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Ses explications semblaient raisonnables ; elles étaient sans doute vraies. Non, selon un autre des Trois Serments, elles étaient vraies. Il y avait des accommodements, bien sûr. Comme de ne pas dire toute la vérité, ou de faire diversion. Les sœurs avaient très bien pu se mettre en danger afin de se servir légitimement du Pouvoir Unique comme d’une arme, mais Perrin voulait bien avaler ses bottes si elles n’avaient pas également l’intention d’atteindre Rand avant tout le monde. Ce qui serait arrivé alors, la Lumière seule le savait, mais il était certain que leurs plans n’incluaient rien de ce qui s’était passé par la suite.

— Il arrive ! dit Loial brusquement. Regardez, il arrive ! Soyez prudent, Perrin, ajouta-t-il en un murmure.

Pour un Ogier, c’était véritablement un murmure. Aram et Kiruna l’entendirent sans doute clairement, peut-être Bera, mais aucune des autres.

— Elles ne vous ont rien juré à vous ! s’écria-t-il, recommençant à tonitruer. Vous croyez qu’il me parlerait de ce qui s’est passé au camp ? Pour mon livre.

Il écrivait un livre sur le Dragon Réincarné, ou du moins il prenait des notes.

— Je n’ai vraiment pas vu grand-chose après… après le début des combats.

Il était au côté de Perrin, au beau milieu de la mêlée, brandissant une hache au manche presque aussi grand que lui ; il était bien difficile de remarquer grand-chose quand on s’efforçait de rester en vie. À entendre Loial, on pouvait conclure qu’il se trouvait toujours ailleurs quand la situation devenait dangereuse.

— Vous pensez qu’il me parlerait, Kiruna Sedai ?

Kiruna et Bera se regardèrent, puis, sans un mot, rejoignirent Vérine et les autres. Les suivant des yeux, Loial poussa un soupir, tel un coup de vent dans une caverne.

— Vous devriez vraiment faire attention, Perrin, dit-il en un souffle. Vous avez toujours la langue trop vive.

Cela sonna comme un bourdon de la taille d’un chat, non plus d’un mastiff. Perrin se dit qu’il apprendrait peut-être à murmurer, s’il passait assez de temps autour des Aes Sedai. Pourtant, il fit signe à l’Ogier de se taire, pour pouvoir écouter. Les sœurs se remirent tout de suite à parler, mais aucun son ne parvint aux oreilles de Perrin. À l’évidence, elles avaient élevé une barrière à l’aide du Pouvoir Unique.

Évident aussi pour les Asha’man. L’espace d’un battement de cœur, ils se redressèrent et se haussèrent sur la pointe des pieds, toutes leurs antennes braquées sur les sœurs. Rien ne disait qu’ils avaient recours au saidin, la moitié mâle de la Vraie Source, mais Perrin aurait parié Steppeur que c’était le cas. Et à voir le rictus coléreux de Gedwyn, il était prêt à s’en servir.

Quelque obstacle qu’aient élevé les Aes Sedai, elles devaient y avoir renoncé. Elles croisèrent les mains et se retournèrent pour contempler la pente en silence. Les Asha’man se consultèrent du regard, et finalement, Gedwyn leur fit signe de reprendre leur indolence apparente. Il avait l’air déçu. Grondant avec irritation, Perrin se retourna vers les chariots.

Rand montait tranquillement la pente. Min à son bras, lui tapotant la main et bavardant avec elle. Une fois, il renversa la tête en arrière et éclata de rire, et elle baissa la sienne pour faire de même, repoussant les boucles brunes qui lui tombaient sur les épaules. On aurait dit un campagnard avec sa promise. Sauf qu’il portait une épée à la ceinture et que, parfois, il en caressait le pommeau. À part Taim qui marchait près de lui, de l’autre côté. À part les Sagettes qui marchaient sur ses talons ; et le cercle de Vierges et de siswai’amans, de Cairhienins et de Mayeners, qui complétaient la procession.

Quel plaisir ce serait que de ne pas avoir à descendre dans ce charnier ; mais il fallait avertir Rand des inimitiés croisées qu’il avait vues le matin même.

Que ferait-il si Rand n’écoutait pas ? Rand avait changé depuis qu’il avait quitté les Deux Rivières, et surtout depuis qu’il avait été kidnappé par Coiren et sa bande. Non, il fallait que Rand conserve sa raison.

Quand Rand et Min entrèrent dans le cercle des chariots, la plus grande partie de la procession resta à l’extérieur, mais un groupe important les accompagna quand même.

Taim suivit Rand comme son ombre, bien sûr, bronzé, nez busqué, et doté d’un physique que les femmes devaient trouver avantageux, supposait Perrin. Beaucoup de Vierges devaient l’avoir regardé à deux fois, et même trois ; elles étaient assez effrontées en ce domaine. Une fois entré dans le cercle, Taim regarda vers Gedwyn, qui secoua imperceptiblement la tête. Une grimace passa sur son visage, aussitôt disparue.

Nandera et Suline marchaient sur les talons de Rand, sur la même ligne naturellement, et Perrin s’étonna qu’elles n’aient pas amené vingt Vierges de plus. Autant que Perrin pouvait en juger, elles ne laissaient pas Rand ne fût-ce que prendre un bain sans des Vierges pour garder sa baignoire. Il ne comprenait pas comment Rand supportait ça. Chacune avait sa shoufa sur les épaules, découvrant des cheveux courts avec une queue dans le dos. Nandera était mince et musclée, avec des cheveux plus gris que blonds, mais ses traits durs parvenaient à sembler élégants sinon beaux. Suline – maigre, parcheminée, avec abondance de cicatrices et de cheveux blancs – faisait paraître Nudera presque jolie et douce par comparaison. Elles aussi regardèrent les Asha’man sans en avoir l’air, puis elles examinèrent les deux groupes d’Aes Sedai avec autant de circonspection. Nandera agita les doigts en langage des Vierges. Perrin regretta à nouveau de ne pas le comprendre, mais une Vierge renoncerait à la lance pour épouser un crapaud avant d’accepter d’enseigner leur langue des signes à un homme. Une Vierge que Perrin n’avait pas remarquée, assise sur ses talons contre un chariot à quelques pas de Gedwyn, répondit de la même façon, de même qu’une autre, qui jusque-là jouait au Jeu du Berceau avec une sœur de la lance, près des prisonnières.

Amys arriva avec les Sagettes et les prit à part pour conférer avec Sorilea et quelques autres restées dans les chariots. Malgré un visage trop jeune pour les longs cheveux blancs qui lui tombaient jusqu’à la taille, Amys était une femme importante, venant immédiatement après Sorilea. Elles n’utilisèrent aucun truc du Pouvoir Unique pour protéger leur conversation, mais sept ou huit Vierges les encerclèrent aussitôt et se mirent à fredonner doucement. Certaines assises, d’autres debout ou accroupies sur les talons, chacune pour soi comme par hasard. Pour un imbécile.

Il semblait à Perrin qu’il soupirait beaucoup depuis qu’il fréquentait les Aes Sedai et les Sagettes. Les Vierges aussi. Dernièrement, les femmes en général semblaient le mettre en boule.

Dobraine et Havien, conduisant leur cheval par la bride, fermaient la marche. Havien avait enfin vu une bataille ; Perrin se demanda s’il serait aussi pressé de voir la suivante. À peu près du même âge que Perrin, il n’avait pas l’air aussi jeune que l’avant-veille. Dobraine, ses longs cheveux presque entièrement gris rasés sur le front à la mode des soldats cairhienins, n’était assurément plus jeune et n’avait assurément pas vu sa première bataille la veille, mais à vrai dire, il avait l’air plus vieux qu’avant les combats, lui aussi, et paraissait inquiet. Havien également. Ils cherchèrent Perrin du regard.

Un autre jour, il aurait attendu pour voir de quoi ils voulaient parler, mais aujourd’hui, il glissa à bas de sa selle, lança les rênes de Steppeur à Aram, et s’approcha de Rand. D’autres l’avaient précédé. Seules Suline et Nandera gardèrent le silence.

Kiruna et Bera avaient bougé à l’instant où Rand était entré dans le cercle de chariots ; quand Perrin arriva à leur niveau, Kiruna disait à Rand d’un ton pompeux :