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L’étroit espace entre la maison et la teinturerie leur était visible sur toute sa longueur, mais il y en avait une autre, perpendiculaire à la première, au fond, derrière les maisons et les boutiques.

— Mat, répétez-moi pourquoi nous sommes là au lieu d’être en train de jouer aux cartes.

— J’y vais, trancha Mat.

Peut-être découvrirait-il derrière le mur du jardin comment fonctionnait le ta’veren. Il alla voir, et ne trouva rien.

Le temps que le crépuscule commence à envahir la rue, et qu’Harlan arrive avec un Andoran chauve aux yeux en trous de vrille nommé Wat, le seul effet possible du ta’veren que Mat ait pu constater, c’est que le tavernier avait fait une théière de thé frais, presque aussi mauvais que l’ancien.

De retour dans ses appartements du palais, il trouva un message, une sorte d’invitation, élégamment écrit sur un épais papier blanc aux senteurs florales.

Mon petit lapin, je vous attends pour dîner ce soir dans mes appartements.

Il n’y avait pas de signature, mais il n’eut aucun mal à comprendre. Par la Lumière ! Cette femme était sans vergogne ! La porte du couloir était pourvue d’une serrure peinte en rouge ; il trouva la clé et ferma à double tour. Puis, pour plus de sûreté, il coinça une chaise sous la poignée de la porte de Nerim. Il pouvait se passer de dîner. Juste comme il se mettait au lit, la poignée remua ; dans le couloir une femme rit en trouvant la porte fermée.

Après ça, il aurait dû bien dormir, mais pour une raison inconnue, il resta éveillé, à écouter grogner son estomac. Pourquoi agissait-elle ainsi ? Bon, il savait pourquoi, mais pourquoi lui ? Elle n’avait sûrement pas décidé de jeter toute décence par-dessus les moulins juste pour coucher avec un ta’veren. En tout cas, il était en sécurité maintenant. Tylin n’allait pas enfoncer la porte. Mais était-ce bien sûr ? La plupart des oiseaux ne pouvaient pas passer à travers les arabesques de fer forgé enveloppant les balcons. De plus, elle aurait besoin d’une grande échelle pour atteindre les balcons. À moins qu’elle ne descende du toit au bout d’une corde. Ou qu’elle… La nuit passa, son estomac grogna, le soleil se leva, et il ne put pas fermer l’œil ou réfléchir intelligemment. Sauf qu’il prit une décision. Il trouva un usage pour le boudoir. Personnellement, il ne boudait jamais. À l’aube, il sortit subrepticement de chez lui, et trouva un autre serviteur de sa connaissance, un chauve du nom de Madic, à l’air suffisant et content de lui, dont pourtant une légère crispation de la bouche annonçait qu’il n’était pas si satisfait que ça de son sort. C’était un homme qu’on pouvait acheter. Mais l’expression stupéfaite qui passa sur son large visage et le sourire entendu qu’il ne se donna pas la peine de dissimuler, annonçaient qu’il savait exactement pourquoi Mat lui glissait une pièce d’or dans la main. Par le sang et les cendres ! Combien de personnes savaient ce que mijotait Tylin ?

Elayne et Nynaeve ne semblaient pas le savoir, la Lumière soit louée. Mais du coup, elles le grondèrent de n’être pas allé dîner avec la Reine, chose qu’elles avaient apprise quand Tylin leur avait demandé s’il n’était pas malade. Et pire encore…

— S’il vous plaît, dit Elayne, souriant comme si le mot ne lui arrachait pas la bouche, montrez-vous à votre avantage avec la Reine. Ne soyez pas nerveux. Passer une soirée avec elle ne peut manquer d’être très agréable.

— Ne fais rien qui puisse l’offenser, c’est tout, marmonna Nynaeve.

Aucun doute, s’exprimer poliment la faisait souffrir ; elle fronçait les sourcils, serrait les dents, et ses mains tremblaient des efforts qu’elle accomplissait pour ne pas tirer sur sa tresse.

— Sois accommodant pour une fois dans ta… je veux dire, n’oublie pas que c’est une femme décente et n’essaye pas sur elle un de tes… Par la Lumière, tu sais ce que je veux dire.

Nerveux, ha ! Une femme décente, ha !

Ni l’une ni l’autre ne sembla se soucier qu’il ait perdu tout son après-midi. Elayne lui tapota l’épaule avec sympathie, et lui demanda poliment de continuer un jour ou deux ; c’était certainement préférable à crapahuter dans le Rahad par cette chaleur. Nynaeve répéta exactement la même chose, comme font les femmes, mais sans lui tapoter l’épaule. Elles avouèrent de bonne grâce qu’elles avaient l’intention de passer la journée à espionner Carridin avec Aviendha, mais quand il demanda qui elles espéraient reconnaître, elles éludèrent la question. L’information avait échappé à Nynaeve, et Elayne la regarda, tellement furieuse que Mat crut bien qu’il allait voir gifler Nynaeve, pour une fois. Elles acceptèrent docilement la contrainte de ne pas perdre de vue leurs gardes du corps, et lui montrèrent docilement les déguisements qu’elles avaient l’intention de revêtir. Même après la description de Thom, les voir se transformer en Ebou-Daries fut pour lui un choc presque aussi violent que leur docilité. En fait de soumission, Nynaeve fut sur le point de se rebiffer, grognant quand elle réalisa qu’il parlait sincèrement en disant que les Aielles n’avaient pas besoin de gardes du corps, mais elle se ressaisit à temps. Ces deux femmes croisant gentiment les mains et lui répondant d’un ton soumis, ça le rendit nerveux. Toutes les deux – et Aviendha en plus qui hochait la tête avec approbation ! –, et il fut bien content quand elles se mirent en route. Pour ne pas prendre de risque, il ignora leurs protestations et leur fit montrer leurs déguisements aux hommes qu’il envoyait devant elles.

Vanin sauta sur l’occasion d’être le garde du corps d’Elayne, se tapant sur le front comme un fou.

Le gros n’avait pas appris grand-chose en observant tout seul. Comme la veille, Carridin avait eu un nombre surprenant de visiteurs, certains vêtus de soie, mais ça ne prouvait pas qu’ils étaient des Amis du Ténébreux. Finalement, l’homme n’était sans doute que l’ambassadeur des Blancs Manteaux ; les marchands voulant commercer avec l’Amadicia venaient sans doute le voir de préférence à l’ambassadeur ou l’ambassadrice d’Amadicia. Vanin disait qu’il y avait aussi deux femmes qui avaient observé le palais de Carridin – son air quand Aviendha prit soudain l’apparence d’une troisième Ebou-Darie valait le détour – et aussi un vieillard, croyait-il, qui s’était révélé étonnamment alerte. Vanin ne l’avait pas bien vu, bien qu’il l’ait repéré trois fois. Quand Vanin et les femmes furent partis, Mat envoya Thom et Juilin voir ce qu’ils pouvaient apprendre concernant Carridin et un vieillard voûté s’intéressant aux Amis du Ténébreux. Si le preneur-de-larrons ne parvenait pas à trouver un moyen de faire un croche-pied à Carridin, c’est qu’il n’en existait pas, et Thom semblait avoir le chic pour rassembler rumeurs et commérages et en filtrer la vérité. Tout cela, c’était la partie facile, bien sûr.

Pendant deux jours, il transpira sur son banc, son guet entrecoupé de quelques rondes dans la ruelle séparant la maison de la teinturerie, et la seule chose qui changea, c’est que le thé redevint pire qu’avant. Le vin était si mauvais que Nalesean se mit à boire de la bière. Le premier jour, le tavernier leur proposait du poisson pour le déjeuner, mais à l’odeur, il datait au moins d’une semaine. Le deuxième jour, il leur proposa un ragoût d’huîtres, dont Mat consomma cinq bols, malgré les fragments d’écailles. Birgitte refusa les deux.

Le premier jour, il avait été surpris qu’elle les rattrape, lui et Nalesean, tandis qu’ils traversaient le Mol Hara en toute hâte. Le soleil pointait à peine au-dessus des toits, mais il y avait déjà des gens et des charrettes sur la place.

— J’ai dû avoir une absence, dit-elle en riant. J’attendais à la porte par laquelle je pensais que vous sortiriez. Si ma compagnie ne vous dérange pas ?