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De nouveau, il lui tendit le médaillon.

Elle secoua lentement la tête, perplexe, puis elle se tourna pour murmurer quelque chose à Reanne. Et c’est seulement quand la Famille se dirigea vers Nynaeve, qui leur faisait de grands signes en haut d’une volée de marches, qu’Elayne prit le médaillon et le retourna entre ses doigts.

— Avez-vous idée de ce que j’aurais donné pour avoir cet objet à étudier ? demanda-t-elle doucement. Une idée quelconque ?

Elle était grande pour une femme, mais elle devait quand même lever les yeux vers lui. On avait l’impression nue c’était la première fois qu’elle le voyait.

— Vous êtes un homme pénible, Mat Cauthon. Lini dirait que je me répète, mais vous… !

Expulsant son air, Elayne leva le bras pour lui ôter son chapeau et lui repasser le cordon autour du cou. Elle alla jusqu’à fourrer la tête de renard sous sa chemise, et la tapota avant de lui rendre son couvre-chef.

— Je ne porterai pas ce médaillon alors que Nynaeve n’en a pas, ni Aviendha. Et je crois qu’elles feraient la même chose. Portez-le, vous. Après tout, vous aurez du mal à tenir votre promesse si c’est vous que tue Moghedien. Non qu’elle soit toujours là, à mon avis. Je pense qu’elle croit avoir tué Nynaeve, et ça ne m’étonnerait pas qu’elle ne soit venue que pour ça. Mais vous devez être prudent. Nynaeve annonce une tempête en préparation, et elle ne parle pas du vent actuel. Je…

La même faible rougeur revint colorer ses joues.

— Je suis désolée de m’être moquée de vous.

Elle s’éclaircit la gorge et détourna les yeux.

— Parfois, j’oublie mes devoirs envers mes sujets. Vous en êtes un très digne d’estime. Mat Cauthon. Je veillerai à ce que Nynaeve comprenne le droit de… de vous et de Tylin. Elle pourra peut-être faire quelque chose.

— Non, bredouilla-t-il. Je veux dire, oui. Je veux dire… C’est que… oh, que j’embrasse une imbécile de chèvre si je sais ce que je veux exprimer. Je regretterais presque que vous sachiez la vérité.

Nynaeve et Elayne discutant de lui et de Tylin en prenant le thé ! Pourrait-il jamais faire oublier ça ? Après ça, pourrait-il jamais regarder l’une ou l’autre en face ? Mais si elles ne… Il se trouvait entre le loup et l’ours, sans possibilité de fuite.

— Oh, côtes d’agneau ! Côtes d’agneau et oignons au beurre !

Il aurait presque souhaité qu’elle le rabroue pour son langage comme Nynaeve l’aurait fait, juste pour parler d’autre chose. Elle remua les lèvres en silence, et un instant, il eut l’étrange impression qu’elle répétait ce qu’il venait de dire. Il se trompait, bien sûr. Il avait des visions, c’est tout.

— Je comprends, ajouta-t-elle tout haut, exactement comme si elle comprenait. Venez maintenant, Mat. Nous ne pouvons pas perdre notre temps à rester plantés là.

Bouche bée, il la regarda retrousser jupes et cape pour avancer sur l’embarcadère. Elle comprenait ?

Elle comprenait, et pas le moindre petit commentaire acide, pas la moindre remarque blessante ? Et il était son sujet. Son sujet très digne d’estime. Tripotant son médaillon, il la suivit. Avant, il était sûr que le difficile serait de le récupérer. Même s’il vivait aussi longtemps que deux Aes Sedai, il ne comprendrait toujours pas les femmes, et les nobles étaient encore pires que les autres.

Quand il arriva aux marches, Elayne était déjà descendue, et deux rameurs aux anneaux d’oreilles en cuivre maniaient déjà les avirons pour s’écarter du quai. Elayne poussait Reanne et la dernière Sage-Femme dans la cabine, et Lan était debout à la proue avec Nynaeve. Beslan l’appela du bateau voisin, où se trouvaient tous les hommes à part le Lige.

— Nynaeve a dit qu’il n’y avait pas de place pour nous, indiqua Nalesean comme le bateau roulait dans l’Eldar. Elle a souligné qu’on serait trop serrés.

Beslan éclata de rire, embrassant leur propre bateau du regard. Vanin, assis près de la cabine, fermait les yeux, s’efforçant d’imaginer qu’il était ailleurs. Hanan et Tad Kandel, Andorans, bien qu’aussi sombres de peau que les matelots, avaient grimpé sur le toit de la cabine ; le reste des Bras Rouges étaient accroupis sur le pont, s’efforçant de ne pas gêner les rameurs. Personne n’entra dans la cabine, tous attendant apparemment pour voir si Mat, Nalesean ou Beslan voudraient en disposer.

Mat se posta à l’avant, juste à côté du mât de proue, suivant des yeux le bateau des femmes qui rampait sur ses avirons juste devant eux. Le vent fouettait les eaux sombres et agitées, de même que son écharpe, et il dut retenir son chapeau de la main. Qu’est-ce que mijotait Nynaeve ? Les neuf autres femmes du premier bateau étaient toutes dans la cabine, laissant tout le pont à Lan et à elle. Ils étaient debout à la proue, Lan bras croisés, Nynaeve faisant des gestes comme pour expliquer. Sauf que Nynaeve expliquait rarement quoi que ce soit. Et jamais aurait été plus exact que rarement.

Quoi qu’elle fît, cela ne dura pas longtemps. Il y avait des moutons sur la baie où les rakeurs, les glisseurs et les planeurs du Peuple de la Mer dansaient sur leurs amarres. Dans le fleuve, c’était encore supportable, mais le bateau ballottait plus qu’au cours d’aucun voyage précédent, Bientôt Nynaeve, penchée sur la lisse, restituait son petit déjeuner, soutenue par Lan. Cela rappela à Mat son propre estomac. Coinçant son chapeau sous son bras pour qu’il ne s’envole pas, il sortit son morceau de fromage.

— Beslan, est-ce que la tempête va éclater avant que nous puissions rentrer du Rahad ?

Il mordit dans le fromage fort ; ils avaient cinquante fromages différents à Ebou Dar, tous bons. Nynaeve était toujours penchée sur la lisse. Quelles quantités avait-elle mangées le matin ?

— Je ne vois pas où nous pourrons loger si nous sommes coincés là-bas.

Il ne se rappelait pas une seule auberge du Rahad où il pourrait emmener les femmes.

— Pas de tempête, dit Beslan, s’asseyant sur la lisse. Ce sont les vents marchands de l’hiver qui soufflent deux fois par an, à la fin de l’hiver et à la fin de l’été. Mais il faut qu’ils soufflent beaucoup plus fort pour que ça devienne une tempête.

Il dirigea sur la baie un regard acide.

— Tous les ans, ces vents amènent – amenaient – des vaisseaux du Tarabon et de l’Arad Domain. Je me demande s’ils reviendront un jour.

— La Roue tisse…, commença Mat, et il s’étrangla sur une miette de fromage.

Sang et cendres, il commençait à parler comme un vieillard chauffant ses rhumatismes devant la cheminée. Et s’inquiéter d’avoir peut-être à emmener les femmes dans une auberge mal famée ! Un an plus tôt, six mois plus tôt, il les y aurait emmenées sans états d’âme, et il aurait ri de voir leurs yeux leur sortir de la tête, ri de leurs effarouchements pudibonds.

— Enfin, nous vous trouverons peut-être quelque divertissement dans le Rahad. À tout le moins, quelqu’un tentera de couper une bourse ou de voler le collier d’Elayne.

Peut-être était-ce ce qu’il lui fallait pour lui laver la bouche de son désir des convenances. Les convenances ! Par la Lumière, quel mot à appliquer à Mat Cauthon ! Tylin devait le terroriser plus qu’il ne pensait, s’il en était réduit à cette extrémité. Il avait peut-être besoin de divertissement du genre de Beslan. C’était fou – il n’avait jamais vu une bagarre qu’il ne préférait pas éviter – mais peut-être que…

Beslan secoua la tête.

— Si quiconque peut trouver ce que vous cherchez, vous trouverez, mais… Nous serons avec sept Sages-Femmes, Mat. Sept. Et même avec une seule, vous pourriez gifler un homme, même dans le Rahad, et il ravalerait sa langue et s’en irait. Et les femmes. Quel plaisir y a-t-il à embrasser une femme sans le risque qu’elle décide de vous planter un couteau dans le corps ?