étais pas gourré en supposant qu’elle était de l’autre bord. Tout en lui faisant une friction maison, je me disais que je lui jouais là une bien vilaine farce et ça me faisait rigoler de l’intérieur !
CHAPITRE V
Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, j’ai constaté que la souris en écrasait. Elle avait tourneviré une bonne partie de la nuictée, mais, ravagée par l’émotion et la fatigue, elle avait fini par s’endormir.
Je me suis poilé en loucedé et j’ai gagné son cabinet de toilette. Une petite friction générale et je suis devenu un crac. Avant de me casser, j’ai passé un coup de périscope dans la carrée de la vieille. Elle, par contre, ne ronflait pas… Elle avait les carreaux grands ouverts et les maniait comme des pistolets, heureusement, ils étaient chargés à blanc ! Sans quoi je me serais retrouvé à l’horizontale pour une chouette porcif d’éternité.
Je lui ai envoyé un baiser du bout des doigts, histoire de porter sa colère au paroxysme. Des fois que ça la ferait claquer de rage ? Parce que j’étais tranquille : les deux bonnes dames ne parleraient pas de l’aventure, la maison bourreman risquant de poser des questions pénibles… Elle devait pas avoir envie de voir les poulardins s’immiscer dans ses affures, Nana !
Il faisait un temps splendide et midi n’en finissait pas de dégouliner des clochers.
J’ai acheté un petit plan de Paname à un marchand de baveux et j’y ai cherché la rue des Cloys. C’était sur l’autre pente de la Butte. J’ai récupéré ma tire et pédalé à toute vibure jusqu’à la petite voie étroite indiquée par la bradeuse de blanche…
Plusieurs troquets se proposaient à ma sagacité. J’ai remisé mon char au bout de la street et je me suis annoncé dans le premier venu. Je suis tombé dans une taule à petits durs. Derrière le rade, y avait un louffiat qui n’avait pas dû voir le jour sous la latitude 47 !
Des mecs jouaient au rami à des tables de marbre. Lorsque je suis entré, ça a foutu la vérole dans le chantier. Un grand silence s’est étendu sur le troquet comme un suaire et c’est moi qui l’ai rompu. Avec ma barbouze, je faisais instituteur prétentieux.
— Salut, ai-je balancé au garçon… Pierrot le Dauphinois est-il ici ?
Il a hoché la tête.
— Connais pas…
— Un gros avec les crins taillés en brosse et des limaces voyantes.
Il a continué de hocher la tronche. Ou bien il ne connaissait pas, ou bien il n’avait pas envie d’en casser.
Je me suis fait la valoche après l’éclusage d’un blanc-Vichy.
J’ai été plus heureux dans le troquet suivant, because il était laga. Pierrot… Y avait pas besoin de se rencarder sur son curriculum ; il sautait aux yeux comme une conjonctivite affamée.
Je liche un second blanc-Vichy et je vais à sa table d’une allure louvoyante. Il tape les brèmes en compagnie d’un petit crevard à gueule blême qui sort d’un sanatorium ou qui va y rentrer.
Je mate Pierrot. Bonne bouille, mais regard un peu fuyant.
Il lève sa hure de sanglier débonnaire et me bigle d’un air prudent.
— Qu’est-ce que c’est ? fait-il gentiment.
— Je viens de la part de Nana, du Cacatoès…
Là, il tique un brin, pas trop…
— Je vois pas de qui vous causez…
— Bon, si vous ne voyez pas, c’est que vous n’êtes pas Pierrot le Dauphinois ; il est possible que je me gourre.
Il pose ses cartons et se lève.
— Une minute ! il fait à son partenaire.
Le crevard n’a pas l’air joyce de mon intervention ; sans doute tenait-il un filon de chance et craint-il que le charme soit rompu ?
Pierrot me demande :
— Qu’est-ce que vous me voulez au juste ?
— Vous parler de la part de Nana. C’est important…
— J’écoute…
— Vous croyez qu’ici c’est un coin pour ça ? On serait mieux en tête à tête…
Il hésite, mais devant la gravité de mon visage, se décide.
— Qui êtes-vous ?
— Un ami de Nana, simplement, je ne fais pas partie de la grande turne, si c’est ce que vous voulez dire…
— Pourtant, j’ai vu votre tête quelque part…
— C’est possible, le monde est petit !
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Y a du mou dans la corde à nœuds… Nana est emmouscaillée et elle m’a demandé de vous affranchir sur quelque chose dont vous devez avoir une vague idée…