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Autant mettre les choses au point dès le début.

— Demandez à Adeleas ou à Vandene comme je me soucie d’une femme qui canalise.

Renaile regarda au-delà de lui en direction de Tylin, mais ce n’est pas à la Reine qu’elle parla.

— Nynaeve Sedai, dit-elle avec ironie, je crois que notre marché n’incluait pas l’obligation pour moi d’écouter ce jeune cracheur d’étoupes. Je…

— Je me soucie comme d’une guigne des marchés que vous avez passés avec d’autres, fille des sables, répliqua sèchement Mat.

Ainsi, il ne la maîtrisait pas si bien que ça, son irritation. On ne peut subir que jusqu’à un certain point sans craquer.

Derrière elle, toutes les femmes ravalèrent bruyamment leur air. Quelque chose comme mille ans plus tôt, une femme du Peuple de la Mer avait traité un soldat essenien de fils des sables, juste avant de tenter de lui planter un couteau dans les côtes ; ce souvenir était maintenant enfoui dans la mémoire de Mat. Ce n’était pas la pire insulte qu’on pût faire aux Atha’an Miere, mais presque. Cramoisie, la respiration sifflante et les yeux exorbités, Renaile bondit sur ses pieds, tirant la dague sertie de pierres de lune. Mat la lui prit des mains avant que la lame n’atteigne sa poitrine et la repoussa dans son fauteuil. Il avait les mains très rapides. Et il pouvait aussi maîtriser sa colère. Quel que fût le nombre des femmes pensant pouvoir le faire danser comme une marionnette, il pouvait…

— Écoutez-moi bien, espèce de bouchain. D’accord, peut-être qu’il ne la maîtrisait pas tout à fait, sa colère.

— Nynaeve et Elayne ont besoin de vous, sinon je vous abandonnerais au gholam qui vous réduirait en miettes et à l’Ajah Noire qui ramasserait vos restes. En ce qui vous concerne, je suis Maître-des-Lames, et mes lames sont dégainées.

Ce que cela signifiait exactement, il n’en avait aucune idée, sauf qu’il avait entendu cette formule une fois.

— Et quand les lames sont dégainées, même la Maîtresse-des-Vaisseaux s’incline devant le Maître-des-Lames. Voilà le marché passé entre vous et moi : vous irez là où Elayne et Nynaeve veulent aller, et en échange, je ne vous attacherai pas sur le dos de chevaux comme des sacs de grain pour vous y traîner !

Ce n’était pas une façon de parler à la Pourvoyeuse-de-Vent de la Maîtresse-des-Vaisseaux. Ni au laveur de pont d’un rafiot minable, d’ailleurs. Renaile trembla sous l’effort de ne pas lui sauter à la gorge, et au diable la dague qu’il tenait.

— C’est accepté, sous la Lumière, gronda-t-elle.

Les yeux lui sortaient de la tête, ses lèvres remuaient sans émettre un son, la confusion le disputait à l’incrédulité sur son visage. Cette fois, les soupirs derrière elle s’exprimèrent comme si le vent déchirait les rideaux.

— C’est accepté, dit vivement Mat, portant ses doigts à ses lèvres puis les pressant sur ceux de Renaile.

Après quelques instants, elle fit de même, ses doigts tremblant sur ses lèvres. Il lui tendit sa dague, qu’elle regarda, les yeux mornes, avant de la remettre dans son fourreau couvert de pierreries. Ce n’était pas poli de tuer un homme avec qui l’on vient de conclure un marché. Du moins, pas avant que les conditions n’en soient remplies. Des murmures s’élevèrent derrière son fauteuil, de plus en plus forts, et Renaile se ressaisit et claqua dans ses mains. Cela imposa le silence à toutes, depuis les Pourvoyeuses-de-Vent jusqu’aux Maîtresses-des-Voiles, de même qu’aux deux moussaillonnes en formation.

— Je crois que je viens de conclure un marché avec un ta’veren, dit-elle de sa voix grave et calme.

Elle aurait pu donner des leçons aux Aes Sedai sur la façon de reprendre son sang-froid en vitesse.

— Mais un jour, Maître Cauthon, s’il plaît à la Lumière, vous monterez dans le gréement pour moi.

Il ne savait pas ce que ça voulait dire, sauf que ça sonnait déplaisant. Il fit pourtant bonne figure.

— Tout est possible, s’il plaît à la Lumière, murmura-t-il.

La courtoisie payait, après tout. Mais elle arborait un sourire plein d’espoir qui était assez inquiétant.

Quand il se retourna vers les autres, on aurait dit qu’il avait des cornes et des ailes, à voir leur tête.

— Y a-t-il d’autres contestations ? demanda-t-il avec ironie, et il n’attendit pas la réponse. Je pensais bien que non. Dans ce cas, je suggère que vous choisissiez un endroit assez loin d’ici, et nous pourrons nous mettre en route dès que vous aurez rassemblé vos affaires.

Elles reprirent leurs discussions bidon ; un vrai numéro. Elayne mentionna Caemlyn, au moins à moitié sérieusement, et Careane proposa plusieurs villages écartés dans les Collines Noires, facilement accessibles par un portail. Par la Lumière, n’importe où était facilement accessible par un portail ! Vandene parla de l’Arafel, et Aviendha suggéra Ruidhean, dans le Désert des Aiels, les Atha’an Miere s’assombrissant de plus en plus à mesure que les endroits nommés s’éloignaient de la mer. Rien qu’un numéro. Pour Mat du moins, c’était clair, à la façon dont Nynaeve tripotait sa tresse avec impatience malgré le feu roulant des propositions.

Enfin, Reanne dit timidement :

— Puis-je parler, Aes Sedai ?

Elle alla même jusqu’à lever le doigt.

— La Famille possède une ferme de l’autre côté du fleuve, à quelques miles vers le nord. Tout le monde sait que c’est une retraite pour les femmes qui aiment le silence et la contemplation, mais personne ne sait qu’elle est à nous. Les bâtiments sont vastes et assez confortables, s’il était besoin d’y séjourner longtemps, et…

— Oui, l’interrompit Nynaeve. Oui, c’est exactement ce qu’il nous faut. Qu’en pensez-vous, Elayne ?

— Je pense que c’est merveilleux, Nynaeve. Et je sais que Renaile appréciera de rester proche de la mer.

Les cinq autres sœurs renchérirent, s’exclamant que ce serait très agréable et que c’était la meilleure proposition de toutes.

Mat leva les yeux au ciel. Tylin était l’image même de la personne qui refuse de voir ce qu’elle a sous son nez, mais Renaile sauta sur la proposition comme la truite sur la mouche. Ce qui était le but recherché, bien sûr Pour une raison inconnue, elle ne devait pas savoir qu’Elayne et Nynaeve avaient tout combiné à l’avance. Elle sortit à la tête des Atha’an Miere, pour aller chercher les affaires qu’elles avaient apportées, avant qu’Elayne et Nynaeve ne puissent changer d’avis.

Ces deux-là auraient suivi Merilille et les quatre autres, mais il leur fit signe de rester. Elles se consultèrent du regard – lui, il aurait dû parler une heure pour communiquer tout ce qui passa dans leurs yeux – puis, à sa surprise, elles s’approchèrent. Aviendha et Birgitte regardèrent de la porte, Tylin de son fauteuil.

— Je suis désolée de vous avoir utilisé, Mat, dit Elayne avant qu’il ait pu prononcer un mot, lui décochant un de ses sourires à fossettes. Nous avions nos raisons, Mat ; il faut le croire.

— Raisons que tu n’as pas à connaître, intervint fermement Nynaeve, rejetant sa tresse dans son dos d’un mouvement de tête expérimenté, qui fit rebondir l’anneau de Lan sur sa poitrine.

Lan devait être fou.

— Je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que vous avez fait. Qu’est-ce qui vous a pris de brutaliser ainsi les Atha’an Miere ? Vous auriez pu tout faire rater.

— Qu’est-ce que la vie si on ne prend pas un risque de temps en temps ? répondit-il avec désinvolture.

Tant mieux si elles pensaient que son intervention était planifiée, au lieu d’être le résultat d’un mouvement d’humeur. Mais elles l’avaient utilisé sans le prévenir, et il voulait leur donner une leçon.

— La prochaine fois que vous devrez conclure un marché avec le Peuple de la Mer, prévenez-moi. Ça vous évitera un fiasco comme le dernier.