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— Êtes-vous sûr que vous ne préféreriez pas rester ici ? demanda Elayne. Je suis certaine que la Reine Tylin apprécierait votre compagnie pour le petit déjeuner. La Reine dit qu’elle vous trouve merveilleusement divertissant, et courtoisement conciliant, ajouta-t-elle d’un ton dubitatif.

Mat s’enfuit vers les calèches, la corbeille dans une main, son ashandarei dans l’autre.

— Tous les hommes du Nord sont timides comme ça ? s’enquit Laren.

Il risqua un coup d’œil par-dessus son épaule sans cesser de courir, et poussa un soupir de soulagement. La servante rassemblait déjà ses jupes et se retournait pour franchir l’écran végétal, et Elayne faisait signe à Reanne et aux autres de former un cercle autour d’elle. Même ainsi, il frissonna. Les femmes seraient sa mort.

Contournant la calèche la plus proche, il faillit lâcher la corbeille en voyant Beslan assis sur le marchepied, le soleil étincelant sur l’étroite lame de son épée dont il examinait le tranchant.

— Que faites-vous là ? s’exclama-t-il.

Beslan rengaina son épée, le visage fendu d’un grand sourire.

— Je viens au Rahad avec vous. Je me doute que vous nous trouverez d’autres divertissements.

— Y a intérêt, bâilla Nalesean, la main devant la bouche. Je n’ai presque pas dormi cette nuit, et maintenant vous me traînez là-bas alors qu’il y a ici des femmes du Peuple de la Mer.

Vanin se redressa sur son tonneau, regarda autour de lui, ne vit rien bouger, et se rendormit.

— Il n’y aura pas de divertissement si ça dépend de moi, grommela Mat.

Nalesean n’avait presque pas dormi ? Ha ! Toute la bande avait passé la nuit dehors à profiter de la fête. Non qu’il n’en ait pas profité lui-même par intermittence, mais seulement quand il parvenait à oublier qu’il était avec une femme qui le traitait comme une sorte de poupée !

— Quelles femmes du Peuple de la Mer ?

— Quand Nynaeve Sedai est rentrée hier soir, elle en a ramené une douzaine ou plus avec elle, Mat.

Beslan expulsa bruyamment son air, ses mains dessinant dans le vide des formes voluptueuses.

— Ces déhanchements, Mat !

Mat secoua la tête ; il n’avait pas les idées claires ; Tylin lui brouillait la cervelle. Nynaeve et Elayne lui avaient parlé des Pourvoyeuses-de-Vent, à contrecœur et en lui faisant jurer le secret, après avoir tenté de dissimuler où Nynaeve voulait aller, et encore plus pourquoi. Et sans rougir le moins du monde. « Les femmes tiennent leurs promesses à leur façon », disait le proverbe. À la réflexion, Lawtin et Belvyn n’étaient pas avec le reste des Bras Rouges. Nynaeve voulait peut-être se racheter pour les deux autres en les gardant près d’elle. « … À leur façon. » Mais si les Pourvoyeuses-de-Vent étaient déjà dans le palais, sûrement qu’il ne faudrait pas la moitié d’une semaine pour utiliser la Coupe. Ô Lumière, fais qu’elles aillent vite !

Comme si le fait de penser à elle l’avait attirée, Nynaeve franchit nonchalamment l’écran végétal et entra dans la cour des écuries. La mâchoire de Mat s’affaissa. L’homme de haute taille en tunique verte qu’elle avait à son bras, c’était Lan ! Ou plutôt, elle était à son bras, s’y cramponnant à deux mains et lui souriant avec adoration. De toute autre femme, Mat aurait pensé qu’elle le regardait en crapaud mort d’amour, mais il s’agissait de Nynaeve !

Elle sursauta en réalisant où elle était, et s’écarta vivement d’un pas, tout en continuant un instant à tenir la main de Lan. Le choix de sa robe ne valait pas mieux que celui d’Elayne en fait de discrétion, toute soie bleue et broderies vertes, avec un décolleté assez profond pour révéler un lourd anneau d’or qui aurait été trop grand pour ses deux pouces réunis, et se balançant entre ses seins au bout d’une mince chaîne d’or. Le chapeau à large bord qu’elle balançait par ses rubans était bordé de plumes bleues, sa cape cache-poussière en lin vert brodée de bleu. Comparées à elle et à Elayne, les autres femmes paraissaient ternes dans leurs robes de drap.

De toute façon, même si elle regardait Lan avec des yeux de crapaud mort d’amour un instant auparavant, elle était déjà redevenue elle-même, ramenant sa tresse sur sa poitrine.

— Rejoignez les autres hommes maintenant, Lan, ordonna-t-elle d’un ton péremptoire, et nous pourrons partir. Les quatre dernières calèches sont pour les hommes.

— À vos ordres, dit Lan, s’inclinant, la main sur la poignée de son épée.

Elle le regarda partir vers Mat l’air émerveillée, sans doute incapable de croire qu’il obéisse si docilement, puis elle se secoua et redevint de nouveau elle-même. Rassemblant Elayne et les autres femmes, elle les pilota vers les deux premières calèches comme elle aurait poussé un troupeau d’oies. À la façon dont elle cria qu’on ouvre les portes de la cour, on n’aurait jamais cru que c’était elle qui avait retardé leur départ. Elle apostropha aussi les cochers, qui saisirent leurs rênes et se mirent à manier leurs fouets, tant et si bien que ce fut miracle que tout le monde puisse grimper à bord.

Se hissant gauchement derrière Lan, Nalesean et Beslan dans la troisième calèche, Mat posa sa lance en travers de la portière et, la calèche démarrant d’une embardée, il tomba lourdement sur son siège, la corbeille sur les genoux.

— D’où sortez-vous, Lan ? demanda-t-il dès que les présentations furent faites. Vous êtes bien le dernier homme que je m’attendais à voir. Où étiez-vous ? Par la Lumière, je vous croyais mort. Je sais que Rand a peur que vous ne le soyez. Et vous laissez Nynaeve vous donner des ordres ! Au nom de la Lumière, pourquoi acceptez-vous ça ?

Le Lige au visage de pierre sembla réfléchir à quelle question répondre en premier.

— Nynaeve et moi, nous avons été mariés hier soir par la Maîtresse-des-Vaisseaux, dit-il finalement. Les Atha’an Miere ont plusieurs coutumes de mariage… insolites. Elles nous ont surpris tous les deux.

Un imperceptible sourire effleura ses lèvres, mais ce fut tout. Il haussa les épaules ; apparemment, il n’avait pas l’intention d’en dire davantage.

— La bénédiction de la Lumière soit sur vous et sur votre épouse, murmura poliment Beslan, s’inclinant autant que le permettait l’espace restreint de la calèche, et Nalesean marmonna quelque chose, mais, à voir son air, il était clair qu’il le croyait fou. Nalesean avait pas mal subi la compagnie de Nynaeve.

Mat resta immobile, oscillant au rythme des cahots, les yeux braqués sur Lan. Nynaeve mariée ? Lan marié à Nynaeve ? Cet homme était fou. Pas étonnant qu’il ait l’air aussi sombre. Personnellement, Mat aurait préféré fourrer un renard enragé dans sa chemise. Seuls les imbéciles se mariaient, et seul un fou pouvait épouser Nynaeve.

Si Lan remarqua que les autres n’étaient pas exactement enthousiastes, il ne le montra pas. À part les yeux, il n’était pas différent d’autrefois. Peut-être un peu plus dur, si c’était possible.

— Il y a quelque chose de plus important, précisa Lan. Nynaeve ne veut pas que vous le sachiez, Mat, mais vous devez être au courant. Vos deux hommes sont morts, tués par Moghedien. J’en suis désolé, mais, si ce peut être une consolation, ils étaient morts avant de s’en rendre compte. Nynaeve pense que Moghedien doit être partie, sinon elle aurait fait une autre tentative, mais je n’en suis pas aussi certain qu’elle. Il semble qu’elle éprouve une animosité particulière envers Nynaeve, mais Nynaeve ne m’a pas dit pourquoi.

De nouveau ce sourire, dont Lan ne semblait pas avoir conscience.

— Pas tout dit, en tout cas, mais peu importe. Mais il vaut mieux que vous sachiez ce qui nous attend peut-être de l’autre côté du fleuve.

— Moghedien, prononça Beslan en un souffle, les yeux brillants.