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— Au sud-ouest.

Une silhouette était apparue, à environ un mile, sortant des arbres en courant ; une femme, les jupes retroussées jusqu’aux cuisses. Pour Perrin, c’était une Aielle. Une Sagette, se dit-il, quoique aucun signe ne permît de le déterminer avec exactitude. Il en était certain, c’est tout. Sa vue réveilla sa nervosité. Quelqu’un là-bas, juste comme ils sortaient du portail, n’annonçait rien de bon. Les shaidos avaient provoqué des troubles à Cairhien quand il s’était mis en route pour rejoindre Rand, mais pour les Aiels, une Sagette était une Sagette, quel que fût son clan. Elles se rendaient visite pour le thé pendant que leurs clans s’entre-tuaient. Deux Aiels en train de se battre se seraient séparés pour laisser une Sagette passer entre eux. Peut-être que la bataille de la veille avait changé ça, et peut-être pas. Il soupira ; au mieux, ça n’annonçait rien de bon.

Sur la colline, presque tous semblaient ressentir la même chose. Une ondulation parcourut les rangs, les hommes levant leur lance, encochant une flèche. Les Cairhienins et les Mayeners remuèrent sur leurs selles, et Aram tira son épée, les yeux brillants. Loial se pencha sur sa grande hache et en tripota le tranchant à regret. La lame avait la même forme que celle d’une hache de bûcheron, mais elle était gravée de feuilles et de volutes, et damasquinée d’or. Ces incrustations étaient un peu effacées par l’usage de ces derniers jours. S’il devait de nouveau s’en servir, il le ferait, mais avec autant de répugnance que Perrin se servait de la sienne, et pour pratiquement les mêmes raisons.

Rand resta immobile et regarda, impassible. Min fit approcher sa jument, et lui caressa les épaules comme on s’efforce de calmer un mastiff qui hérisse ses poils.

Les Sagettes non plus ne manifestèrent aucun signe d’inquiétude, mais elles ne restèrent pas immobiles. Sorilea fit un geste, et une douzaine de celles qui gardaient les Aes Sedai vinrent les rejoindre, elle et Amys, loin de Rand et hors de portée de voix de Perrin. On voyait peu de gris dans leurs cheveux, et seule Sorilea avait des rides, mais seules quelques Sagettes présentes grisonnaient. Il faut dire que les Aiels vivaient rarement jusqu’à grisonner. Pourtant, ces femmes avaient une situation, ou une influence, quelle que fût la façon dont les Sagettes décidaient de ces choses. Perrin avait déjà vu Sorilea et Amys conférer avec ce groupe, quoique « conférer » ne fût peut-être pas le mot juste. Sorilea parlait, Amys ajoutait un mot de temps en temps, et les autres écoutaient. Edarra protesta, mais Sorilea l’interrompit, apparemment sans perdre son élan, puis elle en désigna deux, Sotarin et Cosain. Immédiatement, elles retroussèrent leurs jupes sur leurs bras et partirent en courant vers l’arrivante.

Perrin flatta l’encolure de Steppeur. Pas de tuerie. Pas encore.

Les trois Sagettes se rencontrèrent à un demi-mile de la colline et s’arrêtèrent. Elles se parlèrent, juste quelques instants, puis elles repartirent toutes les trois en courant vers la hauteur. Et droit sur Sorilea. La nouvelle, jeune femme dotée d’un long nez et d’une masse de cheveux roux flamboyant, parla avec précipitation, le visage de Sorilea se pétrifiant à mesure. Finalement, la rousse termina – ou plutôt Sorilea lui imposa le silence – et le groupe se tourna vers Rand, mais sans faire un pas vers lui. Elles attendirent, mains croisées sur le ventre et châles sur les épaules, énigmatiques comme des Aes Sedai.

— Le Car’a’carn, grommela Rand entre ses dents.

Passant la jambe par-dessus l’encolure de son cheval, il glissa à terre, puis aida Min à démonter.

Perrin démonta également, puis, guidant Steppeur par la bride, il les suivit vers les Sagettes, Loial sur les talons, et Aram aussi, qui resta à cheval jusqu’à ce que Perrin lui fasse signe de démonter également. Les Aiels ne montaient pas à cheval, à moins que ce ne fût absolument nécessaire, en tout cas, et ils considéraient comme grossier tout homme qui venait à eux sur sa monture. Rhuarc les rejoignit, et Gaul, qui fronçait les sourcils pour une raison inconnue. Il va sans dire que Nandera, Suline et les Vierges suivirent également.

La rousse commença dès que Rand fut assez près.

— Bair et Megana ont institué des tours de garde, pour surveiller toutes les directions d’où vous pourriez revenir dans la cité des Tueurs d’Arbres, Car’a’carn, mais vraiment, personne ne pensait que ce serait…

— Feraighin, dit Sorilea, d’un ton tranchant.

La rousse referma la bouche d’un coup sec, faisant claquer ses dents, et elle fixa Rand de ses brillants yeux bleus, évitant le regard furibond de Sorilea.

Finalement, Sorilea prit une profonde inspiration et tourna son attention vers Rand.

— Il y a des troubles dans les tentes, dit-elle d’une voix terne. Des rumeurs sont nées parmi les Tueurs d’Arbres, selon lesquelles vous seriez allé à la Tour Blanche avec les Aes Sedai venues ici, pour plier le genou devant le Siège de l’Amyrlin. Aucune de celles sachant la vérité n’a osé parler, craignant d’empirer la situation.

— Et quel est le résultat ? demanda Rand avec calme.

Il était très tendu, et Min se remit à lui caresser l’épaule.

— Beaucoup croient que vous avez abandonné les Aiels, lui dit Amys, tout aussi calme. Le découragement est revenu. Tous les jours, un millier d’hommes jettent leurs épées et disparaissent, incapables d’affronter notre avenir, ou notre passé. Certains rejoindront peut-être les shaidos, ajouta-t-elle, d’une voix écœurée. On murmure que le vrai Car’a’carn ne se serait jamais soumis aux Aes Sedai. Indirian dit que si vous êtes ailé à la Tour Blanche, ce ne peut pas être volontairement. Il est prêt à emmener les Codarras vers le nord, à Tar Valon, et à croiser la lance avec toutes les Aes Sedai qu’il rencontrera ; ou tout homme des Terres Humides. Il dit que vous avez dû être trahi. Timolan marmonne que si tout ça est vrai, vous nous avez trahis et qu’il emmènera les Miagomas dans la Terre Triple. Quand il vous verra mort. Mandelain et Janwin tiennent conseil, mais ils croient à la fois Indirian et Timolan.

Rhuarc grimaça, aspirant l’air entre ses dents ; pour un Aiel, cela équivalait à s’arracher les cheveux de désespoir.

— Ce ne sont pas de bonnes nouvelles, protesta Perrin, mais à vous entendre, on dirait un arrêt de mort. Dès que Rand se montrera, les rumeurs s’éteindront.

Rand se passa la main dans les cheveux.

— Si c’était vrai, Sorilea n’aurait pas l’air d’avoir avalé un lézard.

D’ailleurs, Nandera et Suline donnaient à croire que leur lézard frétillait en descendant vers leur estomac.

— Qu’est-ce que vous ne m’avez pas dit, Sorilea ?

La Sagette parcheminée eut un mince sourire d’approbation.

— Vous comprenez à demi-mot. C’est bien, dit-elle, mais d’un ton aussi plat qu’une pierre taillée. Si vous rentrez avec les Aes Sedai, certains croiront que vous avez plié le genou devant elles. Quoi que vous disiez ou fassiez, ils croiront que vous portez le joug des Aes Sedai. Et cela, c’est avant qu’ils apprennent que vous avez été prisonnier. Les secrets se glissent par des fissures où ne passerait pas une puce, et un secret connu de tant de gens a des ailes.

Perrin lorgna Dobraine et Nurelle, qui regardaient leurs hommes, et il déglutit avec effort. Combien de ceux qui suivaient Rand l’avaient fait parce qu’il portait tout le poids des Aiels massé derrière lui ? Pas tous, certes, mais parmi les hommes qui avaient choisi Rand parce qu’il était le Dragon Réincarné, cinq, ou même dix, l’avaient suivi parce que la Lumière brille plus fort sur les rangs plus nombreux. Si les Aiels s’en allaient ou se fragmentaient…

Il ne voulait pas penser à cette possibilité. La défense des Deux Rivières avait exploité ses capacités au maximum, peut-être même au-delà. Ta’veren ou pas, il ne se faisait pas d’illusions, il ne pensait pas être de ces hommes qui finissent dans les légendes ; cela, c’était bon pour Rand. Lui, il était limité aux problèmes de village. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de réfléchir, l’esprit en ébullition. Que faire si le pire se produisait ? Il repassait ses listes dans sa tête : qui resterait fidèle, et qui tenterait de se défiler. La première liste était assez courte et la seconde assez longue pour lui dessécher la gorge. Trop de gens complotaient pour acquérir des avantages, comme s’ils ignoraient les Prophéties du Dragon Réincarné ou de la Dernière Bataille. Il soupçonnait que certains continueraient à comploter après le début de la Tarmon Gai’don. Le pire, c’est que la plupart ne seraient pas des Élus du Ténébreux, juste des gens ordinaires, faisant passer leur intérêt avant tout. Les oreilles de Loial étaient toutes flasques ; il comprenait, lui aussi.