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— Le Haut Seigneur Darlin n’est arrivé que récemment par chaloupe avec quelques amis intimes, Tomas.

La voix voluptueuse de Caraline ne changea pas, mais son hongre se mit soudain à piaffer, sans aucun doute suite à un bon coup de talon, et sous couvert d’en reprendre le contrôle, elle tourna le dos à Darlin et lança à Rand un bref regard d’avertissement.

— N’importunez pas le Haut Seigneur, Tomas.

— Peu importe, Caraline, dit Darlin, accrochant son arc à sa selle.

Il se rapprocha un peu plus, et posa un bras sur son troussequin.

— Un homme doit savoir où il met les pieds. Vous avez peut-être entendu dire qu’al’Thor est allé à la Tour, Tomas. Je suis venu parce que des Aes Sedai m’ont prévenu voilà des mois que cela pouvait arriver, et votre cousine m’a informé qu’elle avait reçu les mêmes avertissements… Nous pensions pouvoir la mettre sur le trône avant que Colavaere ne s’en empare. Mais al’Thor n’est pas un imbécile ; n’allez jamais le croire. Personnellement, je crois qu’il a joué de la Tour comme il aurait joué de la harpe. Colavaere s’est pendue, il vit tranquillement derrière les murailles de Cairhien – sans être tenu en laisse par les Aes Sedai, je parie, quoi qu’en dise la rumeur –, et jusqu’à ce que nous trouvions le moyen de nous tirer de cette situation, nous sommes dans sa main, attendant qu’il ferme le poing.

— Un bateau vous a amené, dit simplement Rand. Un bateau peut vous remmener.

Brusquement, Min réalisa qu’il lui tapotait doucement le bras. S’efforçant de la calmer, elle !

Inopinément, Darlin rejeta la tête en arrière et éclata de rire. Beaucoup de femmes oublieraient son nez pour ces yeux et ce rire.

— C’est exact, Tomas, mais j’ai demandé à votre cousine de m’épouser. Elle ne dit ni oui ni non, mais un homme ne peut pas abandonner une future épouse possible à la merci des Aiels, et elle ne veut pas partir d’ici.

Caraline Damodred se redressa sur sa selle, flegmatique à faire honte à une Aes Sedai, mais soudain des auras de rouge et de blanc fulgurèrent autour de sa tête et de celle de Darlin, et Min sut. En général les couleurs semblaient n’avoir aucune importance, mais elle sut qu’ils se marieraient – quand Caraline se serait bien fait prier. De plus, elle vit soudain une couronne sur la tête de Darlin – un simple bandeau d’or marqué d’une épée incurvée au-dessus du front. La couronne royale qu’il porterait un jour, mais de quel pays, elle ne le savait pas. Tear avait des Hauts Seigneurs à la place d’un roi.

Darlin fit tourner son cheval face à Caraline, et image et auras disparurent.

— Il n’y a pas de gibier aujourd’hui. Toram est déjà retourné au camp, et je propose que nous fassions de même.

Il scruta rapidement le sous-bois de ses yeux bleus.

— Il semble que votre cousin et sa femme aient perdu leurs chevaux. Ils reviendront d’eux-mêmes quand on s’y attendra le moins, ajouta-t-il obligeamment à l’adresse de Rand.

Il savait pertinemment qu’ils n’avaient pas de chevaux.

— Mais je suis certain que Rovair et Ines leur prêteront volontiers leurs montures. Une promenade au grand air leur fera du bien.

Le trapu en surcot rayé rouge sauta immédiatement à bas de son grand alezan, avec un sourire flagorneur à l’adresse de Darlin, et un sourire nettement moins chaleureux, quoique aussi obséquieux, à Rand. La femme au visage revêche fut un peu moins empressée à descendre de sa jument gris argent. Elle n’avait pas l’air contente.

Min non plus.

— Vous voulez aller dans leur camp ? chuchota-t-elle à Rand en se dirigeant vers les chevaux. Vous êtes fou ? ajouta-t-elle sans réfléchir.

— Pas encore, dit-il doucement, lui touchant le bout du nez de l’index. Grâce à vous, je le sais.

Il la hissa sur la jument, puis se mit en selle sur l’alezan, qu’il talonna pour rejoindre Darlin.

Ils partirent vers le nord, et un peu vers l’ouest, traversant la pente, laissant en arrière sous les arbres Rovair et Ines qui se regardaient en chiens de faïence. Emboîtant le pas au Cairhienin, les autres Tairens, riant et plaisantant, leur souhaitèrent de bien jouir de la balade.

Min aurait voulu chevaucher près de Rand, mais Caraline la retint par le bras, pour rester derrière les deux hommes.

— Je veux voir ce qu’il va faire, dit doucement Caraline, sans préciser lequel des deux. Vous êtes sa maîtresse ? ajouta-t-elle.

— Oui, répondit Min avec défi, quand elle eut repris son souffle.

Elle avait les joues en feu. Mais Caraline hocha simplement la tête, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Peut-être que ce l’était, à Cairhien. Parfois, elle se disait que le vernis mondain qu’elle avait acquis en fréquentant de grands personnages, était aussi mince que son corsage.

Rand et Darlin chevauchaient genou contre genou, le plus jeune dépassant le plus âgé de la tête, tous deux drapés dans leur dignité comme dans une cape. Mais conversant néanmoins. Les écouter n’était pas facile. Ils parlaient bas, et les craquements des feuilles mortes et des branches sous le pas des chevaux suffisait à étouffer leurs paroles. Le cri d’un faucon dans le ciel ou le pépiement d’un écureuil dans un arbre les couvraient totalement. Quand même, elle percevait des bribes de la conversation.

— Si je peux me permettre cette remarque, Tomas, dit Darlin comme ils descendaient une pente, et la Lumière m’est témoin que je la respecte, vous avez de la chance d’avoir une femme si belle. Si la Lumière le veut, j’en aurai bientôt une tout aussi belle.

— Pourquoi ne parlent-ils pas de quelque chose d’important ? maugréa Caraline.

Min tourna la tête pour dissimuler un sourire. Dame Caraline n’avait pas l’air aussi mécontente que ses paroles le donnaient à penser. Elle-même ne s’était jamais souciée qu’on la trouve belle ou non. Enfin, jusqu’à ce qu’elle rencontre Rand. Peut-être que le nez de Darlin n’était pas si long que ça, après tout.

— J’aurais accepté qu’il tire Callandor de la Pierre, commenta Darlin un peu plus tard, montant une nouvelle pente aux arbres clairsemés. Mais je n’ai pas pu rester neutre quand il a amené des envahisseurs aiels dans Tear.

— J’ai lu les prophéties du Dragon, dit Rand, se penchant sur l’encolure de l’alezan et talonnant l’animal.

Le cheval avait belle apparence, observa Min, mais sans doute pas plus de fond que son propriétaire.

— La Pierre devait tomber avant qu’il ne puisse prendre Callandor, poursuivit Rand. D’autres seigneurs tairens le suivent, paraît-il.

Darlin émit un grognement.

— Ils sont serviles et ils lui lèchent les bottes ! J’aurais pu le suivre, si c’était ce qu’il désirait, si…

Avec un soupir, il branla du chef.

— Trop de « si », Tomas. Il y a un dicton à Tear : « Toute querelle peut être oubliée, mais les rois n’oublient jamais. » Tear n’a pas eu de roi depuis Artur Aile-de-Faucon, mais je crois que le Dragon Réincarné est très semblable à un roi. Non, il m’a accusé de trahison, comme il dit, et je dois continuer comme j’ai commencé. Si la Lumière le veut, je reverrai Tear souveraine de son propre pays avant de mourir.

Ce ne pouvait être que l’œuvre du ta’veren, Min le savait. Il n’aurait jamais parlé ainsi à un homme qu’il venait de rencontrer. Qu’il fût censément le cousin de Caraline Damodred ou non. Mais que pensait Rand ? Il lui tardait de lui parler de la couronne.

Arrivés en haut de la pente, ils tombèrent soudain sur un groupe de lanciers, certains en casques ou en plastrons cabossés, la plupart sans l’un et l’autre, qui s’inclinèrent dès qu’ils les aperçurent. À droite et à gauche, à travers les arbres, Min vit d’autres groupes de sentinelles. En bas, le camp se déployait dans ce qui semblait un nuage de poussière permanent, descendant une autre pente dénudée, traversant la vallée et remontant sur la colline suivante. Les tentes étaient rares, mais grandes, avec des bannières de familles nobles pendant à un mât au sommet de chacune. Il y avait presque autant de chevaux que de gens, attachés en ligne à des piquets, et des milliers d’hommes et une poignée de femmes circulaient entre les feux de cuisine et les chariots. Aucun n’acclama à l’arrivée de leurs chefs.