Il a ajouté, prouvant ainsi que le rital les avais mis au parfum pour le trésor :
— Les vieux, ça aime bien creuser des trous dans leurs caves !
L’idée était valable… Nous sommes descendus…
Le sous-sol comportait quatre caves… L’une était autrefois réservée aux spiritueux, à en juger par l’accumulation de tonneaux vides qui s’y trouvaient ; une autre au charbon, une troisième servait de débarras et une quatrième d’atelier. Il y avait dans cette dernière, un établi, une forge, et toute une flopée d’outils pour le travail du bois et du fer.
Je ne sais pourquoi, j’ai examiné particulièrement cette cave-atelier. Probable qu’elle m’inspirait ?
Elle me faisait découvrir une facette nouvelle du personnage. J’imaginais le Vieux, s’occupant à confectionner des trucs dans son terrier… Ça m’ouvrait des horizons, vous comprenez ? Si j’avais affaire à un bricoleur, le genre de planques différait…
Je me suis approché de la forge… Il y avait dedans des espèces de tubes en terre cuite dont je ne comprenais pas l’utilité… On eût dit des moules…
— Tu t’intéresses à la chaudronnerie ? m’a demandé Steve.
— Oui. Et le jour où je m’intéresserai à l’élevage des gorets, je te promets de me pencher sur ton cas en priorité !
Je touillais lentement les cendres de la forge… De toute évidence, on avait boulonné là depuis peu de temps… Des cendres friables subsistaient… Le temps, comme disent les empêchés du stylos, n’avait pas encore fait son œuvre ! Je me suis penché soudain sur une sorte de goutte jaune, solide… Je l’ai gratté avec l’ongle… Pas d’erreur, c’était du jonc… Alors là, le problème changeait d’aspect. Le vieux Bertrand, pas fou, avait transformé les billets de la banque de France en bon or pur… Et cet or, il l’avait modelé. Il lui avait donné un aspect innocent, il…
Comprenant que je venais de trouver un détail essentiel, les deux tartes ne se marraient plus. Ils me regardaient comme on regarde l’acrobate, au cirque…
C’était mince en fait de public, mais je tenais néanmoins à réussir mon numéro.
Pas de doute : les tubes de terre réfractaire avaient servi de moules pour les lingots que Bertrand avait fait fondre…
Je suis remonté, mes deux anges gardiens rivés à mes semelles, et suis allé dans la pièce où habitait le vieux… Aucun objet métallique… A partir du moment où son or avait pris une autre forme que celle des lingots, il avait pu le peindre. Alors là, n’importe quel métal a priori était susceptible d’être du jonc !
Quelque chose remuait au tréfonds de mon subconscient… Tout à l’heure j’avais éprouvé une vague surprise à cause d’un fait que je n’arrivais pas à me rappeler… Qu’était-ce, tonnerre de Zeus ? Voyons, un fait innocent m’avait obscurément troublé…
C’est en voyant les épaules athlétiques du gros Steve que ça m’est revenu… Oui, LE LIT ! Quand nous avions déménagé la pièce, j’avais enlevé les montants du lit… Et ceux-ci m’avaient semblé incroyablement lourds… Tellement lourds que je les avais désignés à l’armoire !
Le cuivre est moins lourd que l’or… De plus, les tubes du lit de cuivre devaient être pleins…
J’ai hésité. Cette découverte me permettait de chouraver la fortune du Vieux sans bruit. Les deux colosses pouvaient témoigner que je n’avais rien trouvé… J’aurais tout loisir, plus tard, de revenir chercher le lit en or ! ça méritait réflexion…
Mais je n’ai pas balancé longtemps. Si je continuais à remettre sans cesse en question ma ligne de conduite, j’en aurais pour un moment à me tirer d’affaire…
— Venez, les gars !
Je suis allé dans la chambre où se trouvait le pageot. J’ai gratté la peinture le couvrant… Oui, c’était bien du jonc. Du beau gold doré comme du miel de Savoie… Le Vieux devait pioncer là-dedans avec délectation… Fallait un malin comme moi pour découvrir le pot aux roses !
Je me suis retourné vers les autres…
— Le pageot est en or massif, les gars !
Ils n’en croyaient pas leurs chasses.
— En or ! se sont-ils écriés avec un ensemble de duettistes.
— Mordez la came !
Ils se sont penchés, ont touché…
— Merde !
— C’est pas le tout, faut charger ça dans la carriole.
Seulement c’était coton, because le vieux n’avait pas fileté l’or des barreaux. Il ne voulait pas en perdre… Tout était soudé.
— Jamais on va pouvoir charger ça dans la D.S., a soupiré Jœ. Faut commander une camionnette !
— C’est ça ! Pauvre branque ! Pourquoi pas un train de marchandises avec fourgons blindés.
Je me suis tourné vers Steve.
— Va chercher des scies à métaux dans la cave-atelier…
— Pas bête, a murmuré Jo.
Il me regardait d’un air bourré d’admiration, en caressant le lit comme il aurait caressé une cuisse de fille.
Ça faisait quelque chose de penser que ce pageot valait une pareille fortune. Maintenant que notre attention était axée sur lui, nous nous rendions compte de ses imperfections. Les tubes qui le composaient étaient garnis d’aspérités qu’il n’avait pas voulu élimer de crainte d’en perdre, le vilain ladre. Oui, c’était tout de même du boulot grossier…
Steve s’est ramené avec deux scies. J’en ai pris une et je me suis mis à scier le padock en deux… Jo m’a aidé en s’escrimant sur l’autre partie… Il nous a fallu trois bonnes heures d’un turbin acharné. La sueur dégoulinait sur notre front. Une poussière d’or couvrait le plancher et nous entassions les tronçons de lit dans un coin. Enfin tout a été découpé en morcifs ne dépassant pas le format d’un séchoir à linge.
On a coltiné chacun un pacsif important de jonc et on l’a chargé dans la guindé. Mais trois brassées ne suffisaient pas, il fallait s’y reprendre à deux fois.
Jo a lourdé le coffre et nous sommes revenus dans la cahute de feu Bertrand-l’orfèvre.
Croyez-moi, il existe un sixième sens pour les gars comme moi qui ont l’habitude de vivre en marge des lois. Un sixième sens qui avertit du danger pire qu’un voyant rouge.
Ça s’est produit brusquement lorsque j’ai eu mis le pied dans la turne. Une fois à l’intérieur j’ai senti qu’il allait se passer quelque chose. Steve et Jo ont échangé un regard que j’ai surpris… Leurs yeux brillaient d’une certaine façon, une façon que je connaissais bien, entre parenthèses.
Alors j’ai tout pigé, en une fraction de seconde… J’étais jobré de croire au barbu ! Vous imaginez, dans le fond, un crac patenté comme Carmoni se foutre en cheville avec un truand traqué comme Kaput ?
Fallait que l’orgueil humain soit tenace pour que je morde à pleines chailles dans cet espoir fallacieux. Qu’est-ce qu’il en avait à fiche, le rital, d’un pourri comme mézigue, hein ? Tout ce qu’il avait vu dans l’historiette, c’était que je pouvais peut-être lui dénicher l’osier. Alors il m’avait adjoint ses fines lames en donnant à celles-ci mission de me dégringoler avant de quitter la cabane à Bertrand !
Tu parles ! J’y voyais clair, soudain… C’était les puissantes illuminations… Pas besoin de me faire le grand taraud !
J’ai hurlé à pleins poumons, épouvanté par l’imminence du danger :
— Sortez vos mains de vos poches, tas de fumier !
Ils ont sursauté. Et ils ont extrait leurs paluches, seulement il y avait deux flingues au bout. Et des chouettes ! Pas du tout des arquebuses à amorces !