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— Vous avez refusé la Guérison hier, mais chacun peut voir que vous souffrez encore, même si Alanna n’était pas prête à sauter hors de…

Elle s’interrompit quand Bera lui toucha le bras, mais reprit presque sans faire de pause :

— Peut-être êtes-vous prêt à être Guéri maintenant ?

Ce qui sonna comme si elle avait dit : « Peut-être êtes-vous revenu de votre sottise ? »

— La question des Aes Sedai doit être réglée sans délai, Car’a’carn, dit cérémonieusement Amys, tout de suite après Kiruna.

— Elles devraient nous être confiées, Rand al’Thor, renchérit Sorilea au moment où Taim prenait la parole.

— Le problème des Aes Sedai n’a pas besoin d’être réglé, mon Seigneur Dragon. Mes Asha’man savent comment s’y prendre. On peut les garder facilement à la Tour Noire.

Ses yeux noirs légèrement en amande se posèrent brièvement sur Kiruna et Bera, et Perrin réalisa avec stupeur qu’il parlait de toutes les Aes Sedai, et pas seulement des prisonnières. D’ailleurs, si Amys et Sorilea le fixèrent en fronçant les sourcils, le regard qu’elles posèrent sur les deux Aes Sedai signifiait la même chose.

Kiruna sourit à Taim, aux Sagettes, sourire pincé convenant à son caractère. Sourire peut-être un poil plus dur que lorsqu’il s’adressait à l’homme en veste noire, mais elle ne semblait pas encore réaliser ses intentions. Il était qui il était, et ça suffisait.

— En la circonstance, dit-elle avec froideur, je suis certaine que Coilen Sedai et les autres me donneront leur parole. Vous n’avez plus besoin de vous inquiéter…

Les autres se mirent à parler toutes en même temps.

— Ces femmes n’ont pas d’honneur, dit Amys avec mépris, et cette fois, il était clair qu’elle les incluait toutes. Comment leur parole pourrait-elle avoir une valeur quelconque ? Elles…

— Elles sont da’tsang, dit Sorilea d’un ton sévère, comme si elle prononçait une sentence, et Bera la regarda en fronçant les sourcils.

Perrin pensa que ce devait être encore un mot de l’Ancienne Langue – pourtant, il avait presque l’impression qu’il aurait dû le connaître – mais il ne comprit pas pourquoi il heurtait les Aes Sedai. Ou pourquoi Suline approuvait de la tête les Sagettes, qui continuèrent comme une avalanche dévalant une pente :

— Elles ne méritent pas mieux que les autres…

— Mon Seigneur Dragon, dit Taim, comme insistant sur l’évidence, vous voulez sans aucun doute que toutes les Aes Sedai soient remises à ceux qui ont votre confiance, ceux dont vous savez qu’ils peuvent les manœuvrer, et qui mieux…

— Assez ! cria Rand.

Ils se turent tous comme un seul homme, mais les réactions lurent très diverses. Taim prit l’air absent, mais il sentait la fureur. Amys et Sorilea se regardèrent, et ajustèrent leur châle presque à l’unisson ; leurs odeurs étaient identiques, assorties à leurs visages, de pure détermination. Elles voulaient et elles obtiendraient, Car’a’carn ou pas. Kiruna et Bera échangèrent aussi des regards, qui en disaient tant de volumes que Perrin regretta de ne pas pouvoir les lire comme son nez lisait les odeurs. Ses yeux virent deux Aes Sedai sereines, maîtresses d’elles-mêmes et de tout ce qu’elles souhaitaient maîtriser ; son nez sentit deux femmes angoissées, et d’autres très effrayées. De Taim, il en était sûr. Elles semblaient penser encore qu’elles pouvaient traiter avec Rand d’une façon ou d’une autre, et avec les Sagettes, mais Taim et les Asha’man suscitaient en elles la peur de la Lumière.

Min tira Rand par la manche – elle avait tout de suite étudié tout le monde, et son odeur était presque aussi inquiète que celle des sœurs. Il lui tapota la main tout en foudroyant tous les autres. Y compris Perrin quand il ouvrit la bouche. Tout le camp regardait, depuis les hommes des Deux Rivières jusqu’aux Aes Sedai prisonnières, mais seuls certains Aiels étaient assez près pour entendre quoi que ce soit. Les gens pouvaient bien regarder Rand, mais ils avaient tendance à rester à distance, eux aussi, s’ils le pouvaient.

— Les Sagettes se chargeront des prisonnières, dit enfin Rand, et Sorilea émit une odeur de satisfaction si forte que Perrin se frotta le nez vigoureusement.

Taim branla du chef, exaspéré, mais Rand pivota vers lui sans lui laisser le temps de parler. Il avait accroché un pouce derrière la boucle de sa ceinture gravée d’un Dragon doré, et ses phalanges avaient blanchi tant il la serrait fort ; son autre main tripotait le fourreau de son épée en cuir de sanglier.

— Les Asha’man sont censés s’entraîner – et recruter – et non garder des prisonnières. Surtout des Aes Sedai.

Perrin eut la chair de poule en réalisant quelle odeur émettait Rand quand il regardait Taim. La haine, teintée de peur. Par la Lumière, il devait être sain d’esprit.

Taim inclina sèchement la tête, à regret.

— À vos ordres, mon Seigneur Dragon.

Mal à l’aise, Min regarda l’homme en veste noire et se rapprocha de Rand.

Kiruna sentait le soulagement, mais avec un dernier regard à Bera, elle se redressa, pleine d’une orgueilleuse certitude.

— Ces Aielles sont assez valables – certaines se seraient bien développées si elles étaient venues à la Tour –, mais on ne peut pas leur confier les Aes Sedai comme ça. C’est impensable ! Bera Sedai et moi-même, nous…

Rand leva la main et elle se tut aussitôt. Peut-être à cause de son regard, semblable à une pierre bleu-gris. Ou peut-être à cause de ce qui se voyait par les déchirures de sa chemise, l’un des Dragons rouge et or qui s’enroulaient autour de ses avant-bras. Le Dragon scintilla dans la lumière.

— M’avez-vous juré allégeance ?

Les yeux de Kiruna lui sortirent de la tête, comme si on l’avait frappée à l’estomac.

Au bout d’un moment, elle hocha la tête, bien qu’à contrecœur. Elle avait l’air aussi incrédule que la veille, quand elle s’était agenouillée près des sources à la fin des combats, et avait juré sur la Lumière et sur son espoir de salut et de renaissance, d’obéir au Dragon Réincarné et de le servir jusqu’à la fin de la Dernière Bataille. Perrin comprit qu’elle soit choquée. Même sans les Trois Serments, si elle avait nié, il aurait douté de ses propres souvenirs. Neuf Aes Sedai à genoux, aux visages hagards et aux paroles incrédules. Pour le moment, Bera grimaçait comme si elle avait mordu dans une prune pourrie.

Un Aiel se joignit au petit groupe, à peu près aussi grand que Rand, avec un visage parcheminé, et des touches de gris dans ses cheveux roux. Il salua Perrin de la tête et toucha légèrement la main d’Amys. Elle aurait pu lui presser la main en retour. Rhuarc était son mari, mais les Aiels ne se donnaient que peu de marque d’affection en public. Il était aussi chef du clan des Aiels Taardad – lui et Gaul étaient les deux seuls qui ne portaient pas le bandeau de siswai’aman – et depuis la veille, lui et un millier de lanciers étaient sortis en force faire des reconnaissances.

Un aveugle d’un autre pays aurait senti l’atmosphère régnant autour de Rand, et Rhuarc n’était pas un imbécile.

— Le moment est-il bien choisi, Rand al’Thor ?

Rand lui fit signe de parler, et il poursuivit :

— Ces chiens de shaidos fuient toujours vers l’est de toute la vitesse de leurs jambes. J’ai vu des cavaliers en vestes vertes au nord, mais ils nous ont évités et vous avez dit de les laisser tranquilles à moins qu’ils ne nous créent des problèmes. Je crois qu’ils poursuivaient toutes les Aes Sedai qui se sont échappées. Il y avait plusieurs femmes avec eux.

Des yeux bleus pleins de froideur se posèrent sur les deux Aes Sedai, plates et dures comme des enclumes. Autrefois, Rhuarc – comme tous les Aiels – craignait les Aes Sedai, mais cela avait pris fin la veille, sinon plus tôt.