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— Je regrette que vous n’acceptiez pas notre aide, dit Maîtresse Corly avec froideur.

Mettant la main dans son escarcelle, elle en tira trois marks d’argent qu’elle posa dans la main de Nynaeve, puis trois autres qu’elle fourra dans celle d’Elayne.

— Cela vous permettra de subsister quelque temps. Vous pourrez aussi obtenir quelque argent de ces robes, je crois, même si c’est moins que ce qu’elles vous ont coûté. Elles ne sont pas pratiques pour voyager. Demain à l’aube, vous aurez quitté Ebou Dar.

— Nous n’allons nulle part, lui affirma Nynaeve. Je vous en prie, si vous savez…

Elle aurait aussi bien pu se taire. Le flot de paroles continua.

— D’ici là, nous ferons circuler votre signalement, en nous assurant qu’il parvient aux sœurs du Palais Tarasin. Si vous êtes vues après le coucher du soleil, nous veillerons à ce que les sœurs sachent où vous êtes, de même que les Blancs Manteaux. Alors, vous aurez le choix entre fuir, vous rendre aux sœurs, ou mourir. Allez, et ne revenez pas ; vous devriez vivre longtemps si vous renoncez à vos ruses répugnantes et dangereuses. Nous en avons terminé avec vous. Berowin, raccompagnez-les, je vous prie.

Passant entre elles, elle sortit sans un regard en arrière.

L’air renfrogné, Nynaeve accepta de descendre à sa suite. Résister n’aurait servi à rien, sauf peut-être à se voir jetée dehors, mais, par la Lumière, elle n’aimait pas renoncer ! Elayne suivait, rayonnant de la froide détermination de sortir et d’en avoir fini avec ça.

Dans le petit couloir d’entrée, Nynaeve fit une dernière tentative.

— Je vous en supplie, Garenia, Berowin, si vous savez quelque chose, parlez. Le moindre renseignement peut se révéler capital. Vous devez comprendre comme c’est important. Il le faut !

— Les plus aveugles sont ceux qui ferment les yeux, cita Elayne, pas tout à fait entre ses dents.

Berowin hésita, mais pas Garenia. Elle regarda Nynaeve et dit :

— Nous prenez-vous pour des imbéciles, ma fille ? Je vais vous dire ceci : si ce n’était que de moi, je vous expédierais à la ferme malgré tout ce que vous pourriez dire. Quelques mois à être l’objet des attentions d’Alise, et vous sauriez tenir votre langue et apprécier l’aide sur laquelle vous crachez actuellement.

Nynaeve eut envie de lui envoyer son poing dans la figure. Elle n’avait pas besoin de la saidar pour se servir de lui.

— Garenia ! dit sèchement Berowin. Excusez-vous ! Nous ne retenons personne contre sa volonté, et vous le savez très bien. Excusez-vous immédiatement !

Et, merveille des merveilles, une femme qui aurait été très proche du plus haut rang, eût-elle été Aes Sedai, jeta un regard en coin à celle qui aurait été tout en bas de l’échelle, et s’empourpra.

— Je vous demande pardon, marmonna-t-elle à Nynaeve. Parfois je me laisse emporter par mon caractère, et je dis des choses que je ne devrais pas. Je vous demande humblement pardon.

Nouveau regard en coin à Berowin, qui approuva de la tête et poussa un soupir de soulagement.

Pendant que Nynaeve en restait bouche bée d’étonnement, elles défirent les boucliers, les poussèrent dans la rue et claquèrent la porte derrière elles.

24

La famille

Incroyable, pensa Reanne, regardant par la fenêtre les deux jeunes filles qui disparaissaient au milieu des boutiquiers, des mendiants et des rares chaises à porteurs. Elle était retournée au salon des le départ des visiteuses. Elle ne savait quoi penser d’elles, et leur obstination dans le mensonge, au mépris de toute raison, n’était pas seule responsable de sa confusion.

— Elles ne transpiraient pas, murmura Berowin derrière elle.

— Ah ?

Si elle n’avait pas donné sa parole, elle aurait pris des mesures dans l’heure pour prévenir le palais de leur existence. Et si elle n’avait pas craint le danger elle-même. La peur lui nouait les entrailles, la même peur qu’elle avait ressentie après un passage sous les arches d’argent, lors du test d’Acceptée. Exactement comme chaque fois qu’elle l’avait éprouvée au cours de toutes les années écoulées depuis, elle se reprit fermement en main ; en vérité, elle ne réalisait pas que la peur d’avoir à se remettre à fuir avait depuis longtemps annulé chez elle toute possibilité de retrouver la maîtrise de soi. Elle priait que ces filles renoncent à leur folie. Et si elles n’y renonçaient pas, elle priait qu’elles soient arrêtées loin d’Ebou Dar, et que, soit elles se taisent, soit on ne les croie pas. Il faudrait prendre des précautions, rétablir des sauvegardes qu’on n’utilisait plus depuis des années. Mais les Aes Sedai étaient presque toutes-puissantes, et cela ne changerait rien. Cela, elle le savait au plus profond d’elle-même.

— Sœur Aînée, serait-il possible que la plus âgée de ces deux filles soit… ? Nous canalisions et…

La voix de Berowin mourut misérablement, mais Reanne n’eut pas besoin de réfléchir, pas même en faisant abstraction de la plus jeune. Pourquoi une Aes Sedai irait-elle prétendre être moins, tellement moins, qu’elle n’était ? De plus, n’importe quelle Aes Sedai les aurait mises à genoux et obligées à demander merci, au lieu de se soumettre docilement.

— Nous n’avons pas canalisé devant des Aes Sedai, dit-elle avec fermeté. Nous n’avons contrevenu à aucune règle.

Ces règles s’appliquaient à elles, aussi strictement qu’à toutes les sœurs ; la première était qu’elles étaient égales, même celles temporairement élevées au-dessus de leurs semblables. Comment en aurait-il été autrement quand celles qui étaient élevées devaient éventuellement laisser leur place à d’autres ? Elles ne pouvaient rester cachées que grâce au mouvement et au changement.

— Mais certaines rumeurs parlent d’une jeune Amyrlin, Sœur Aînée. Et elle savait…

— Elle parlait des rebelles, dit Reanne, mettant dans ce mot toute l’incrédulité indignée qu’elle ressentait.

Oser se rebeller contre la Tour ! Quelle rumeur incroyable !

— Et Logain et l’Ajah Rouge ? demanda Garenia, mais Reanne la fit taire du regard.

Garenia s’était resservi du thé en remontant au salon, et elle buvait d’un air de défi.

— Quelle que soit la vérité, Garenia, ce n’est pas à nous de critiquer ce que les Aes Sedai peuvent faire.

Reanne pinça les lèvres. Cela s’accordait mal avec ce qu’elle ressentait envers les rebelles, mais comment des Aes Sedai pouvaient-elles agir ainsi ?

La Saldaeane inclina la tête avec approbation, peut-être pour dissimuler son air renfrogné. Reanne soupira. Pour sa part, elle avait renoncé depuis longtemps à son rêve d’appartenir à l’Ajah Verte, mais il y en avait, comme Berowin, qui croyaient, qui espéraient en secret, qu’elles pourraient un jour retourner à la Tour Blanche et, d’une façon ou d’une autre, devenir Aes Sedai. Et il y en avait d’autres, comme Garenia, encore dix fois moins habiles à dissimuler leurs désirs secrets, quoique leurs souhaits fussent dix fois plus interdits. Celles-là auraient effectivement accepté des Irrégulières, et seraient même allées jusqu’à rechercher des filles à instruire !

Garenia n’avait pas terminé ; elle était toujours aux limites de la discipline, et les franchissait souvent.

— Et cette Setalle Anan, alors ? Ces filles connaissent l’existence du Cercle. C’est cette Anan qui a dû leur en parler, mais comment sait-elle…

Elle frissonna, d’une manière beaucoup trop ostentatoire, au goût des autres, mais elle n’avait jamais été capable de dissimuler ses émotions. Même quand elle l’aurait dû.

— Quiconque nous a trahies à son bénéfice doit être recherchée et punie. C’est une aubergiste, et elle doit apprendre à tenir sa langue !