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Ce fut peut-être à cause du ton. Le mendiant lui sauta à la gorge, un couteau apparaissant soudain dans son poing crasseux.

Sans réfléchir, Mat l’attrapa par le bras et le projeta dans la foule ; certains maudirent Mat, d’autres le mendiant affalé. Quelques-uns lui lancèrent une pièce.

Du coin de l’œil, Mat vit un autre maigrichon déguenillé pousser Birgitte pour arriver jusqu’à lui avec un long couteau. Ce fut une erreur fatale que de la sous-estimer à cause de son costume, car de quelque part sous ses plumes, elle sortit une dague et le poignarda sous le bras.

— Attention ! lui cria Mat, mais il n’avait pas le temps de l’avertir plus vite.

Tout en parlant, il avait tiré une dague de sa manche et la lança. La lame frôla Birgitte et s’enfonça dans la gorge d’un autre mendiant qui brandissait un couteau avant qu’il ne le lui plante dans les côtes.

Soudain, des miséreux sortirent de partout, armés de couteaux et de gourdins hérissés de pointes ; cris et hurlements s’élevèrent tandis que les gens en masques et costumes se bousculaient pour s’écarter. Nalesean balafra le visage d’un haillonneux, qui tituba ; Beslan planta son épée dans le ventre d’un second, pendant que ses amis déguisés en combattaient d’autres.

Mat n’eut pas le temps d’en voir davantage ; il se retrouva dos à dos avec Birgitte, affrontant ses propres adversaires. Il la sentait bouger contre lui, l’entendait marmonner des jurons, mais il en avait à peine conscience ; Birgitte était très capable de se défendre toute seule, mais il n’était pas sûr d’en faire autant avec ses deux assaillants. Le costaud au ricanement édenté n’avait qu’un bras, et une orbite plissée à la place où s’était trouvé son œil gauche, mais il brandissait dans son poing un gourdin de deux pieds, cerclé de bandes de fer hérissées de pointes acérées comme des épines. Son petit compagnon à face de rat avait encore ses deux bras et quelques dents, et, malgré ses joues creuses et des bras grêles tout en os et en nerfs, il était vif comme un serpent, se léchant les lèvres et passant une dague rouillée d’une main dans l’autre. Mat pointa son couteau, plus court, d’abord sur l’un, puis sur l’autre. Il était assez long pour atteindre leur virilité, et ils reculaient et sautillaient, chacun attendant que l’autre lui tombe dessus.

— Ça ne plaira pas au Vieux Culy, Spar, gronda le costaud, et Face-de-Rat s’élança, transférant sa lame rouillée d’une main dans l’autre.

Il avait compté sans la dague qui apparut soudain dans la main gauche de Mat et lui ouvrit le poignet. La lame rouillée cliqueta sur les pavés, mais le mendiant se jeta sur lui quand même. L’autre dague de Mat le frappa en pleine poitrine, et il poussa un cri perçant, les yeux dilatés et les bras se refermant convulsivement autour de Mat. Le rictus du costaud s’élargit, et il s’avança, levant son gourdin.

Le rictus s’évanouit quand deux mendiants l’assaillirent à leur tour, ricanant et poignardant.

Fixant la scène, incrédule, Mat repoussa le cadavre de Face-de-Rat. Il n’y avait plus personne à cinquante pas, à part les combattants, et partout des mendiants roulaient à terre, deux, trois, et parfois quatre en lardant un seul de coups de couteau ou le martelant avec des bâtons ou des pierres.

Beslan attrapa Mat par le bras. Il avait du sang sur le visage, mais il souriait.

— Partons d’ici, et laissons la Confrérie des Aumônes finir le travail. Il n’y a pas de gloire à combattre des mendiants, et de plus, la guilde ne laissera pas en vie ces intrus. Suivez-moi.

Nalesean fronçait les sourcils – à l’évidence, il ne voyait aucune bravoure à affronter des mendiants, lui non plus – de même que les amis de Beslan, plusieurs avec leur costume de travers et l’un qui avait ôté son masque pour qu’un autre tamponne une balafre à son front. Celui à la cicatrice arborait un grand sourire. Birgitte n’avait pas une écorchure que pût voir Mat, et son costume était aussi pimpant qu’il l’était en sortant du palais. Elle fit disparaître son couteau ; impossible de cacher une dague sous ces plumes, mais c’est pourtant ce qu’elle fit.

Mat ne protesta pas qu’on l’entraîne, mais il grogna :

— Est-ce que les mendiants attaquent toujours les gens comme ça… dans cette ville ?

Beslan n’apprécierait peut-être pas de voir la cité qualifiée de maudite.

Beslan éclata de rire.

— Vous êtes ta’veren, Mat. Il se passe toujours des choses excitantes autour d’un ta’veren.

Mat lui rendit son sourire en grinçant des dents. Sacré imbécile, sacrée cité, et sacré ta’veren. Enfin, si un mendiant lui tranchait la gorge, il n’aurait pas à retourner au palais et à laisser Tylin l’éplucher comme une poire bien mûre. En y repensant, elle l’avait appelé ma petite poire. Sacré tout !

Il y avait beaucoup de fêtards dans la rue entre la teinturerie et La Rose d’Elbar, quoique peu en tenue légère. Apparemment, il fallait avoir les moyens pour se promener quasiment nu. Seuls les acrobates, devant la maison du marchand qui faisait le coin, étaient assez dénudés, les hommes en chausses collantes et torse nu, les femmes en chausses encore plus collantes et corsage transparent. Ils avaient tous quelques plumes dans les cheveux, comme les musiciens cabriolant devant le petit palais à l’autre coin de rue, une femme avec une flûte, un homme soufflant dans un grand tube noir tortillé plein de pistons, et un autre tapant à tour de bras sur un tambour. La maison qu’ils venaient observer semblait hermétiquement fermée.

À La Rose d’Elbar, le thé était aussi mauvais que d’habitude, c’est-à-dire bien meilleur que le vin. Nalesean resta fidèle à la bière locale. Birgitte dit merci, sans préciser pour quoi, et Mat haussa les épaules sans rien dire ; ils se sourirent en tapant leur coupe sur la table. Le soleil se leva, et Beslan s’assit, balançant d’abord une botte sur la pointe de l’autre, puis le contraire, mais ses compagnons commencèrent à s’impatienter, quelque souvent qu’il leur rappelât que Mat était ta’veren. Une bagarre avec des mendiants ne pouvait passer pour un divertissement acceptable, la rue était trop étroite pour qu’y passent des installations, les femmes n’étaient pas aussi jolies qu’ailleurs, et même lorgner Birgitte perdit de son intérêt quand ils eurent réalisé qu’elle n’avait pas l’intention d’en embrasser ne fût-ce qu’un seul. Avec des protestations de regret que Beslan ne les accompagne pas, ils s’éloignèrent en hâte chercher quelque chose de plus exaltant. Nalesean alla faire un tour dans la ruelle jouxtant la teinturerie, et Birgitte disparut à l’intérieur de La Rose d’Elbar, à la recherche, dit-elle, de quelque chose de buvable caché dans quelque coin oublié.

— Je ne me serais jamais attendu à voir un Lige vêtu comme ça, dit Beslan, croisant pied droit sur pied gauche.

Mat cligna des yeux. Il avait l’œil. Birgitte n’avait pas ôté son masque une seule fois. Enfin, tant qu’il n’était pas au courant pour…

— Je crois que vous serez très bon pour ma Mère, Mat.

Mat s’étrangla, projetant du thé sur un passant. Plusieurs le foudroyèrent avec colère, et une jolie petite femme svelte à la poitrine ravissante lui décocha un sourire faussement pudique de sous un masque bleu dont il pensa qu’il devait représenter un roitelet. Elle tapa du pied et s’éloigna dignement quand il ne lui sourit pas en retour. Heureusement, aucun ne fut assez furieux pour dépasser le stade des regards furibonds avant de poursuivre leur chemin. Ou peut-être malheureusement. Il n’aurait pas été fâché si cinq ou six d’entre eux lui étaient tombés dessus.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-il d’une voix rauque.

La tête de Beslan pivota vers lui, les yeux dilatés de surprise.

— Eh bien, le fait qu’elle vous a choisi pour son mignon, bien sûr. Pourquoi êtes-vous si rouge ? Êtes-vous en colère ? Pourquoi… ?