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Un instant, il perdit son air lugubre, mais ça ne dura pas.

— Je vais brosser la veste en soie rouge de mon Seigneur ; mon Seigneur a fait de vilaines taches de vin sur la bleue.

Mat attendit avec impatience, enfila la veste et descendit dans la salle.

— Des Aes Sedai ? marmonna Nalesean quand sa tête surgit hors de sa chemise propre, son valet bedonnant, Lopin, derrière lui. Que mon âme soit réduite en cendres, je n’aime pas beaucoup les Aes Sedai, mais… Le Palais Tarasin, Mat.

Mat grimaça ; c’était déjà assez rageant que Nalesean puisse boire un tonneau de cognac sans en souffrir le lendemain, mais était-il obligé de sourire comme ça ?

— Ah, Mat, maintenant nous pourrons oublier les dés et jouer aux cartes avec nos égaux.

Il voulait parler des nobles, les seuls qui avaient les moyens de parier, à l’exception des riches marchands qui ne resteraient pas longtemps riches s’ils se mettaient à jouer aussi gros que les nobles. Nalesean se frotta vigoureusement les mains, tandis que Lopin s’efforçait d’arranger la dentelle de ses manchettes ; même sa barbe semblait impatiente de jouer aux cartes.

— Des draps de soie, murmura-t-il.

Qui avait jamais entendu parler de draps en soie ? Les antiques souvenirs remuèrent dans sa mémoire, mais Mat refusa de les écouter.

— C’est plein de nobles, grommela Vanin en bas, avançant les lèvres pour cracher.

Maintenant, il cherchait automatiquement du regard Maîtresse Anan ; il décida à la place d’avaler son crachat à l’aide d’une rasade du vin bourru qui constituait son petit déjeuner.

— Mais ce sera bon de revoir Dame Elayne, dit-il rêveusement.

Il leva sa main libre comme pour se frictionner le front ; le geste sembla machinal. Mat grogna. Cette femme avait été la perte d’un homme valable.

— Vous voulez que je repasse chez Carridin ? poursuivit Vanin, comme si le reste n’avait pas d’importance. Sa rue est tellement pleine de mendiants que c’est dur de voir quelque chose, mais c’est fou ce qu’il reçoit comme visiteurs.

Mat lui dit que ce serait parfait. Pas étonnant que Vanin se moque que le palais soit plein de nobles et d’Aes Sedai ; lui, il passerait la journée à transpirer au soleil et à se faire bousculer dans la foule. C’était beaucoup plus confortable.

Inutile d’essayer de prévenir Harnan et le reste des Bras Rouges, tous en train d’enfourner du porridge accompagné de minuscules saucisses noires, tout en se poussant du coude et en rigolant en pensant aux servantes du palais, qui, à ce qu’ils savaient, étaient toutes choisies pour leur beauté et très libérales de leurs faveurs. C’était un fait avéré, ils en étaient persuadés.

La situation ne s’arrangea pas quand il alla aux cuisines, à la recherche de Maîtresse Anan, pour régler sa note. Caira était là, mais deux fois plus de mauvaise humeur que la veille ; elle le foudroya en faisant la moue, et sortit dignement par la porte menant à l’écurie en frottant le dos de sa robe. Peut-être s’était-elle mise dans un mauvais pas ou un autre, mais comment pouvait-elle le blâmer, c’est ce qui le dépassait.

Maîtresse Anan était sortie, semblait-il – elle était tout le temps en train d’organiser des soupes populaires pour les réfugiés ou occupée à des œuvres charitables – mais Enid brandissait sa longue cuillère en bois à l’adresse de ses marmitonnes sur les dents, mais toute prête à prendre son pourboire dans son autre main.

— Vous palpez trop de melons, mon jeune Seigneur, et il ne faut pas vous étonner si certains sont pourris et s’il y en a un qui vous éclate dans les mains de temps en temps, dit-elle sombrement pour une raison inconnue. Ou deux, ajouta-t-elle, hochant la tête.

Elle se rapprocha, beaucoup trop au goût de Mat, et leva vers lui son visage rond luisant de sueur, le regardant d’un air entendu.

— Vous ne ferez que vous attirer des ennuis si vous dites un mot. Vous ne direz rien.

Ce n’était pas une question.

— Pas un mot, fit Mat.

Par la Lumière, de quoi parlait-elle ? Pourtant, ce devait être la bonne réponse parce qu’elle hocha la tête et s’éloigna de sa démarche dandinante, agitant sa cuillère en bois aussi énergiquement que jamais. Un moment, il avait cru qu’elle allait lui en donner un bon coup sur la tête. La vérité vraie, c’est que toutes les femmes, et pas seulement quelques-unes, avaient un côté violent.

Bref, de fil en aiguille, ce fut un soulagement quand Lopin et Nerim commencèrent à s’engueuler pour savoir les bagages de quel maître seraient transportés en premier. Mat et Nalesean mirent une bonne demi-heure à les calmer, lissant leurs plumes ébouriffées. Un valet offensé pouvait faire de votre vie un enfer. Puis il dut décider lesquels de ses hommes auraient l’honneur de transporter le coffre plein d’or de l’autre côté de la place, et lesquels conduiraient les chevaux. En tout cas, c’était autant d’heures de moins à passer dans ce maudit palais.

Mais quand il fut bien installé dans ses nouveaux appartements, il en oublia presque ses problèmes. Il avait un grand salon, et un petit qu’ils appelaient boudoir, et une immense chambre à coucher pourvue du plus grand lit qu’il ait vu de sa vie, avec des colonnes massives sculptées de fleurs entrelacées qu’on n’avait rien trouvé de mieux que de peindre en rouge. La plupart des meubles étaient rouge vif ou d’un bleu éclatant, quand ils n’étaient pas couverts de dorures. Près du lit, une petite porte ouvrait sur un cabinet destiné à Nerim, dont il fut très satisfait malgré l’étroitesse du lit et l’absence de fenêtre. Dans l’appartement de Mat, il y avait de hautes fenêtres voûtées ouvrant sur des balcons en fer forgé donnant sur la place Mol Hara. Les torchères étaient dorées, comme l’encadrement des miroirs ; il y en avait deux dans le boudoir, trois dans le salon, et quatre dans la chambre à coucher. La pendule – une pendule ! – sur la cheminée du salon, était également étincelante de dorures. La cuvette et le broc étaient en porcelaine du Peuple de la Mer. Il fut presque déçu en constatant que le pot de chambre, sous le lit, était en faïence blanche toute simple. Il y avait même une étagère dans le salon, avec une bonne douzaine de livres. Non qu’il lût beaucoup, d’ailleurs.

Même abstraction faite des couleurs criardes des murs, du sol et des meubles, l’appartement hurlait la richesse. À n’importe quel autre moment de sa vie, il aurait dansé la gigue. À n’importe quel autre moment où il n’aurait pas su qu’il y avait une femme à l’autre bout du couloir, prête à le plonger dans une bassine d’eau bouillante en attisant dessous le feu au soufflet. Si Teslyn, Merilille ou une autre de la même bande, n’y parvenait pas la première malgré son médaillon. Pourquoi ces maudits dés avaient-ils cessé de tournoyer à l’instant où Elayne avait parlé de ces appartements ? Curiosité. Aux Deux Rivières, il avait entendu un dicton de la bouche de plusieurs femmes, généralement quand il venait de faire une bêtise qui lui avait paru amusante sur le moment : « Les hommes enseignent la curiosité aux chats, mais les chats gardent le bon sens pour eux-mêmes. »

— Je ne suis pas un foutu chat, maugréa-t-il, sortant dignement de la chambre pour entrer dans le salon.

Il avait envie de savoir, c’est tout.

— Bien sûr que vous n’êtes pas un chat, dit Tylin. Vous êtes un succulent petit caneton, voilà ce que vous êtes.

Mat sursauta et la regarda, sidéré. Un caneton ? Et un petit caneton en plus ! La femme ne lui arrivait pas à l’épaule. Indignation ou pas, il exécuta une élégante révérence. C’était la Reine, il ne devait pas l’oublier.

— Majesté, je vous remercie de ces merveilleux appartements.

J’aimerais beaucoup m’entretenir avec vous, mais je suis obligé de sortir et…