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Malgré sa bonne résolution de garder son calme, d’être douce, elle embrassa la saidar et lui fourra un bâillon d’Air dans la bouche avant qu’il ne puisse dire ce qu’elle n’avait pas envie d’entendre. Tant qu’il ne parlerait pas, elle pourrait faire semblant de ne pas savoir. Mais quand elle mettrait la main sur Myrelle… ! Les opales s’enfoncèrent durement dans sa paume et elle lâcha sa tresse comme si elle l’avait brûlée. Elle occupa ses doigts à lui caresser une fois de plus les cheveux, tandis que, bouche grande ouverte, il la regardait avec indignation.

— Petite leçon pour vous apprendre la différence entre les épouses et les autres femmes, dit-elle d’un ton léger.

Qui exigea un gros effort.

— J’apprécierais beaucoup que vous ne mentionniez plus jamais le nom de Myrelle en ma présence. Comprenez-vous ?

Il hocha la tête, et elle relâcha le flot, mais dès qu’il eut fait jouer sa mâchoire, il dit :

— Sans citer de nom, Nynaeve, vous savez qu’elle a conscience de tout ce que je ressens, par l’intermédiaire du lien. Si nous sommes mari et femme…

Le feu lui monta aux joues au point qu’elle craignit d’exploser en flammes. Elle n’avait jamais pensé à ça ! Maudite Myrelle !

— Y a-t-il un moyen qu’elle sache avec certitude que c’est moi ? dit-elle enfin, le visage prêt à s’enflammer.

Surtout quand il se renversa contre la paroi de la cabine en riant d’étonnement.

— Par la Lumière, Nynaeve, vous êtes un faucon ! Oh, Lumière, je n’ai pas ri ainsi depuis…

Son hilarité retomba, et ses yeux retrouvèrent un instant leur froideur.

— Je voudrais que cela soit, Nynaeve, mais…

— C’est possible et ce sera, l’interrompit-elle.

Les hommes semblaient toujours prendre le dessus si on les laissait parler trop longtemps. Elle se jucha sur ses genoux. Ils n’étaient pas encore mariés, certes, mais il était plus confortable que les banquettes sans coussins de ce bateau. Enfin, pas plus dur que ces sièges.

— Vous feriez aussi bien de vous habituer à cette idée, Lan Mandragoran. Mon cœur vous appartenait, et vous avez reconnu voilà longtemps que le vôtre m’appartenait aussi. Vous m’appartenez, et je ne vous laisserai pas partir. Vous serez mon Lige et mon mari, et pour très longtemps. Je ne vous laisserai pas mourir. Comprenez-vous cela ? Je peux être aussi entêtée qu’il le faut.

— Je n’avais pas remarqué, fit-il.

Elle étrécit les yeux. Son ton sonnait affreusement… ironique.

— Tant que vous le remarquez maintenant, dit-elle avec fermeté.

Elle regarda derrière lui par le hublot, puis, s’étirant le cou, elle jeta un coup d’œil par l’écran ajouré au fond de la cabine. De longues jetées de pierre partant du quai défilaient près d’eux ; tout ce qu’elle voyait vers l’avant, c’étaient d’autres jetées, et la cité blanche qui scintillait au soleil de l’après-midi.

— Où allons-nous ? marmonna-t-elle.

— Je leur ai demandé de nous débarquer dès que vous seriez à bord. Le mieux m’a semblé de vous écarter de la rivière aussi vite que possible.

— Vous… ?

Elle referma la bouche. Il ne savait pas où elle allait, ni pourquoi. Il avait fait ce qui lui avait paru le mieux avec les renseignements qu’il possédait. Et il lui avait sauvé la vie.

— Je ne peux pas retourner dans la cité maintenant, Lan.

S’éclaircissant la gorge, elle changea de ton. Même si elle devait se montrer douce avec lui, tant de sirop allait lui redonner la nausée.

— Il faut que je me rende auprès du Peuple de la Mer, sur la Flèche des Vents.

Beaucoup mieux, le ton ; léger, mais pas trop, et ferme.

— Nynaeve, j’étais juste derrière votre bateau. J’ai vu ce qui s’est passé. Vous étiez cinquante brasses devant moi, puis cinquante brasses derrière, en train de sombrer. Il faut que ce soit le malefeu.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus ; elle le fit pour lui, et mieux renseignée que lui.

— Moghedien, émit-elle en un souffle.

Oh, cela aurait pu être un autre Réprouvé, ou une Ajah Noire, peut-être, mais elle savait. C’est qu’elle avait battu Moghedien non pas une, mais deux fois. Elle pouvait la battre une troisième, si nécessaire. Son visage ne partageait peut-être pas sa confiance.

— N’ayez pas peur, dit Lan, lui effleurant la joue. N’ayez jamais peur quand je suis là. Si vous devez affronter Moghedien, je ferai en sorte que vous soyez assez furieuse pour canaliser. Il semble que j’aie quelque talent dans ce domaine.

— Vous ne me mettrez plus jamais en colère, commença-t-elle, puis elle s’arrêta et le regarda, les yeux dilatés. Je ne suis pas en colère, ajouta-t-elle lentement.

— Pas maintenant, mais quand vous avez besoin de l’être…

— Je ne suis pas en colère, répéta-t-elle en riant.

Elle sauta de joie, et lui martela la poitrine de ses poings, riant toujours. La saidar l’emplit, non plus seulement de bonheur et de vie, mais aussi de respect révérenciel. Elle lui caressa les joues d’un flot d’Air doux comme des plumes.

— Je ne suis pas en colère, Lan, murmura-t-elle.

— Votre blocage est parti.

Il eut un grand sourire, partageant son ravissement, mais qui ne mit aucune chaleur dans son regard.

Je prendrai soin de toi, Lan Mandragoran, se promit-elle mentalement. Je ne te laisserai pas mourir. Se blottissant contre sa poitrine, elle eut envie de l’embrasser, et même… Tu n’es pas Calle Coplin, se tança-t-elle avec fermeté.

Soudain, une idée terrible la frappa.

— Les rameurs ? dit-elle doucement. Mes gardes du corps ?

Il secoua la tête sans un mot, et elle soupira. Ses gardes du corps. Par la Lumière, c’étaient eux qui avaient eu besoin de sa protection, pas le contraire. Quatre morts de plus à mettre au compte de Moghedien. Quatre, en plus des milliers d’autres, mais ces morts la touchaient personnellement. Bon, elle n’allait pas régler le problème de Moghedien maintenant.

Se levant, elle commença à voir ce qu’elle pouvait faire pour rectifier sa tenue.

— Lan, voulez-vous dire aux rameurs de faire demi-tour ? Dites-leur de souquer ferme.

À cette allure, elle ne reverrait pas le palais avant la nuit.

— Et voyez si l’un d’eux posséderait un peigne.

Elle ne pouvait pas affronter Nesta comme ça.

Il ramassa son épée et sa cape, et s’inclina.

— À vos ordres, Aes Sedai.

Elle regarda la porte se refermer avec une moue pensive. Il se moquait d’elle, non ? Elle aurait parié que quelqu’un pourrait célébrer un mariage à bord de La Flèche des Vents. Et d’après ce qu’elle avait vu du Peuple de la Mer, elle aurait parié que Lan Mandragoran se retrouverait à jurer de faire ce qu’on lui dirait. Et alors, on verrait bien qui rirait.

Roulant et tanguant, le bateau se mit à virer sur son erre, et son estomac tangua avec lui.

— Oh, Lumière ! gémit-elle, retombant sur la banquette.

Pourquoi n’avait-elle pas perdu sa propension au mal de mer en même temps que son blocage ? Tenant la saidar, elle avait conscience du moindre contact de l’air sur sa peau, ce qui n’arrangeait pas les choses. Et relâcher la saidar ne lui apporta aucun soulagement. Elle ne recommencerait pas à vomir. Lan lui appartiendrait une fois pour toutes. Ce pouvait encore être un jour merveilleux. Si seulement elle cessait de sentir cette tempête qui approchait.

Un soleil sanglant paraissait juste au-dessus des toits quand Elayne frappa à la porte. Derrière elle, les fêtards dansaient et gambadaient dans la rue, emplissant l’air de rires, de chansons et de parfums.