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— Nous marchons vite parfois, répondit-il évasivement.

Nalesean lui jeta un regard en coin ; il ne voyait pas pourquoi ils étaient sortis en catimini par une petite porte latérale proche des écuries. Non que Mat craignît que Tylin ne lui saute dessus dans les couloirs en plein jour, mais ça ne fait jamais de mal d’être prudent.

— Votre compagnie est la bienvenue n’importe quand. Merci.

Elle se contenta de hausser les épaules, murmura quelque chose qu’il ne saisit pas, et lui emboîta le pas.

Ce fut le début avec elle. N’importe quelle autre femme aurait voulu savoir pourquoi il lui avait dit merci, puis lui aurait expliqué qu’aucun merci n’était de mise, si longuement qu’il aurait eu envie de se boucher les oreilles, ou l’aurait grondé tout aussi vertement pour avoir pensé que lesdits remerciements s’imposaient, et peut-être déclaré clairement qu’elle attendait quelque chose de plus substantiel que des mots. Birgitte se contenta de hausser les épaules, et au cours des deux jours suivants, quelque chose de stupéfiant se passa dans la tête de Mat.

Normalement, à ses yeux, les femmes étaient faites pour qu’il les admire et qu’il leur sourie, pour qu’il danse avec elles et qu’il les embrasse, si elles le permettaient, et qu’il les étreigne s’il avait de la chance. Décider quelle femme chasser était presque aussi amusant que les attraper, quoique moins que la prise elle-même. Certaines femmes étaient juste des amies, bien sûr. Quelques-unes. Egwene, par exemple, bien qu’il ne fût pas sûr que cette amitié survive à sa nomination d’Amyrlin. Nynaeve était une sorte d’amie, en un sens, si elle pouvait seulement oublier une heure qu’elle l’avait fessé plus d’une fois et qu’il n’était plus un enfant. Mais une amie, c’était différent d’un ami ; on savait toujours qu’elle avait des pensées différentes et qu’elle voyait le monde avec d’autres yeux.

Birgitte se pencha vers lui sur le banc.

— Attention, murmura-t-elle. Cette veuve cherche un nouveau mari ; le fourreau de son couteau de mariage est bleu. De plus, la maison est par là.

Il cligna des yeux, perdant de vue la femme joliment potelée qui roulait les hanches avec extravagance, et Birgitte répondit par un éclat de rire à son sourire penaud. Nynaeve l’aurait éreinté sauvagement pour avoir regardé les femmes, et même Egwene aurait été froidement désapprobatrice. Vers la fin du deuxième jour, il réalisa qu’il avait été tout le temps hanche contre hanche avec Birgitte, sans penser une seule fois à l’embrasser. Il était certain qu’elle ne voulait pas l’être par lui – franchement, étant donné la laideur des hommes qu’elle se plaisait à regarder, il se serait senti insulté si elle l’avait voulu – mais elle était une héroïne de légende, dont il attendait toujours qu’elle bondisse par-dessus les maisons en attrapant au passage un ou deux Réprouvés au collet. Mais ce n’était pas pour ça ; il aurait aussi bien pu penser à embrasser Nalesean. Comme le Tairen. Il aimait bien Birgitte, c’est tout.

Deux jours sur le banc, passés à observer la maison, à arpenter la ruelle entre la maison et la teinturerie, et à examiner le haut mur de brique au fond du jardin. Birgitte aurait pu le gravir, mais même elle aurait pu tomber si elle avait tenté l’escalade avec une robe. Trois fois, il décida impulsivement de suivre une femme sortant de la maison, dont deux portant la ceinture rouge de Sage-Femme. Mais il n’eut guère de chance. La première Sage-Femme tourna le coin, acheta une botte de navets ratatinés, et retourna à la maison ; la deuxième alla deux rues plus loin pour acheter un gros poisson à rayures. La troisième femme, grande brune en jolie robe de drap gris, une Tairene sans doute, traversa deux ponts, avant d’entrer dans une grande boutique où un petit homme émacié l’accueillit avec force sourires et courbettes, puis supervisa le chargement de boîtes et de plateaux laqués dans des paniers remplis de sciure qui furent ensuite chargés dans un chariot. D’après ce qu’il entendit, elle comptait en tirer un bon prix en Andor.

Mat parvint à s’échapper sans acheter une boîte. Et voilà pour sa chance proverbiale.

Les autres n’en eurent guère non plus. Nynaeve, Elayne et Aviendha firent leur petit pèlerinage dans les rues entourant le palais de Carridin sans reconnaître personne, ce qui les frustra au plus haut point. Elles refusaient toujours de révéler qui elles cherchaient ; peu importait, puisqu’il n’y avait rien à voir. C’était ce qu’elles disaient, découvrant assez de dents pour six femmes. Ces grimaces étaient censément des sourires, pensa-t-il. Dommage qu’Aviendha fût tellement du parti des deux autres. Pourtant, il y eut un moment, quand il les pressait de répondre, où Elayne lui répondit sèchement, le toisant de toute sa hauteur, et l’Aielle lui chuchota quelque chose à l’oreille.

— Pardonnez-moi, Mat, dit Elayne avec sérieux, si rouge que ses cheveux parurent pâlir. Je vous demande humblement pardon d’avoir parlé ainsi. Je… vous demande pardon à genoux, si vous le désirez.

La fin fut exprimée d’une voix défaillante, ce qui n’avait rien d’étonnant.

— Inutile, déclara-t-il doucement, espérant que les yeux ne lui sortaient pas de la tête. Vous êtes pardonnée ; ce n’était rien.

Le plus curieux, c’est qu’Elayne n’avait pas quitté Aviendha des yeux en parlant, et qu’elle ne bougea pas un cil à sa réponse, mais qu’elle poussa un gros soupir de soulagement quand Aviendha l’approuva de la tête. Les femmes étaient vraiment étranges.

À son retour, Thom l’informa que Carridin faisait souvent l’aumône aux mendiants, et que, à côté de ça, tout ce qu’on disait de lui dans Ebou Dar était exactement ce à quoi il fallait s’attendre, selon que la personne pensait que les Blancs Manteaux étaient des monstres sanguinaires ou les véritables sauveurs du monde. Juilin avait appris que Carridin avait acheté les plans du Palais Tarasin, ce qui pouvait indiquer que les Blancs Manteaux avaient des projets à Ebou Dar, ou que Pedron Niall voulait se faire construire un palais et désirait copier le Tarasin. S’il était encore vivant ; des rumeurs sur sa mort avaient surgi dans Ebou Dar, mais la moitié affirmaient qu’il avait été tué par les Aes Sedai, l’autre moitié par Rand, ce qui en disait long sur leur valeur. Ni Thom ni Juilin n’avait découvert la moindre information sur un vieillard ridé aux cheveux blancs.

Frustration au sujet de Carridin, frustration d’observer cette maudite maison, et pour ce qui était du palais…

Mat se rendit compte de la situation le premier soir, quand il revint à son appartement. Olver y était installé ; il avait déjà dîné et, blotti dans un fauteuil, lisait Les Voyages de Jain Globe-Trotter à la lumière des torchères, absolument pas perturbé par son déménagement. Madic avait été aussi bon que ses promesses, aussi bon que l’or qu’il fourrait dans sa poche, en tout cas. Le lit d’Olver se trouvait maintenant dans le boudoir. Que pourrait tenter Tylin sous les yeux d’un enfant ? Mais la Reine n’était pas restée oisive non plus. Il descendit furtivement aux cuisines, avec des ruses de renard, glissant d’un tournant à un autre, dégringolant les escaliers – et découvrit qu’il ne pouvait rien manger.

Oh, les fumets des plats flottaient partout, rôtis tournant à la broche dans les grandes cheminées, marmites mijotant sur les poêles carrelés, et cuisinières ouvrant les fours pour vérifier la cuisson de ceci ou cela. Mais il n’y avait rien pour Mat Cauthon. Les femmes en tabliers blancs comme neige ignoraient ses sourires et se mettaient sur son chemin, pour l’empêcher d’accéder à la source de ces odeurs sublimes. Elles souriaient, lui tapant sur les doigts quand il tentait de chiper un pain ou juste un navet glacé au miel. Elles souriaient, et lui disaient qu’il ne devait pas se couper l’appétit s’il devait dîner avec la Reine. Elles savaient. Elles savaient toutes, jusqu’à la dernière ! La honte qui lui colorait les joues, autant qu’autre chose, le renvoya dans son appartement, regrettant amèrement le poisson avarié du déjeuner. Il ferma la porte à clé derrière lui. Une femme capable d’affamer un homme était capable de tout.