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La mâchoire de Perrin s’affaissa. Comment avait-il pu oublier l’odeur de jalousie qui avait frappé ses narines ? Il faillit lever la main pour voir s’il saignait du nez.

— Faile, je voulais ses preneurs-de-larrons. Ne…

Non, il n’était pas assez bête pour répéter ce nom.

— Avant mon départ, elle disait avoir des preuves de l’empoisonnement. Tu l’as entendue ! Je voulais juste ses preuves, Faile.

Cela n’arrangea rien. L’odeur piquante ne faiblit pas, et il s’y ajouta celle, acide, de la souffrance. Par la Lumière, qu’avait-il dit qui la fît souffrir ainsi ?

— Ses preuves ! Les preuves que j’avais rassemblées ne comptaient pas, mais ses preuves à elle ont mis la tête de Colavaere sur le billot. Ou auraient dû.

Ce n’était qu’un début, et elle ne lui laissa pas placer un mot. Elle avança sur lui, le regard meurtrier, brandissant son éventail comme une dague. Il ne put rien faire, que reculer.

— Sais-tu quelle rumeur cette femme a fait courir ? demanda-t-elle d’une voix sifflante.

Une vipère n’aurait pas craché plus de venin.

— Le sais-tu ? Elle a dit que si tu n’étais pas là, c’était parce que tu résidais dans un manoir, non loin de la cité. Où elle pouvait te rendre visite ! Moi, j’ai raconté l’histoire que j’avais préparée, à savoir que tu étais à la chasse – et la Lumière m’est témoin que tu passes assez de temps à chasser ! – mais tout le monde a cru que je disais cela pour cacher mon infortune ! Ensemble ! Colavaere était ravie. Je crois qu’elle a pris cette catin de Mayener comme dame d’honneur uniquement pour nous obliger à être ensemble. « Faile, Berelain, venez lacer ma robe », « Faile, Berelain, venez me laver le dos. » Ça l’amusait de nous observer, pour voir quand nous allions nous arracher les yeux ! Voilà ce que j’ai dû supporter ! Pour toi, espèce de rustaud poilu…

Le dos de Perrin cogna contre le mur. Et quelque chose se déchira en lui. Il s’était rongé les sangs pour elle, terrifié, prêt à défier Rand ou le Ténébreux lui-même. Et il n’avait rien à se reprocher ; il n’avait jamais encouragé les avances de Berelain, avait fait tout son possible pour la repousser. Et voilà sa récompense.

Il la prit doucement par les épaules, et la souleva du sol jusqu’à ce que ses grands yeux en amande soient au niveau des siens.

— Maintenant, tu vas m’écouter, dit-il avec calme.

Du moins essaya-t-il de parler calmement, mais sa voix ressemblait assez à un grondement.

— Comment oses-tu me parler ainsi ? Comment oses-tu ? J’étais mortellement inquiet qu’il t’arrive quelque chose. Je t’aime, et je n’aime que toi. Je ne veux pas d’autre femme que toi. Tu m’entends ?

Il la serra sur son cœur à l’étouffer, répugnant à la lâcher. Par la Lumière, il avait eu si peur. Il tremblait encore à l’idée de ce qui aurait pu se passer.

— Si quelque chose t’arrivait, Faile, j’en mourrais ! Je me coucherais sur ta tombe et je me laisserais mourir ! Crois-tu que je ne sache pas comment Colavaere a découvert qui tu es ? C’est à cause de toi.

Espionner, lui avait-elle dit un jour, c’est le travail de l’épouse.

— Par la Lumière, femme, tu aurais pu finir comme Maire. Colavaere sait que tu es ma femme. Ma femme. L’épouse de Perrin Aybara, l’ami de Rand al’Thor. T’est-il jamais venu à l’idée qu’elle pouvait entretenir des soupçons à ton égard ? Elle aurait pu… Par la Lumière. Faile, elle aurait pu…

Brusquement, il réalisa ce qu’il faisait. Elle émettait des bruits incohérents contre sa poitrine, mais aucun mot articulé. Il se demanda s’il n’avait pas entendu ses côtes craquer. Maudissant sa balourdise, il ouvrit les bras, la lâcha, mais avant qu’il n’ait eu le temps de s’excuser, elle le saisit par la barbe.

— Alors, tu m’aimes ? dit-elle avec douceur.

Avec une infinie douceur. Beaucoup de chaleur. Et un grand sourire.

— Une femme aime l’entendre dire comme il faut.

Elle avait posé son éventail, et sa main libre lui griffa la joue, presque jusqu’au sang, mais son rire de gorge était chaleureux, et l’ardeur brillant dans ses yeux était aussi loin que possible de la colère.

— Heureusement que tu n’as pas dit que tu n’avais jamais regardé une autre femme, car j’aurais pensé que tu étais devenu aveugle.

Il était trop stupéfait pour parler, ou même pour ouvrir la bouche. Rand comprenait les femmes, Mat comprenait les femmes, mais Perrin savait qu’il ne les comprendrait jamais. Elle était toujours autant martin-pêcheur que faucon, changeant de direction plus vite que la pensée, pourtant cette… cette odeur piquante avait complètement disparu, remplacée par une autre qu’il connaissait bien. Ajoutez cela à ses yeux, et d’un instant à l’autre elle allait parler des paysannes au moment de la moisson. Apparemment, elles étaient célèbres, les filles de ferme saldaeanes.

— Quant à te coucher sur ma tombe, reprit-elle, si tu fais jamais ça, mon âme reviendra te hanter, je te le promets. Tu me pleureras selon ce qu’il convient à la décence, puis tu te trouveras une autre épouse ! Quelqu’un que j’approuverai, j’espère, dit-elle, riant doucement en lui caressant la barbe. Tu n’es pas fait pour vivre seul, tu sais. Je veux ta promesse.

Mieux valait ne pas discuter. Répondre qu’il ne prendrait jamais une autre femme, et cette humeur merveilleuse pouvait s’envoler, comme avalée par la tempête. Dire qu’il ferait… D’après son odeur, chaque mot était la pure vérité, mais il la croirait quand les chevaux nicheraient dans les arbres. Il s’éclaircit la voix.

— J’ai besoin d’un bon bain. Je n’ai pas vu de savon depuis une éternité. Je dois empester comme une écurie.

La tête sur sa poitrine, elle inspira profondément.

— Tu sens bon. Tu sens ce que tu es.

Elle déplaça les mains sur ses épaules.

— J’ai envie de…

La porte s’ouvrit avec fracas.

— Perrin, Berelain n’est pas… Désolé. Pardonne-moi.

Rand était sur le seuil, dansant d’un pied sur l’autre, sans rien de l’air du Dragon Réincarné.

Des Vierges se tenaient dans le couloir. Min passa la tête par la porte, sourit à Perrin, et disparut.

Faile s’écarta si doucement, si majestueusement, que personne n’aurait deviné ce qu’elle disait quelques instants plus tôt. Ou ce qu’elle allait dire. Pourtant, deux taches de couleur empourpraient ses joues.

— C’est très aimable à vous, mon Seigneur Dragon, de nous rendre visite si inopinément, je m’excuse de ne pas vous avoir entendu frapper.

Peut-être que cette rougeur tenait autant à la colère qu’à l’embarras.

Ce fut au tour de Rand de rougir, et il se passa la main dans les cheveux.

— Berelain n’est pas dans le palais. Elle a passé la nuit sur ce bateau du Peuple de la Mer ancré dans la rivière, va savoir pourquoi. Annoura ne me l’a pas dit avant que nous soyons presque arrivés à ses appartements.

Perrin fit un gros effort pour ne pas grimacer. Pourquoi fallait-il qu’il répète sans cesse le nom de cette femme ?

— Tu avais autre chose à me dire, Rand ?

Il espérait n’avoir pas été trop sarcastique, mais espérait aussi que Rand saisirait l’allusion. Il ne regarda pas Faile, mais il flaira l’air avec précaution. Pas de jalousie, pas encore. Mais une grosse colère.

Un moment, Rand le fixa, comme regardant à travers lui. Écoutant autre chose. Perrin croisa les bras pour s’empêcher de trembler.

— J’ai besoin de savoir, dit finalement Rand. Tu ne veux toujours pas commander l’armée contre l’Illian ? Il faut que je le sache maintenant.

— Je ne suis pas général, dit Perrin, bourru.

Il y aurait des batailles en Illian. Des images fulgurèrent dans sa tête. Des hommes autour de lui, sa hache tournoyant dans ses mains, se taillant un chemin dans les rangs. Et toujours plus d’hommes quel que fût le nombre qu’il tuait, à perte de vue. Et dans son cœur, une graine qui germait. Il ne pouvait plus affronter cela. Il ne l’affronterait plus.