Le sourire de Nynaeve s’évanouit.
— Nous voulons aussi nous excuser d’avoir tant tardé à vous exprimer les remerciements que vous méritez si bien. Et nous nous excusons… humblement… – là, elle trébucha un peu sur le mot – … pour la façon dont nous vous avons traité depuis lors.
Nynaeve tendit une main suppliante qu’elle ignora.
— Pour vous prouver la sincérité de nos regrets, nous vous faisons les promesses suivantes…
Aviendha avait dit que les excuses n’étaient qu’un début.
— Nous ne vous déprécierons et ne vous rabaisserons pas de quelque façon que ce soit, nous ne vous crierons pas après quelle qu’en soit la raison, et nous… nous ne tenterons pas de vous donner des ordres.
Nynaeve grimaça, et Elayne pinça les lèvres, mais elle poursuivit.
— Reconnaissant l’intérêt que vous portez à notre sécurité, nous ne quitterons plus le palais sans vous dire où nous allons, et nous écouterons vos conseils.
Par la Lumière, elle n’avait aucune envie d’être une Aielle, aucune intention de parler ainsi, mais elle désirait le respect d’Aviendha.
— Si vous… si vous décidez que nous sommes… – non qu’elle eût l’intention de devenir une sœur-épouse, l’idée même était indécente ! – … que nous nous exposons inutilement au danger…
Ce n’était pas la faute d’Aviendha si Rand avait conquis leurs deux cœurs, et celui de Min, en plus…
— … nous accepterons des gardes du corps de votre choix…
Que ce fût destin, ta’veren, ou autre chose, ce qui était demeurait. Elle aimait les deux femmes comme des sœurs.
— … et nous les garderons aussi longtemps que possible.
Qu’il soit réduit en cendres pour lui imposer cela ! Et ce n’était pas à Mat Cauthon qu’elle pensait.
— Cela, je le jure sur le Trône du Lion d’Andor.
Elayne haletait comme si elle venait de courir un mile. Nynaeve ressemblait à un blaireau acculé dans ses derniers retranchements.
La tête de Mat pivota vers elles très lentement, et il abaissa le linge juste assez pour découvrir un œil injecté de sang.
— À votre façon de parler, on dirait que vous avez avalé un parapluie, ma Dame, dit-il d’un ton moqueur. Vous avez ma permission de m’appeler Mat.
Odieux individu ! Il ne reconnaîtrait pas la politesse même si elle lui mordait le nez !
Il dirigea son œil sanglant sur sa compagne.
— Et toi, Nynaeve ? J’ai entendu beaucoup de « nous » de ton amie, mais pas un mot de toi.
— Je ne vais pas te hurler dessus, lui lança-t-elle, enragée. Ni tout le reste. Je promets, espèce de… espèce de…
Elle s’étrangla, sur le point d’avaler sa langue, réalisant qu’elle ne pouvait pas le qualifier des noms d’oiseaux qu’il méritait sans rompre la promesse qu’elles venaient de lui faire. Pourtant, l’effet de son hurlement fut des plus gratifiants.
Il poussa un cri, lâcha le linge et se prit la tête à deux mains, les yeux exorbités.
— Que les Flammes emportent les dés ! gémit-il, ou quelque chose d’approchant.
Elayne réalisa soudain qu’il serait une très bonne source de langage imagé. Les palefreniers et leurs pareils stérilisaient toujours leur vocabulaire à son approche. Naturellement, elle s’était promise de le civiliser, de le rendre utile pour Rand, mais cela n’avait pas à interférer avec son langage. En fait, elle réalisa qu’il y avait des tas de choses qu’elle n’avait pas promis de ne pas faire. Ce devrait être une consolation considérable pour Nynaeve.
Après un long silence, il prit la parole d’une voix creuse.
— Merci, Nynaeve.
Il fit une pause et déglutit avec effort.
— J’ai d’abord cru que vous étiez d’autres femmes qui avaient pris votre apparence. Mais puisqu’il semble que je sois encore vivant, autant nous occuper du reste. D’après mes vagues souvenirs, Birgitte m’a dit que vous vouliez que je retrouve quelque chose pour vous. Quoi ?
— Tu ne le trouveras pas, affirma Nynaeve d’une voix ferme.
Enfin, peut-être d’une voix plus dure que ferme, mais Elayne ne jugea pas bon de la rappeler à l’ordre. Il justifiait toutes les réticences.
— On fait déjà machine arrière, Nynaeve ?
Il eut un sourire de dérision, particulièrement hideux à cause de ses yeux.
— Vous venez juste de me promettre de faire ce que je dirai. Si vous voulez un ta’veren apprivoisé tenu en laisse, allez voir Rand ou Perrin et voyez ce qu’ils vous diront.
— Nous n’avons rien promis de tel, Mat Cauthon, répliqua sèchement Nynaeve, se haussant sur la pointe des pieds. Je n’ai rien promis de tel !
De nouveau, elle semblait sur le point de lui sauter dessus. Même sa tresse se hérissait.
Elayne tenait plus fermement les rênes à sa colère. Elles n’arriveraient à rien en le matraquant ainsi.
— Nous avons promis d’écouter vos conseils et de les suivre s’ils sont raisonnables, Maître… Mat, le tança-t-elle doucement.
Il ne pouvait quand même pas croire qu’elles avaient promis de… Mais elle comprit que si, en le regardant. Par la Lumière ! Nynaeve avait raison. Il leur causerait des problèmes.
Elayne raffermit sa main sur les rênes. Canalisant, elle souleva la veste de la chaise et la suspendit à une patère, puis elle s’assit, disposant soigneusement ses jupes autour d’elle. Tenir ses promesses envers Maître Cauthon – envers Mat – et envers elle-même, serait difficile, mais rien de ce qu’il disait ou faisait ne pouvait l’affecter. Nynaeve lorgna le seul autre endroit où elle pouvait s’asseoir, un tabouret bas, et resta debout. Elle dirigea machinalement une main vers sa tresse, avant de croiser les bras, tapant du pied de façon inquiétante.
— Les Atha’an Miere l’appellent la Coupe des Vents, Maître… Mat. C’est un ter’angreal…
Malgré sa nausée, il éprouva une légère excitation.
— Alors ça, ce serait intéressant à trouver, murmura-t-il. Dans le Rahad.
Il branla du chef et grimaça.
— Voilà ce que j’ai à vous dire. Ni l’une ni l’autre ne mettra plus le pied de l’autre côté de la rivière sans cinq ou six de mes hommes. Ni hors du palais d’ailleurs. Birgitte vous a parlé du message qu’on a fourré dans ma veste ? Je suis certain de l’avoir mentionné. Et il y a Carridin et ses Amis du Ténébreux ; ne venez pas me faire croire qu’il ne mijote pas quelque chose.
— Toute sœur qui soutient Egwene comme Amyrlin est en danger de représailles par la Tour.
Des gardes du corps tout le temps ? Par la Lumière ! Une lueur dangereuse s’alluma dans les yeux de Nynaeve, et elle tapa du pied plus vite.
— Nous ne pouvons pas nous cacher, Maître… Mat, et nous ne nous cacherons pas. Nous nous occuperons de Jaichim Carridin en temps voulu.
Elles n’avaient pas promis de tout lui dire, et il ne fallait pas le détourner de la coupe.
— Il y a des problèmes plus importants.
— En temps voulu ? commença-t-il d’un ton incrédule, mais Nynaeve lui coupa la parole.
— Quatre ou cinq gardes du corps chacune ? dit-elle avec aigreur. C’est ridi…
Ses yeux se fermèrent un instant, et son ton se radoucit. Un peu.
— Je voulais dire, ce n’est pas raisonnable. Elayne et moi, Birgitte et Aviendha. Tu n’as pas tellement de soldats. D’ailleurs, la seule personne dont nous avons vraiment besoin, c’est toi.
Ces dernières paroles prononcées à contrecœur. C’était un aveu trop pénible.
— Birgitte et Aviendha n’ont pas besoin de nounous, assura-t-il distraitement. Cette Coupe des Vents a plus d’importance que Carridin, je suppose, mais… je ne trouve pas normal qu’on laisse les Amis du Ténébreux circuler librement.
Une vive rougeur se répandit lentement sur le visage de Nynaeve. Elayne vérifia son teint dans le miroir, soulagée de constater qu’elle restait impassible. Du moins extérieurement. Cet homme était insupportable. Des nounous ? Elle ne savait pas ce qui était le pire, qu’il leur eût lancé cette insulte à dessein, ou qu’il n’ait pas eu conscience de les insulter. De nouveau, elle se regarda dans le miroir et baissa un peu le menton. Nounous ! Elle était le sang-froid incarné.