— Je propose de prononcer la condamnation, dit-elle avec froideur.
— J’approuve et je m’en remets à votre décision, ajouta Adeleas.
Elle fronça les sourcils sur Elayne, l’air déçue, et secoua la tête.
Vandene agita une main dédaigneuse.
— J’approuve et m’en remets à vous. Mais je me range à l’avis du Siège de la Réprimande.
Le regard de Careane afficha peut-être une lueur de sympathie. Peut-être une lueur.
Merilille ouvrit la bouche.
Un coup timide frappé à la porte résonna violemment dans le silence de mort.
— Par la Lumière, qu’est-ce que c’est ? marmonna Merilille avec colère. J’ai dit à Pol de ne nous déranger sous aucun prétexte. Careane ?
Non la plus jeune mais la moins puissante dans le Pouvoir, Careane se leva et rejoignit la porte d’un pas glissé.
C’était Pol en personne, la servante de Merilille, qui surgit, avec force courbettes à droite et à gauche. Mince femme aux cheveux gris, arborant généralement une dignité rivalisant avec celle de sa maîtresse, elle fronçait maintenant les sourcils, l’air anxieux, et avec juste raison, à débarquer ainsi au milieu de la réunion malgré les instructions de Merilille. Elayne n’avait jamais été aussi heureuse de voir quelqu’un depuis… depuis que Mat Cauthon était apparu à La Pierre de Tear. Idée épouvantable. Si Aviendha ne lui disait pas bientôt qu’elle devait s’acquitter du toh, elle devrait voir si lui demander de la battre mettrait fin à cette agonie.
— La Reine a apporté cela en personne, haleta Pol, tenant une lettre fermée d’un large sceau de cire rouge. Elle a dit que si je ne le donnais pas immédiatement à Elayne, elle viendrait elle-même. Elle a précisé qu’il s’agit de la mère de l’enfant.
Elayne faillit grincer des dents. Les servantes des sœurs avaient pris l’habitude de parler d’Elayne et de Nynaeve comme leur maîtresse, même si c’était rarement en leur présence.
Furieuse, elle lui arracha la lettre des mains, sans attendre la permission de Merilille – si toutefois elle la lui avait donnée – et brisa le sceau du pouce.
Ma chère Dame Elayne,
j’apporte de bonnes nouvelles à la Fille-Héritière d’Andor. Je viens d’apprendre que votre mère, la Reine Morgase, est vivante. Actuellement, elle est l’invitée de Pedron Niall en Amador, et souhaite par-dessus tout être réunie avec vous afin que vous rentriez triomphalement en Andor toutes les deux. Je vous offre une escorte pour traverser l’Altara actuellement infesté par des bandits, afin que vous puissiez rejoindre votre mère rapidement et en toute sécurité. Excusez ces quelques mots, griffonnés à la hâte, mais je sais que vous apprécierez d’apprendre cette merveilleuse nouvelle aussi vite que possible. En attendant de vous confier à votre mère,
Scellé dans la Lumière,
Elle froissa la lettre dans sa main. Comment osait-il ? La douleur de la mort de sa mère, sans même un cadavre à enterrer, commençait seulement à s’estomper, et Carridin osait se moquer d’elle de cette façon ? Embrassant la Vraie Source, elle jeta loin d’elle ce ramassis de mensonges et canalisa ; le feu jaillit en plein vol, si chaud que seule une poussière de cendres retomba sur les dalles bleu et or. Et voilà pour Jaichim Carridin. Quant à ces femmes ! L’orgueil de toutes les reines d’Andor depuis mille ans la fortifia comme de l’acier.
Merilille se leva d’un bond.
— Vous n’avez pas été autorisée à canaliser ! Vous allez relâcher la…
— Laisse-nous, Pol, dit Elayne. Immédiatement.
La servante la fixa, médusée, mais la mère d’Elayne lui avait bien enseigné la voix de commandement, la voix d’une Reine parlant du haut de son trône. Pol s’empressa de saluer et se dirigea vers la porte avant de le réaliser. Sur le seuil, elle hésita un instant avant de sortir précipitamment, refermant le battant derrière elle. À l’évidence, ce qui allait se passer devait rester entre Aes Sedai.
— Qu’est-ce qui vous a pris, mon enfant ? dit Merilille, la fureur balayant le calme qu’elle avait péniblement retrouvé. Relâchez la Source immédiatement ou je jure d’aller moi-même chercher sur le champ du Sabot de Vénus !
— Je suis Aes Sedai.
Ces paroles firent l’effet d’une douche froide, et Elayne les pensait vraiment. Les mensonges de Carridin, et ces femmes. Merilille menaçait de la droguer ? Elles allaient reconnaître sa qualité légitime de sœur. Elle et Nynaeve avaient trouvé la Coupe ! Pratiquement, en tout cas, et les arrangements pour son utilisation étaient en cours.
— Vous proposez de me punir pour un secret apparemment connu uniquement des sœurs, mais personne n’a pris la peine de me le communiquer quand j’ai pris le châle. Vous proposez de me punir comme une novice ou une Acceptée, mais je suis Aes Sedai. J’ai été élevée au châle par Egwene al’Vere, l’Amyrlin que vous prétendez servir. Si vous refusez de nous reconnaître pour Aes Sedai, Nynaeve et moi, alors vous refusez de reconnaître le Siège de l’Amyrlin, qui nous a envoyées rechercher la Coupe des Vents, ce que nous avons fait. Je n’accepte pas vos conclusions ! Je vous somme de vous expliquer, Merilille Ceandevin. Soumettez-vous à la volonté du Siège de l’Amyrlin, ou c’est moi qui vous traduirai devant la justice comme rebelle et traître !
Les yeux de Merilille lui sortirent de la tête, et sa mâchoire s’affaissa, mais elle semblait calme à côté de Careane et de Sereitha, qui avaient l’air de suffoquer d’incrédulité. Vandene ne paraissait qu’un peu étonnée, un doigt pensif posé sur ses lèvres, sous des yeux légèrement dilatés, tandis qu’Adeleas se penchait en avant, fixant Elayne comme si elle la voyait pour la première fois.
Elayne canalisa, et l’un des grands fauteuils flotta vers elle ; elle s’y assit, arrangeant ses jupes.
— Autant prendre place aussi, Merilille, dit-elle, toujours de la voix de commandement.
Apparemment, c’était la seule façon de les obliger à l’écouter – mais Merilille la stupéfia en se rasseyant lentement, la fixant de ses yeux exorbités.
Extérieurement, elle restait calme et détachée, mais intérieurement, la colère bouillonnait. Non, bouillait. Des secrets. Elle avait toujours pensé que les Aes Sedai cachaient trop de secrets, même les unes aux autres. Surtout les unes aux autres. Elle en dissimulait certains elle-même, certes, mais seulement par nécessité, et pas de quiconque avait besoin de les connaître. Et ces femmes avaient voulu la punir, elle !
— Vous tenez votre autorité de l’Assemblée de la Tour, Merilille ; Nynaeve et moi, nous la tenons du Siège de l’Amyrlin. La nôtre supplante la vôtre. À partir de maintenant, vous recevrez vos instructions de Nynaeve et de moi-même. Naturellement, nous écouterons attentivement tous les conseils que vous pourriez nous donner.
Tout à l’heure, elle pensait que les yeux de Merilille lui sortaient de la tête, mais maintenant…
— Impossible, bredouilla la Grise. Vous êtes…
— Merilille ! dit Elayne d’un ton tranchant en se penchant vers elle. Vous niez toujours l’autorité de votre Amyrlin ? Vous osez ?
Merilille remua la bouche sans émettre un son. Elle s’humecta les lèvres. Elle secoua spasmodiquement la tête. Elayne ressentit un frisson d’exultation ; ces prétentions à donner des ordres à Merilille, c’était absurde, bien sûr, mais elle serait reconnue. Thom et sa mère disaient toujours qu’il faut demander dix pour obtenir un. Mais ça ne suffisait pas pour calmer sa colère. Elle eut envie de leur administrer du Sabot de Vénus elle-même, et de voir jusqu’où elle pouvait pousser son avantage. Sauf que cela risquait de tout gâcher. Elles se rappelleraient vite son âge, et qu’elle n’avait pas dépouillé la robe de novice depuis longtemps ; elles recommenceraient peut-être à penser à elle comme à une jeune écervelée, idée qui raviva sa fureur. Mais elle se contenta de dire :