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— Pour l’amour de la Lumière, êtes-vous ivre, Elayne ?

L’aura entourant la Domanie s’estompa, et la Domanie avec elle. Nynaeve sut que le tissage avait disparu, mais elle regarda quand même dans le miroir, et vit avec soulagement Nynaeve al’Meara en robe bleue à taillades jaunes.

— Non, dit lentement Elayne, cramoisie, mais pas uniquement d’embarras.

Elle releva le menton et insista d’une voix glaciale :

— Je ne suis pas ivre.

La porte s’ouvrit avec fracas, et Birgitte tituba jusqu’au milieu de la chambre avec un sourire jusqu’aux oreilles. Enfin, peut-être n’oscilla-t-elle pas tout à fait, mais en tout cas, sa démarche était mal assurée.

— Je ne pensais pas que vous resteriez tous debout pour m’attendre, dit-elle avec entrain. Et ce que j’ai à vous raconter va vous intéresser. Mais d’abord…

Du pas raide de quelqu’un qui a trop bu, elle disparut dans sa chambre.

Thom fixa sa porte avec un sourire perplexe, Juilin avec un sourire incrédule. Ils savaient qui elle était, ils connaissaient la vérité. Elayne regardait le sol, furieuse. De la chambre de Birgitte leur parvint un clapotis, comme si on avait renversé un pichet par terre. Nynaeve et Aviendha échangèrent des regards embarrassés.

Birgitte reparut, le visage et les cheveux dégoulinants d’eau, et sa tunique trempée des épaules aux coudes.

— Maintenant, j’ai les idées claires, soupira-t-elle en s’asseyant dans un fauteuil. Ce jeune homme a une jambe creuse et des trous sous les pieds. Il a même bu encore plus que Beslan, et j’ai commencé à penser que le vin ne lui faisait pas plus d’effet que l’eau.

— Beslan ? dit Nynaeve d’une voix aiguë. Le fils de Tylin ? Qu’est-ce qu’il faisait là ?

— Pourquoi avez-vous toléré cela, Birgitte ? s’exclama Elayne. Mat va corrompre ce garçon, et sa mère nous en rendra responsables.

— Ce garçon a le même âge que vous, lui rétorqua Thom d’un ton guindé.

Nynaeve et Elayne se regardèrent, perplexes. Où voulait-il en venir ? Tout le monde savait qu’un homme atteint sa maturité, si maturité il y a, dix ans après une femme.

Toute interrogation s’évanouit du visage d’Elayne, et elle se retourna vers Birgitte, ferme et en proie à une colère explosive. Des mots allaient s’échanger, mots que les deux femmes regretteraient le lendemain.

— Si vous et Juilin pouviez nous laisser seules maintenant, dit Nynaeve, vu qu’il était très improbable qu’ils en voient la nécessité tout seuls. Vous avez besoin de sommeil pour être en forme demain matin.

Ils ne bougèrent pas, bouche bée comme des bouffons, alors elle reprit d’un ton plus ferme :

— Maintenant !

— Cette partie était terminée il y a vingt coups, estima Thom, avec un coup d’œil sur l’échiquier. Que diriez-vous d’aller dans notre chambre en commencer une autre ? Je vous concède dix pierres à placer comme vous voudrez n’importe quand dans la partie.

— Dix pierres ? glapit Juilin, repoussant bruyamment son fauteuil. M’offrirez-vous aussi de la soupe de poisson et du pain au lait ?

Ils marchandèrent jusqu’à la porte, mais s’arrêtèrent pour jeter un coup d’œil en arrière, pleins de rancœur boudeuse. Nynaeve les croyait bien capables de rester debout toute la nuit juste parce qu’elle les avait envoyés au lit.

— Mat ne corrompra pas Beslan, dit Birgitte avec ironie, comme la porte se refermait derrière eux. Je doute que neuf danseuses nues, munies d’une pleine cargaison de cognac, puissent le corrompre. Elles ne sauraient pas par où commencer.

Nynaeve fut soulagée de l’apprendre, bien qu’il y eût quelque chose de bizarre dans le ton de Birgitte – la boisson, sans doute – et que Beslan ne fût pas le problème. Elle le souligna, et Elayne renchérit :

— Non, il n’est pas le problème. Mais vous, vous êtes ivre, Birgitte ! Et j’en suis affectée ! J’ai encore la tête qui tourne si je ne me concentre pas. Le lien n’est pas censé fonctionner ainsi. Les Aes Sedai ne se mettent pas à pouffer comme des gamines si leurs Liges boivent avec excès.

Nynaeve leva les bras au ciel.

— Ne me regardez pas comme ça, dit Birgitte. Vous en savez plus que moi. Les Aes Sedai et les Liges ont toujours été respectivement des femmes et des hommes jusqu’à maintenant. La différence est peut-être là. Nous sommes sans doute trop semblables, termina-t-elle avec un sourire tordu.

Il n’y avait sûrement pas eu assez d’eau dans ce pichet.

— Cela peut se révéler embarrassant, je suppose, ajouta-t-elle.

— Si nous pouvions nous concentrer sur l’essentiel ? insista Nynaeve d’un ton pincé. Comme Mat ?

Elayne avait ouvert la bouche pour répondre vertement à Birgitte, mais elle la referma, sa rougeur maintenant due sans conteste au dépit.

— Bon, poursuivit Nynaeve. Mat viendra-t-il demain matin, ou est-il dans un état aussi piteux et révoltant que vous ?

— Il pourrait rappliquer, dit Birgitte, prenant une tasse de thé à la menthe de la main d’Aviendha, qui, naturellement, était assise par terre.

Un instant, Elayne fronça les yeux sur elle puis, allez savoir pourquoi, elle plia les jambes et s’installa près d’elle !

— Que voulez-vous dire, il pourrait ? demanda Nynaeve.

Elle canalisa, et le fauteuil où elle siégeait tout à l’heure flotta vers elle, et s’il se posa à grand bruit, ce fut volontaire. Boire avec excès, s’asseoir par terre. Quoi encore ?

— S’il s’attend à ce que nous venions le supplier à genoux…

Birgitte savoura une gorgée de thé avec un murmure de gratitude, et curieusement, quand elle releva les yeux sur Nynaeve, elle ne semblait plus ivre.

— Je l’en ai dissuadé. Je crois qu’il n’y pensait pas sérieusement. Tout ce qu’il demande maintenant, ce sont des excuses et des remerciements.

Les yeux de Nynaeve lui sortirent de la tête. Elle l’avait dissuadé de quoi ? Présenter des excuses ? À Matrim Cauthon ?

— Jamais, gronda-t-elle.

— Des excuses pour quoi ? s’enquit Elayne, comme si cela avait de l’importance.

Elle feignit de ne pas voir le regard furibond de Nynaeve.

— La Pierre de Tear, expliqua Birgitte.

Nynaeve tourna la tête vers elle comme une furie.

Birgitte n’avait plus l’air ivre du tout.

— Il dit qu’il est allé à la Pierre avec Juilin, pour vous libérer toutes les deux d’un cachot dont vous ne pouviez pas sortir toutes seules.

Elle secoua la tête, fascinée.

— Je ne sais pas si j’aurais fait ça pour quiconque à part Gaidal. Pas à la Pierre. Il colporte que vous l’avez remercié par-dessus la jambe, et qu’il a eu l’impression d’avoir de la chance que vous ne le bourriez pas de coups de pied.

C’était vrai, en un sens, mais déformé. Mat s’était amené, avec son sourire moqueur, racontant qu’il tirait les marrons du feu à leur place ou quelque chose d’approchant. Même alors, il croyait pouvoir leur dire ce qu’elles avaient à faire.

— Il n’y avait qu’une seule sœur Noire de garde dans les cachots, marmonna Nynaeve, et nous l’avions déjà neutralisée.

Exact, elles n’avaient pas encore trouvé le moyen d’ouvrir la porte, protégée par une garde.

— D’ailleurs, Be’lal ne s’intéressait pas vraiment à nous – nous étions là juste pour attirer Rand. Pour ce que nous en savons, Moiraine l’avait peut-être déjà tué.

— L’Ajah Noire, dit Birgitte, d’une voix aussi plate que les dalles du sol. Et l’un des Réprouvés. Mat n’en a pas parlé. Vous vous devez de le remercier à genoux, Elayne. Vous le devez toutes les deux. Il le mérite. Et Juilin aussi.

Nynaeve s’empourpra. Il n’avait jamais parlé de… Quel vaurien méprisable !