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Soudain, ses idées s’éclaircirent assez pour qu’il voie où il était, titubant à travers une vaste étendue dallée jonchée de blocs de pierre dont certains aussi gros que lui. Ici et là, de grands trous irréguliers béaient dans les dalles. Tout autour s’élevaient de hauts murs, et des étages et des étages de larges balcons faisant tout le tour de la salle. Seule une petite partie de ce qui avait été un vaste toit demeurait, dans un coin. On voyait les étoiles à travers.

Il fit un pas chancelant, et le sol se déroba sous lui. Il écarta les bras, en un effort désespéré pour stopper sa chute ; sa main droite rencontra quelque chose de rugueux qui l’arrêta d’une secousse. Il pendillait dans des ténèbres totales. Sous ses bottes, un vide de quelques empans finissant dans une cave, ou d’un mile pour ce qu’il en savait. Il pouvait tisser des bandes d’Air à travers le trou dentelé au-dessus de sa tête pour se hisser à la surface, sauf que… D’une façon ou d’une autre, Sammael avait senti la quantité relativement modeste de saidin utilisée dans l’épée. Il y avait eu un délai avant que les éclairs ne frappent, mais il ne pouvait pas dire combien de temps il avait mis pour tuer les Trollocs. Une minute ? Quelques secondes ?

Prenant son élan, il balança le bras gauche vers le haut, essayant d’attraper le bord du trou. La douleur, qui n’était plus atténuée par le Vide, lui fit l’effet d’un coup de poignard s’enfonçant dans son flanc. Des étoiles dansèrent devant ses yeux. Pire, sa main droite glissa sur la pierre effritée et il sentit ses doigts faiblir. Il allait devoir…

Une main saisit son poignet droit.

— Sacré imbécile, dit un homme d’une voix grave. Estimez-vous heureux que je n’aie pas envie de vous voir mourir aujourd’hui.

La main commença à le hisser.

— Allez-vous m’aider à la fin ? demanda la voix. Je n’ai pas l’intention de vous porter sur mes épaules, ni de tuer Sammael pour vous.

Se remettant du choc, Rand leva l’autre bras, saisit le bord du trou, et tirant malgré la douleur martyrisante de son flanc, il parvint à retrouver le Vide et à saisir le saidin. Il ne canalisa pas, mais il voulait être prêt.

Sa tête et ses épaules sortirent enfin du trou, et il vit l’homme, grand gaillard un peu plus âgé que lui, avec des cheveux noirs comme la nuit et une tunique aussi noire que celle des Asha’man. Rand ne l’avait jamais vu. Au moins, ce n’était pas l’un des Réprouvés, dont il connaissait tous les visages. Enfin, il pensait les connaître.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Le hissant toujours, l’homme aboya un éclat de rire.

— Disons que je suis un voyageur de passage. Vous avez vraiment envie de parler maintenant ?

Économisant son souffle, Rand continua à tirer sur son bras, sortit du trou jusqu’à la poitrine, puis jusqu’à la taille. Brusquement il réalisa qu’une lueur baignait l’espace autour d’eux, comme la clarté d’une pleine lune.

Se contorsionnant pour regarder par-dessus son épaule, il vit Mashadar. Pas une volute cette fois, mais une vague gris argent roulant hors d’un balcon et s’arquant au-dessus de leurs têtes. Descendant.

Sans réfléchir, il leva sa main libre, et le malefeu jaillit, barre de feu blanc liquide qui trancha dans la vague plongeant vers eux. Il eut confusément conscience d’une autre barre de feu solide jaillissant de la main de l’homme qui ne tenait pas son poignet, et qui frappa à l’opposé de la sienne. Les deux firent mouche.

La tête vibrant comme un gong, Rand se convulsa, saidin et Vide fracassés. Tout devint double à sa vue, les balcons, les blocs de pierre jonchant le sol. L’homme était devenu deux, les silhouettes se chevauchant, chacune se tenant la tête à deux mains. Battant des paupières, Rand chercha des yeux Mashadar. La vague de brume chatoyante avait disparu ; une lueur persistait sur les balcons, s’affaiblissant, s’éloignant à mesure que la vue de Rand s’éclaircissait. Même le Mashadar dépourvu d’esprit craignait le malefeu, semblait-il.

Il se releva en chancelant et tendit la main.

— Nous ferions bien de vider les lieux en vitesse, je crois. Qu’est-ce qui s’est passé ?

L’autre saisit la main de Rand et se releva en grimaçant. Il était facilement aussi grand que Rand, chose rare, sauf chez les Aiels.

— Je ne sais pas ce qui s’est passé, grogna-t-il. Courez, si vous voulez vivre.

Joignant le geste à la parole, il fonça vers une rangée d’arcades. Pas vers le mur le plus proche. C’est de là qu’était sorti Mashadar.

S’efforçant de retrouver le Vide, Rand clopina derrière lui aussi vite qu’il le put, mais avant qu’ils ne les aient atteintes, des éclairs se remirent à fulgurer, en une pluie de flèches d’argent. Les deux hommes filèrent sous les arcades, poursuivis par le tonnerre des murs et des sols s’effondrant derrière eux, par des grêles de pierres et des nuages de poussière. Courbant les épaules, se protégeant le visage de son bras, Rand traversa, courant et toussant, une large salle au plafond soutenu par des arches branlantes, et sous une pluie de pierres.

Il surgit inopinément dans la rue, et fit trois pas avant de s’arrêter, le flanc si douloureux qu’il avait envie de se plier en deux, mais s’il le faisait, il craignait que ses jambes ne cèdent sous lui. Son pied blessé l’élançait ; il lui semblait qu’un an s’était écoulé depuis que ce fil rouge de Feu et d’Air avait frappé son talon. Debout, son sauveur le regardait ; couvert de poussière de la tête aux pieds, il parvenait encore à avoir l’air d’un roi.

— Qui êtes-vous ? répéta Rand. L’un des hommes de Taim ? À moins que vous n’ayez tout appris par vous-même ? Vous pouvez aller à Caemlyn, vous savez, à la Tour Noire. Vous n’avez pas à vivre dans la crainte des Aes Sedai.

Ce disant, et pour une raison inconnue, il fronça les sourcils ; il ne comprit pas pourquoi.

— Je n’ai jamais eu peur des Aes Sedai, répliqua sèchement l’inconnu, puis il prit une profonde inspiration. Vous devriez partir maintenant, mais si vous avez l’intention de rester et de tuer Sammael, vous feriez bien d’essayer de penser comme lui. Vous avez prouvé que vous le pouvez. Si possible, il a toujours aimé détruire un homme en vue de l’un de ses propres triomphes. Sinon, d’un endroit que cet homme a marqué comme sien lui suffit.

— La Porte des Voies, dit lentement Rand.

S’il pouvait signifier qu’il avait marqué quoi que ce fût à Shadar Logoth, c’était la Porte des Voies.

— Il attend près de la Porte des Voies. Et il y a tendu son piège.

Ses gardes aussi semblait-il, comme celles d’Illian, pour détecter un homme qui canalisait. Sammael avait bien fait ses plans. L’homme eut un rire ironique.

— Vous pouvez en trouver le chemin, je crois. Si l’on vous conduit par la main. Tâchez de ne pas trébucher. De nombreux plans devront être modifiés si vous vous laissez tuer maintenant.

Se retournant, il se dirigea vers une ruelle juste en face d’eux.

— Attendez, cria Rand.

L’inconnu continua à marcher sans regarder en arrière.

— Qui êtes-vous ? Quels plans ?

L’homme disparut dans la ruelle.

Rand tituba derrière lui, mais quand il arriva à l’entrée de l’étroit passage, il était désert. Des murs droits couraient sur une bonne centaine de toises jusqu’à une autre rue où une lueur annonçait la présence de Mashadar, mais l’homme avait disparu. Ce qui était absolument impossible. Il avait eu le temps de créer un portail, bien sûr, s’il savait comment, mais le résidu en aurait été visible, et de plus, tant de saidin tissé si près de lui l’aurait alerté.

Soudain, il réalisa qu’il n’avait pas non plus senti le saidin quand l’homme avait lancé le malefeu. Rien que de penser aux deux barres de feu se touchant, il recommença à voir double. Juste un instant, il distingua le visage de l’homme, très net alors que tout le reste était flou. Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées.