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Le cadavre du père Bertrand, m’attendant, là, sous une pile de caisses. C’était du plus haut macabre et, également, du plus haut comique. Le vieux m’avait projeté l’avant-veille sur une voie dangereuse où lui-même venait de trouver la mort. Adieu mes millions ! Je venais de bousiller des mecs et de me cloquer dans un merdier terrible en pure perte. Jamais je n’obtiendrais le moindre pellos !

Je pensais à ça en reprenant place dans la deux bourrins citron ! A ça et à pas mal d’autres choses aussi.

En tout cas, une certitude m’apparaissait : je tenais le bon bout en ce qui concernait Carmoni… Oui, je brûlais… Et il devait y avoir un drôle de conflit entre lui et feu le vieux Bertrand ! J’étais entré dans le circuit juste à temps !

J’ai enquillé la rue de Vaugirard. Rue Cambronne je n’ai plus pu y tenir : je me suis arrêté pour licher de l’alcool dans une brasserie. J’en avais trop besoin. J’étais sans emploi maintenant. Mon turbin de tueur à gages s’arrêtait là. J’étais automatiquement débauché par suite du décès de mon employeur ! Gentil, non ?

Heureusement que je me trouvais pas sans pèze. Il me restait deux briques et une tire… Je m’étais vu déjà dans un plus grand dénuement.

Au quatrième godet de fine, ça a commencé à chauffer sous ma coiffe. Je devais arrêter les libations car la biture me guettait, et un mec saoul n’a jamais inventé la pénicilline.

Pourtant, à en juger par la décision que j’ai prise, j’avais déjà franchi la cote d’alerte.

J’ai attendu la nuit en courant les cinés, comme de juste. Lorsque le noir est descendu sur Paris je suis retourné rue Falguière. Y avait de l’animation devant le bar à Gérard. La maison poultock s’en donnait à cœur-joie sur mon turbin. Et la presse en foutait un sacré rayon aussi. Comment qu’ils crépitaient du flash ces messieurs ! On se serait cru au 14 juillet ! Ça faisait frémir la paupière… Non, décidément, c’était pas le moment de s’aventurer dans l’immeuble. Qu’un dégourdingue m’interpelle et j’avais droit à l’excursion chez plumeau ! Recta on me reconnaissait, avec un tel congrès de perdreaux et de journaleux. Je me suis magné d’emprunter la première street à droite. Avec un vilain temps comme ça on devait se mettre à l’abri. J’avais eu une idée de poivrot en voulant retourner dans l’immeuble au bignou-clandé. Même si Carmoni y avait son état-major, c’était la dernière chose à faire…

J’ai suivi cette fois la rue Vaugirard jusqu’au bout et là j’ai obliqué à droite pour aller chercher le viaduc d’Auteuil.

Direction « Autoroute de l’Ouest, vous m’avez saisi ? » En quatre heures, avec ma brave petite gamelle à roulettes, je devait atteindre Le Havre… Là-bas, je fourguerais certainement ma tire. Une 2 CV trouve toujours preneur. Mettons qu’un arnaqueur m’en donne deux cents papiers, avec les deux tuiles du vieux je pouvais voir venir. J’en carrais une grosse partie, vite fait, à un capitaine de cargo pour qu’il m’emmène ailleurs… Aux Etats, si possible ; même en Afrique, si ça se trouvait ! L’essentiel pour moi était de mouler l’Europe pendant quelques années, histoire de me refaire une beauté.

J’ai contourné le Rond-Point de la Reine et traversé la Seine. Ensuite, j’ai passé le tunnel de l’autoroute et ç’a été la double voie, large et infiniment roulable.

Un éclairage du tonnerre illuminait cette espèce d’avenue plongeant dans la forêt.

Je me suis mis à siffloter. C’était bonnard de rouler à ces heures. Il n’y avait pas lerche de circulation, surtout dans mon sens à moi… J’étais doublé de temps à autre par un bolide qui passait à mes côtés comme un projectile. Je le laissais bomber ; d’abord parce que je ne pouvais pas filer le train avec le moulin à café servant de moteur à ma tire, ensuite parce que, franchement, je n’étais pas pressé. Toute frénésie m’avait quitté.

Tout à coup ma bonne quiétude s’est dissipée. J’étais gêné par la lumière de phares éclatant dans mon rétroviseur. A en juger par leur écartement il s’agissait d’une grosse bagnole… Ce qui me surprenait, c’est qu’elle ne cherche pas à me doubler… Je ne comprenais vraiment pas pourquoi une forte cylindrée s’entêtait à rester derrière moi, à cette allure d’escargot… Peut-être avait-elle une avarie et roulait-elle prudemment ?

Pour m’en rendre compte, j’ai filé un peu de sauce et la 2 CV a grimpé jusqu’à quatre-vingts comme une folle ! D’autor, la bagnole a forcé son allure derrière moi. Pas d’erreur : j’étais suivi…

La trouille m’a fait serrer le volant à m’en pulvériser les phalanges. Non pas, à proprement parler, la peur du danger, mais la peur de mon impuissance… Comprenez, j’étais seulâbre sur une vaste route, en pleine noye, et je ne disposais que d’une petite bagnole rampante !

Heureusement que je ne suis pas manchot du côté de la matière grise. Ce qu’il y a de chouette avec moi, c’est que la pensarde reprend toujours le dessus.

De toute évidence ce n’étaient pas les bourdilles qui me suivaient. Eux m’auraient alpagué sans se cogner des bornes et des bornes. Au besoin ils m’auraient même flingué avant de se donner le luxe des sommations d’usage.

— Alors qui ?

Je me suis surpris à prononcer cette petite phrase à haute voix.

— Alors qui ?

Je me suis fourni la réponse presque immédiatement : Les autres !

Oui, les autres, ceux de l’immeuble de Gérard ! Ceux chez qui aboutissait la ligne téléphonique secrète ! Ceux qui avaient achevé de ratatiner la servante… Ceux qui avaient buté Bertrand ! Ces gars-là ne devaient pas être des plaisantins. Je m’étais conduit comme une cruche en m’éternisant dans la cave du troquet, en retournant sur les lieux à deux reprises… Dans une petite rue pareille, je m’étais fait retapisser facile.

D’un seul coup, mon tracsir est parti.

Je ne voulais pas me faire poirer par ces fromages. Ils me poseraient quelques questions indiscrètes et m’enverraient à dame avant que j’aie eu le temps de dire « ouf » ! Non… Pas de ça, Lisette !

Je suis parvenu à la jonction de Dreux… Après ce carrefour l’autoroute n’était plus éclairée… J’avais ma petite chance…

J’ai mis la sauce afin de parvenir en haut d’une rampe. J’ai franchi celle-ci avec une cinquantaine de mètres sur mes poursuivants. Parvenu de l’autre côté de cette éminence, j’ai stoppé pile, éteint les phares et bondi dans le fossé.

Les autres s’annonçaient à ce moment précis. Le double pinceau d’or de leurs phares trouait la nuit.

Il y a eu un crissement de pneus. C’était une grosse bagnole amerlock… Elle s’est rangée devant la mienne… Un instant ç’a été le silence… Puis une portière s’est ouverte précautionneusement et une silhouette d’homme coiffé d’un chapeau mou s’est insinuée entre la voiture et le fossé. Le type était grand, costaud… Il portait un pardingue en poils de chameau. D’où j’étais, je pouvais le flinguer les yeux fermés. Il aurait eu droit à une couronne mortuaire pour son petit déjeuner ! Mais je me suis retenu à cause des autres occupants qui m’auraient de ce fait repéré et assaisonné dans mon trou à leur convenance.

Il fallait attendre…

Le type s’est approché de la 2 CV, à demi courbé.

Il me croyait toujours à l’intérieur de la voiture et se protégeait d’une bastos éventuelle derrière l’aile gauche de son gros tombereau.

Enfin il a eu un coup de cran et s’est redressé.

D’un bond il a été à cinquante centimètres de moi ; dos tourné. Ma main réchauffait la crosse du pétard… Je transpirais sur ce morceau d’acier… La détente me chatouillait le bout de l’index. Ça m’aurait fait bougrement plaisir de lui balancer le potage !