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— C’est bon, où allons-nous ?

Je suis assez empoisonné par la question. Je ne sais où embarquer cette grosse gonfle, car je ne compte pas avoir avec lui un entretien à mots couverts. La discussion nécessiterait plutôt un ring de boxe qu’un confessionnal.

— J’ai ma bagnole, là, fais-je, on pourrait aller se garer dans une petite rue peinarde ?

Il accepte.

— Je reviens dans un quart d’heure ! annonce Pierrot à son partenaire.

Là, je le trouve un peu optimiste. Nous grimpons dans la 2 CV et je déhote vilain…

Je prends par les boulevards extérieurs et je passe sous un pont de chemin de fer… Nous voici dans une longue rue qui suit le remblai de la voie et qui est bordée à gauche par une palissade faite avec des traverses.

Le coin est désert, pire, inanimé ! On dirait une photo de film à désespoir.

Je stoppe.

L’instant d’agir est venu. Seulement, il ne va pas se laisser manipuler comme une clé à molette, le Dauphinois… Pour le raisonner il faudrait une arme et je n’en ai pas ! Une bagarre à bord de la voiture ne mènerait nulle part ; je risquerais même d’en prendre plein mon pif !

Ça me pousse à œuvrer par ruse.

Je joue le tout pour le tout en essayant l’arme psychologique.

— Tu disais que tu croyais m’avoir vu, gars, tu ne te gourrais pas… Imagine-moi un peu sans barbouze…

Le tutoiement ne l’affecte pas outre mesure. Il me défrime avec un intérêt non dissimulé.

— Je vais te dire, murmure-t-il, t’as eu ton portrait dans le canard, non ?

— Y a de ça…

Soudain il a un choc :

— Merde ! s’exclame-t-il… Tu serais ?

— Oui…

— Kaput ?

— En chair et en os !

Il paraît indécis.

— Eh bien, on peut dire que tu remplaces le fly-tox… Qu’est-ce que t’as liquidé comme pèlerins !

Il est tout humide d’un seul coup… Il me fait des petits sourires frileux et il se trémousse sur la banquette comme un asticot au soleil.

— Voilà, fais-je, je connais Nana, c’est une potesse à moi. Je sais que c’est toi qui la fournis en blanche. Seulement, il se trouve que moi qui te cause, j’ai un gentil stock de neige à brader.

La convoitise s’allume dans ses yeux comme les Boulevards à quatre heures en hiver !

— Sans blague ?

— Tu parles ! Je radine d’Italie… J’en ai piqué quinze kilos à un industriel milanais… Je me suis démerdé pour l’apporter ici et la planquer… Seulement, je ne vais pas m’amuser à la fourguer par cinq grammes, tu penses ! D’autant plus que je sais Carmoni à la tête de tout ça… C’est donc à lui que je veux m’adresser… Seulement ce zig est intouchable. Avec le Pape tu peux obtenir une audience… Pas avec lui !

Je regarde Pierrot.

— C’est toi qui vas me tuyauter, gars !

Il hoche la tête…

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Je ne suis qu’un maillon de la chaîne…

— Passe la pogne, ça se chante !

— Je te jure, Kaput, c’est pas du bidon… Tu sais bien que le gars est méfiant comme un renard ? Moi, j’ai la marchandise par un gnace qui la tient d’un autre et ainsi de suite…

— Bon, alors remontons les Champs Elysées… Qui te sert, Pierrot ?

Il me regarde.

— Ecoute, Kaput, on te connaît de réputation, on sait que t’es un rapide pour ce qui est de la grosse castagne, donc, je cherche pas à te bidonner ; seulement je vais tout de même te refiler un conseil : écrase !

— Quoi !

— Carmoni est installé. Il a ses barrages. Bon, supposons que je t’annonce le blaze de mon vendeur, supposons que lui te file celui du sien, le moment arriverait où tu tomberais sur la grille de filtrage ; tu penses que Carmoni n’est pas un môme… Ce serait trop simple…

— Je vais tout de même me rapprocher le plus possible, dis-je, j’arriverai bien en temps voulu à changer mes batteries.

— Que tu crois…

Je prends mon visage le plus sévère.

— Alors, Pierrot, ce nom ?

Il détourne le regard.

— Je peux pas faire ça, gars, il m’arriverait une tuile. Il a sa sourde, Carmoni… Dès qu’un mec se laisse aller, il trouve des peaux de bananes sous ses semelles !

— Dis-le quand même, Pierrot !

— Non ! Non, je ne peux pas faire ça !

Je le cramponne par sa cravate. Elle est en soie rouge pleine de tache et il y a une tête de cheval peinte à la main dessus. Ce bourrin a l’air infiniment navré d’être représenté à pareil endroit.

Je tire à moi, le Pierrot est un pleutre, ou alors mon identité l’a complètement commotionné.

— Ecoute, éructe-t-il, lâche-moi, c’est pas raisonnable, tout ça ; je suis là, je t’explique, je…

Il lui est impossible d’en dire plus. Je lui serre tellement la gargane qu’il ne peut plus passer d’air dans ses éponges.

Enfin, je dénoue mon étreinte et il aspire une grande goulée d’oxygène.

— Tu vas parler, gros con !

Il souffle comme un poisson hors de la baille.

— C’est pas raisonnable, répète-t-il.

— Parle ou je te fais manger tes dents !

Je lui mets un coup de boule dans la portion. Ses grosses lèvres éclatent et le raisin se met à pisser sur la tête de cheval.

— Tu réalises mal encore combien je suis méchant !

— Ecoute…

— J’écoute… Et me prends pas pour un cave parce qu’alors tu risques de te retrouver avec de la ferraille plein le ventre !

Soudain il me feinte sauvagement. Il a une ruade qui me met son genou dans le ventre, de son autre main il a délourdé pendant ce temps, et le voilà maintenant qui galope le long du remblai.

Je pousse un juron et, surmontant ma douleur, je me lance à sa poursuite.

Il est mahousse mais il droppe comme Jazy en personne. Pourtant j’ai pour moi l’avantage de la souplesse et je gagne sur lui. Il fait un rapide calcul, se dit qu’il n’aura pas le temps de rejoindre le pont du chemin de fer et que la vie est intense de l’autre côté de la voie. Alors, prenant son courage à deux mains, il gravit le remblai.

Je saute et parviens à lui choper le pied juste au moment où il arrive à la hauteur des voies. Il rue comme un forcené. J’ai l’impression de m’être engagé dans un rodéo et de dompter un poulain sauvage…

Une fois il s’arrache, mais je parviens à lui sauter dessus aussitôt.

D’un coup de boule dans la tête, je le calme. Sans que j’aie à le vouloir, mes mains se nouent à sa gorge par-derrière. Je vois sa grande gueule à l’envers.

Ses gros vilains yeux exorbités deviennent blancs, puis rouges. Il rue toujours mais plus mollement.

— C’est pas gentil, Pierrot, de vouloir feinter un ami. Je te parlais gentiment et voilà que tu te conduis comme une fillette, un gros lard comme toi !

Je le lâche :

— Allez, accouche, je suis pressé : le nom de ton vendeur, vite !

Il a toute sa personne parcourue par une sorte de « oui ».

— Je… Je vais parler, soupire-t-il.

Je regarde sur ma droite. Je vois radiner un train de marchandises…

— Alors, remue-toi…

— C’est Gérard, le patron du bar « Mélodie », rue Falguière…

— Tu en es certain ?

— Je le jure…

— Oh tu sais, le serment d’un type comme toi !