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Une douleur soudaine fulgura de son cou à sa nuque, une légère faiblesse pénétra tous ses membres. Trop longtemps éloigné du Shayol Ghul. Ce lien devrait être tranché d’une façon ou d’une autre. Grondant, il se retourna pour retrouver l’ombre qu’il lui fallait. Le jour approchait. Le jour viendrait.

41

Une couronne d’épées

Se retournant dans son lit, Rand rêvait, des rêves incohérents où il argumentait avec Perrin et suppliait Mat de trouver Elayne, où les couleurs fulguraient juste hors de portée de la vue, et où Padan Fain bondissait sur lui avec un couteau flamboyant, et parfois, il croyait entendre une voix pleurant une morte au cœur de la brume, rêves où il tentait de s’expliquer avec Elayne, Aviendha, et Min, toutes les trois à la fois, et même Min le fixait avec mépris.

— … pas être dérangé !

Voix de Cadsuane. Dans son rêve ?

La voix l’effrayait ; dans son rêve, il hurla pour Lews Therin et le son résonna en écho à travers un brouillard épais où remuaient des formes, des humains et des chevaux, un brouillard où il courait, haletant, poursuivi implacablement par Cadsuane. Alanna s’efforçait de l’apaiser, mais elle avait peur de Cadsuane, elle aussi ; il ressentait sa frayeur aussi vivement que la sienne. Il avait mal à la tête. Et au côté ; la vieille cicatrice était en feu. Il sentit le saidin. Quelqu’un tenait le saidin. Était-ce lui ? Il ne savait pas. Il se débattit pour s’éveiller.

— Vous allez le tuer ! cria Min. Je ne vous laisserai pas le tuer !

Il ouvrit les yeux sur son visage. Elle ne le regardait pas, mais elle berçait sa tête dans ses bras et elle foudroyait quelqu’un se trouvant à l’écart du lit. Elle avait les yeux rouges d’avoir pleuré, mais elle ne pleurait plus. Oui, il était dans son propre lit, dans sa chambre du Palais du Soleil. Il voyait la lourde colonne carrée d’ébène incrustée d’ivoire. En corsage crème et sans tunique, Min, recroquevillée autour de lui, semblait le protéger de son corps, allongée sur le drap de lin qui le recouvrait jusqu’au cou. Alanna avait peur ; il perçut cette peur comme un frémissement au fond de sa tête. Peur pour lui. Pour une raison quelconque, mais pour lui, il en était sûr.

— Je crois qu’il est réveillé, Min, dit doucement Amys.

Min baissa les yeux, et son visage, encadré de bouclettes noires, s’illumina d’un sourire.

Lentement – parce qu’il se sentait faible – il détacha les bras de Min et s’assit. La tête lui tourna, mais il se força à ne pas se rallonger. Son lit était encerclé.

D’un côté, se tenait Amys, flanquée de Bera et de Kiruna. Les traits trop juvéniles d’Amys n’affichaient aucune expression, mais elle rejeta en arrière ses longs cheveux blancs, et rajusta son châle, comme rectifiant sa tenue après un combat. Extérieurement, les deux Aes Sedai étaient sereines, mais d’une sérénité volontaire, en reine prête à se battre pour son trône, en paysanne prête à lutter pour sa ferme. Curieusement, s’il avait jamais vu trois personne se tenir les coudes – et pas seulement physiquement – c’étaient ces trois-là, debout épaule contre épaule comme si elles ne faisaient qu’une.

De l’autre côté du lit, Samitsu, avec ses clochettes d’argent dans les cheveux, et une sœur svelte aux épais sourcils noirs et aux cheveux noir corbeau en désordre, étaient debout avec Cadsuane, qui avait les poings sur les hanches. Samitsu et l’Aes Sedai aux cheveux noir corbeau portaient des châles frangés de jaune et serraient les dents aussi fort que Bera et Kiruna ; pourtant le regard sévère de Cadsuane les faisait toutes paraître hésitantes. Les deux groupes de femmes ne se regardaient pas entre elles, mais observaient les hommes.

Au pied du lit se tenait Dashiva, l’épée d’argent et le Dragon rouge et or luisant à son col, flanqué de Flinn et de Narishma, tous le visage lugubre, s’efforçant de surveiller à la fois toutes les femmes des deux côtés du lit. Jonan Adley était debout près d’eux, une manche de sa tunique noire apparemment roussie. Les quatre hommes étaient remplis du saidin, à déborder, semblait-il. Dashiva en tenait presque autant que Rand l’aurait pu. Rand regarda Adley, qui hocha légèrement la tête.

Brusquement, Rand réalisa qu’il ne portait rien sous le drap qui était tombé à sa taille, et rien au-dessus, à part un bandage autour du ventre.

— Combien de temps ai-je dormi ? demanda-t-il. Comment se fait-il que je sois vivant ?

Il toucha le pansement blanc avec précaution.

— La dague de Fain venait de Shadar Logoth. Une fois, j’ai vu tuer un homme en un instant d’une simple écorchure. Il est mort vite, et il est mort douloureusement.

Dashiva marmonna une malédiction où filtrait le nom de Padan Fain.

Samitsu et l’autre Jaune échangèrent des regards étonnés, mais Cadsuane se contenta de hocher la tête, les ornements d’or entourant son chignon gris se balançant doucement.

— Oui ; Shadar Logoth ; cela expliquerait plusieurs choses. Si vous êtes en vie, vous pouvez en remercier Sumeko, et Maître Flinn.

Elle ne regarda pas le vieil homme grisonnant à la couronne blanche, mais il eut un grand sourire, comme si elle lui avait fait une révérence ; et, chose étonnante, les deux Jaunes le saluèrent aussi de la tête.

— Et Corele ici présente aussi, bien sûr, poursuivit Cadsuane. Chacun et chacune a apporté sa part, y compris certaines choses dont je crois qu’elles n’ont pas été faites depuis la Destruction. Sans tous les trois, ajouta-t-elle d’un ton lugubre, vous seriez mort à l’heure qu’il est. Vous pouvez encore mourir si vous ne vous laissez pas guider. Vous devez vous reposer, ne faire aucun effort.

Soudain, l’estomac de Rand grogna bruyamment, et elle ajouta :

— Nous n’avons pu vous faire avaler qu’un peu d’eau et de bouillon depuis votre blessure. Deux jours sans nourriture, c’est long pour un malade.

Deux jours. Seulement deux. Il évita de regarder Adley.

— Je vais me lever, dit-il.

— Je ne les laisserai pas vous tuer, berger, proclama Min, une lueur obstinée dans les yeux, et je ne vous laisserai pas vous tuer vous-même non plus.

Elle lui noua les bras autour des épaules comme pour l’empêcher de bouger.

— Si le Car’a’carn désire se lever, énonça Amys sans ambages, je dirai à Nandera de faire entrer les Vierges qui sont dans le couloir. Somera et Enaila se feront un plaisir de lui apporter toute l’aide qu’il lui faudra.

Les coins de sa bouche frémirent d’un sourire réprimé. Autrefois Vierge elle-même, elle connaissait pratiquement tout de cette situation. Ni Bera ni Kiruna ne sourirent ; elles le contemplèrent, fronçant les sourcils, comme s’il était le dernier des imbéciles.

— Mon garçon, j’ai déjà vu plus de vos joues fessières que je n’en avais envie, mais si vous voulez les parader devant nous six, peut-être quelqu’une appréciera-t-elle le spectacle. Mais si vous tombez sur le nez, je pourrais bien vous fesser avant de vous remettre au lit.

À l’air de Samitsu et de Corele, elles se feraient un plaisir de l’assister.

Narishma et Adley fixèrent Cadsuane, choqués, tandis que Flinn tiraillait sa tunique, comme se parlant tout seul. Mais Dashiva aboya un éclat de rire.

— Si vous voulez que nous fassions sortir les femmes…

Il se mit à préparer des flots, non des écrans, mais des tissages complexés d’Esprit et de Feu dont Rand supposa qu’ils seraient trop douloureux pour les femmes à qui il les destinait pour qu’elles pensent à canaliser.

— Non, dit-il vivement.

Bera et Kiruna obéiraient à l’ordre de sortir, et si Corele et Samitsu avaient contribué à le garder en vie, il leur devait autre chose que de la souffrance. Mais si Cadsuane pensait que sa nudité allait l’obliger à rester couché, elle allait avoir une surprise. Il n’était pas certain que les Vierges lui aient laissé la moindre pudeur. Avec un sourire à Min, il dénoua ses bras, rejeta le drap, et sortit du lit du côté d’Amys.