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— … pris votre temps, Therava, disait une voix familière. Neuf jours. Nous sommes rentrées depuis longtemps.

Neuf jours ? Galina secoua la tête, frottant son visage sur le sol. Depuis que les Aiels avaient tué son cheval sous elle, ses souvenirs de tous les jours se fondaient en un mélange de faim, de courses et de coups, mais ça avait sûrement duré plus de neuf jours. Des semaines certainement. Peut-être un mois ou plus.

— Faites-la entrer, dit la voix familière avec impatience.

On la remit sur ses pieds, on la poussa de l’avant, lui baissant la tête de force pour passer sous les rabats d’une vaste tente aux parois verticales. On la jeta sur un lit de tapis superposés bordé d’un labyrinthe tairen rouge et bleu dépassant sous des fleurs criardes étalées sous son nez. Avec difficulté elle releva la tête.

D’abord, elle ne vit que Sevanna, assise devant elle sur un grand coussin à glands jaunes. Sevanna, avec ses cheveux fins comme de l’or filé et ses yeux d’émeraude claire. Traîtresse Sevanna qui lui avait donné sa parole pour distraire l’attention d’un raid sur Cairhien, puis qui avait rompu son serment en essayant de libérer al’Thor. Sevanna qui, au moins, pouvait la tirer des griffes de Therava.

Elle se releva péniblement sur les genoux, et, pour la première fois, réalisa qu’il y avait d’autres personnes dans la tente. Therava était assise sur un autre coussin à la droite de Sevanna et à la tête d’une rangée courbe de Sagettes, quatorze femmes qui pouvaient canaliser, mais Micara, qui lui imposait l’écran, était debout à la fin de la rangée. La moitié d’entre elles faisaient partie du groupe qui l’avait capturée avec une aisance dédaigneuse. Jamais plus elle ne serait aussi imprudente avec des Sagettes ; jamais plus. Des hommes et des femmes en robes blanches, petits et pâles, circulaient derrière les Sagettes, présentant en silence des plateaux d’or ou d’argent chargés de petites tasses, et d’autres faisaient de même de l’autre côté de la tente, où une Aielle aux cheveux gris, en tunique et chausses brun et gris, était assise à la gauche de Sevanna, à la tête d’une rangée de douze Aiels au visage de pierre. Des hommes. Et elle ne portait rien que sa chemise, déchirée et trouée en de nombreux endroits. Galina serra les dents pour réprimer un cri. Elle raidit le dos, pour s’empêcher de s’enfoncer dans l’épaisseur des tapis et se cacher de ces yeux glacés de mâles.

— Il semble qu’une Aes Sedai puisse mentir, dit Sevanna, et Galina sentit le sang se retirer de son visage.

Cette femme ne pouvait pas savoir ; c’était impossible.

— Vous avez prêté des serments, Galina Casban, et vous les avez rompus. Pensiez-vous que vous pouviez assassiner une Sagette puis vous enfuir hors de portée de nos lances ?

Un instant, le soulagement figea la langue de Galina. Sevanna ne savait pas qu’elle était de l’Ajah Noire. Si elle n’avait pas abandonné la Lumière depuis si longtemps, elle aurait remercié la Lumière. Elles attaquaient les Aes Sedai, et elles s’offusquaient quand certaines d’entre elles mouraient ? Une minuscule étincelle d’indignation, pas plus. Après tout, Sevanna déformait les faits, mais qu’est-ce que c’était comparé à des jours de raclées et aux yeux de Therava ? Un rire rauque et douloureux lui monta dans la gorge tant c’était absurde. Et sa gorge était si sèche.

— Remerciez la Lumière que certaines d’entre vous soient encore en vie, parvint-elle à articuler à travers son rire. Même maintenant, il n’est pas trop tard pour corriger vos erreurs, Sevanna.

Avec effort, elle ravala son rire avant qu’il ne se transforme en sanglots. Juste avant.

— Quand je rentrerai à la Tour Blanche, je me souviendrai de celles qui m’auront aidée, même ici.

Elle aurait bien ajouté « et de celles qui feront le contraire », mais le regard implacable de Therava la fit palpiter de peur et lui noua l’estomac. Pour ce qu’elle en savait, Therava avait peut-être le droit de faire d’elle tout ce qui lui plairait. Il devait y avoir un moyen d’inciter Sevanna à… la prendre en charge. C’était amer, mais n’importe quoi valait mieux que Therava. Sevanna était ambitieuse et cupide. En train de froncer les sourcils sur Galina, elle avait brièvement aperçu sa propre main et souri d’admiration à ses bagues serties de gros rubis et d’émeraudes. Elle portait des bagues à la moitié de ses doigts, et des colliers de perles, rubis et diamants dignes d’une reine paraient le renflement de ses seins. On ne pouvait pas faire confiance à Sevanna, mais peut-être pouvait-on l’acheter. Therava était une force de la nature ; autant essayer d’acheter une inondation ou une avalanche.

Il y eut un long silence, à peine rompu par les murmures des domestiques en robes blanches circulant avec leurs plateaux, puis…

— Vous êtes da’tsang, dit Sevanna.

Galina battit des paupières. Elle était une méprisée ? Assurément, elles avaient abondamment exprimé leur mépris, mais pourquoi… ?

— Vous êtes da’tsang, entonna une Sagette au visage poupin qu’elle ne connaissait pas.

Et une femme une main plus grande que Thevara renchérit :

— Vous êtes da’tsang.

Le visage de faucon de Therava aurait pu être sculpté dans du bois, mais ses yeux, fixés sur Galina, brillaient d’un éclat accusateur. Galina eut l’impression d’être clouée au sol, à l’endroit où elle était à genoux, incapable de bouger un muscle. Comme un oiseau hypnotisé par un serpent qui rampe à sa rencontre. Personne ne lui avait jamais fait ressentir cela. Personne.

— Trois Sagettes ont parlé, dit Sevanna avec un sourire de satisfaction, presque de bienvenue.

Therava gardait son air sévère. Ce qui venait de se passer ne lui plaisait pas. Car quelque chose s’était passé, même si Galina ne savait pas quoi. Sauf que cela semblait l’avoir délivrée de Therava. C’était plus qu’assez pour le moment. Plus qu’assez.

Quand les Vierges coupèrent ses liens et la fourrèrent dans une robe de drap noir, elle fut si contente qu’elle ne s’offusqua même pas qu’elles lui arrachent d’abord les vestiges de sa chemise devant les yeux glacés des hommes. Le drap épais était chaud, démangeait et irritait ses plaies, mais elle le reçut comme si ç’avait été de la soie. Malgré Micara qui maintenait toujours son écran, elle avait envie de rire quand les Vierges la conduisirent hors de la tente. Cette envie fut de courte durée. Il ne lui fallut pas longtemps pour se demander si supplier Sevanna à genoux lui servirait à quelque chose. Elle l’aurait fait, elle se serait agenouillée devant cette femme, sauf que Micara lui fit comprendre sans ambiguïté qu’elle ne devait aller nulle part où on ne lui dirait pas d’aller, ou prononcer un mot à moins qu’on ne lui adresse la parole.

Bras croisés Sevanna regardait l’Aes Sedai descendre le flanc de la montagne en titubant, et s’arrêter à côté d’une Vierge accroupie, une badine à la main, pour poser la pierre en forme de tête qu’elle portait. La capuche noire se tourna brièvement vers Sevanna, mais la da’tsang se baissa vivement pour soulever une autre grosse pierre et se retourna pour remonter péniblement les cinquante toises la séparant de l’endroit où Micara l’attendait avec une autre Vierge. Là, elle lâcha la pierre, en prit une autre et redescendit. On humiliait toujours les da’tsangs par des travaux inutiles ; à moins de grande nécessité, elle ne serait même pas autorisée à porter une tasse d’eau, mais un labeur sans but remplirait toutes les heures de sa journée jusqu’à ce qu’elle meure de honte. Le soleil était encore loin de son zénith, et bien d’autres jours l’attendaient.