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— Ne t’inquiète pas, murmura-t-il, la prenant dans ses bras.

Il avait lu lui-même plusieurs livres d’histoire, mais il n’avait jamais vu ces noms. Une fille de seigneur recevait une éducation différente d’un apprenti forgeron.

— C’est vrai.

Dobraine détourna les yeux, et Aram aussi, mais avec un sourire satisfait.

D’abord elle résista, mais mollement. Il ne savait jamais quand elle éviterait une manifestation publique d’affection, ou quand elle lui ferait plaisir ; il savait seulement que si ça lui déplaisait, elle le manifestait sans ambiguïté, avec ou sans paroles. Cette fois, elle enfouit sa tête dans sa poitrine et le serra fort sur son cœur.

— Si jamais une Aes Sedai te faisait du mal, je la tuerais, murmura-t-elle.

Il la crut.

— Tu m’appartiens, Perrin t’Bashere Aybara. À moi seule.

Cela aussi, il le crut. Son étreinte se faisait plus ardente, ainsi que l’odeur piquante de la jalousie. Il faillit glousser. Il aurait gloussé, n’était cette volute de peur qui persistait. Cela, et ce qu’elle avait dit de Maire. Il ne sentait pas sa propre odeur, mais il savait qu’elle était là. L’ancienne peur, et la nouvelle peur pour l’avenir.

Les derniers nobles sortirent en force de la Grande Salle, sans que personne ne soit piétiné. Envoyant Aram dire à Dannil de faire entrer dans la cité les hommes des Deux Rivières – et se demandant comment il allait les nourrir – Perrin offrit son bras à Faile et la conduisit hors de la salle, laissant Dobraine avec Colavaere qui semblait enfin revenir à elle. Il n’avait pas envie d’être là quand elle se réveillerait, et Faile, la main sur son poignet, semblait du même avis. Ils accélérèrent le pas, pressés de rejoindre leur appartement, même si ce n’était pas nécessairement pour la même raison.

Apparemment, les nobles n’avaient pas interrompu leur fuite une fois sortis de la Grande Salle. Les couloirs étaient déserts, à part les domestiques qui s’affairaient en silence, les yeux baissés, mais avant d’être allé très loin avec Faile, Perrin perçut un bruit de pas derrière eux et réalisa qu’ils étaient suivis. Il semblait peu probable que Colavaere eût encore des partisans déclarés, mais si elle en avait, ils pourraient chercher à atteindre Rand à travers son ami, seul avec sa femme, pendant que le Dragon Réincarné était occupé ailleurs.

Sauf que, quand il pivota sur lui-même, main sur sa hache, il s’immobilisa au lieu de brandir son arme. C’était Selande et ses amis du hall d’entrée, avec huit ou neuf nouveaux visages. Ils sursautèrent quand il se retourna, et échangèrent des regards perplexes. Certains étaient des Tairens, dont une femme, plus grande que tous à part les Cairhienins. Elle portait une tunique d’homme et des chausses collantes, comme Selande et les autres femmes, avec une épée à la ceinture. Il ne savait pas que cette sottise avait contaminé jusqu’aux Tairens.

— Pourquoi nous suivez-vous ? demanda-t-il. Si vous tentez de nous causer vos problèmes de tarés, je jure de vous expédier à coups de pied jusqu’à Beltaine !

Il avait déjà eu des problèmes avec ces imbéciles, ou d’autres qui leur ressemblaient. Ils ne pensaient qu’à préserver leur honneur, à livrer des duels, et à se prendre réciproquement leur gai’shaine. Ce qui faisait grincer les dents aux Aiels.

— Assistez mon mari et obéissez, intervint sèchement Faile. C’est un homme avec qui il vaut mieux ne pas plaisanter.

Les regards idiots disparurent, et ils reculèrent en s’inclinant, rivalisant de courbettes. Ils saluaient encore quand ils disparurent au détour d’un couloir.

— Sacrée bande de rigolos, ces jeunots, grommela-t-il, offrant son poignet à Faile.

— Mon mari est plein de sagesse pour son âge, murmura-t-elle.

Le ton était sérieux, mais pour l’odeur, c’était autre chose.

Perrin réprima un grognement. Certes, quelques-uns pouvaient avoir un an ou deux de plus que lui, mais c’étaient tous des gamins qui jouaient à singer les Aiels. Maintenant, avec Faile de bonne humeur, le moment semblait bien choisi pour aborder ce dont ils devaient parler. Ce dont il devait parler.

— Faile, comment se fait-il que tu sois devenue dame d’honneur de Colavaere ?

— Les domestiques, Perrin.

Elle parla doucement ; personne ne l’aurait entendue à deux pas. Elle savait tout sur son ouïe et les loups. Ce n’étaient pas des choses qu’un homme peut cacher à sa femme. Elle se toucha l’oreille de son éventail, geste qui lui recommandait la prudence.

— On oublie trop souvent la présence des domestiques, mais ils écoutent comme tout le monde. À Cairhien, ils écoutent beaucoup trop.

Pourtant, autour d’eux, aucun des serviteurs en livrée ne semblait prêter l’oreille. Les rares qui n’enfilaient pas un couloir de traverse à leur vue les dépassaient en courant, yeux baissés et comme renfermés en eux-mêmes. N’importe quelle nouvelle se répandait rapidement à Cairhien. Les événements de la Grande Salle avaient sans doute pris des ailes. Ils étaient déjà dans les rues et sans doute en route vers la campagne. Sans aucun doute, il y avait à Cairhien des yeux-et-oreilles pour les Aes Sedai, les Blancs Manteaux, et probablement plus d’un trône. Elle poursuivit, malgré sa mise en garde :

— Colavaere s’est empressée de m’enrôler dès qu’elle a su qui j’étais. Le nom de mon père l’impressionnait autant que celui de ma cousine.

Elle termina par une petite inclinaison de tête, comme si cela expliquait tout.

C’était une assez bonne réponse. Presque. Son père était Davram, Haut Siège de la Maison Bashere, Seigneur de Bashere, de Tyre et de Sidona, Gardien de la frontière de la Dévastation, Défenseur du centre, et Maréchal de Camp de la Reine Tenobia de Saldaea. La cousine de Faile était Tenobia elle-même. Plus de raisons qu’il n’en fallait à Colavaere pour sauter sur Faile et en faire une de ses dames d’honneur. Mais il avait eu le temps de ruminer la chose, et il se piquait de s’être habitué à ses façons. La vie conjugale apprend à un homme beaucoup de choses sur les femmes ; sur une femme, en tout cas. La réponse qu’elle n’avait pas faite confirmait quelque chose.

Faile ne connaissait pas le concept de danger, pas quand elle n’était pas concernée.

Il ne pouvait pas aborder la question dans le couloir. Il pouvait murmurer, mais elle n’avait pas son ouïe, et elle ne manquerait pas d’affirmer que tous les domestiques écoutaient dans un rayon de cinquante pas. Prenant son mal en patience, il l’accompagna en silence jusqu’à l’appartement qui leur avait été réservé depuis ce qui paraissait maintenant une éternité. Des lampes avaient été allumées, et faisaient chatoyer les lambris de bois sombre sculptés de rectangles concentriques. Quelques branches rabougries, presque vertes, étaient disposées dans l’âtre de pierre soigneusement balayé.

Faile marcha droit sur une petite table, supportant deux pichets dorés couverts de buée, posés sur un plateau.

— On nous a laissé de l’infusion de myrtilles, mon mari, et du punch au vin. Au vin de Tharon, je crois. Ils rafraîchissent le vin dans les citernes situées sous le palais. Qu’est-ce que tu préfères ?

Perrin déboucla son ceinturon et le jeta sur un fauteuil avec sa hache. En venant, il avait soigneusement préparé ce qu’il allait dire. Sa femme pouvait être irritable.

— Faile, tu m’as manqué plus que je ne pourrai jamais l’exprimer, et je me suis beaucoup inquiété pour toi, mais…

— Inquiété pour moi ! s’exclama-t-elle, pivotant vers lui.

Elle se redressa de toute sa haute taille, les yeux farouches comme ceux du faucon dont elle portait le nom, et, de son éventail pointé sur son ventre, fit le geste de l’évider. Cela ne faisait pas partie du langage de l’éventail ; elle faisait parfois le même avec un couteau.

— Alors que tes premiers mots ont été pour demander des nouvelles de… de cette femme !