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— Tiana sera mécontente si elle s’aperçoit que vous êtes debout à cette heure.

Tiana Noselle était la Maîtresse des Novices, aussi connue pour l’épaule secourable qu’elle prêtait aux pleurs des novices que pour son application implacable des règles.

— Je sais que je suis censée m’adresser d’abord à Tiana Sedai, puis de lui demander une entrevue avec vous, Mère, mais elle ne laisse jamais une novice approcher le Siège de l’Amyrlin.

— À quel sujet, mon enfant ? demanda Egwene.

La femme avait cinq ou six ans de plus qu’elle, mais c’était la formule consacrée en s’adressant à une novice.

Tripotant sa jupe, Nicola se rapprocha.

— Mère, je veux aller aussi loin que j’en suis capable.

Ses mains continuaient à triturer sa robe avec embarras, mais sa voix était calme et posée, digne d’une Aes Sedai.

— Je ne dirais pas qu’elles me retiennent, mais je suis sûre que je peux devenir plus forte qu’elles ne le prétendent. Je le sais, c’est tout. Vous, on ne vous a jamais retenue, Mère. Personne n’a jamais acquis autant de force aussi vite que vous. Tout ce que je demande, c’est qu’on me donne la même chance.

Un mouvement dans l’ombre révéla une autre femme au visage luisant de sueur, en justaucorps et larges chausses, un arc à la main. Ses cheveux lui tombaient jusqu’à la taille en une tresse nouée de six rubans, et elle portait des bottines à hauts talons.

Nicola Treehill et Areina Nermasiv formaient un couple bizarre. Comme beaucoup des novices les plus âgées – on testait maintenant des femmes ayant dix ans de plus qu’Egwene, même si beaucoup de sœurs grommelaient qu’elles avaient dix ans de trop pour accepter la discipline de novice –, comme beaucoup d’entre elles donc, Nicola avait un ardent désir d’apprendre, et un potentiel à peine moindre que ceux de Nynaeve, d’Elayne et d’Egwene elle-même parmi les Aes Sedai. En fait, Nicola faisait de grands progrès, si rapides que les monitrices devaient la ralentir. Certaines disaient qu’elle avait commencé à recevoir des ondes comme si elle les connaissait déjà. En outre, elle avait manifesté deux Dons, bien que la capacité de « voir » le ta’veren fût mineure, et que le Don majeur de Prédiction émergeât de telle sorte que personne ne comprenait ce qu’elle Prédisait. Elle-même ne se rappelait pas un seul mot de ce qu’elle avait dit. L’un dans l’autre, Nicola était déjà marquée par les sœurs comme un sujet prometteur malgré un début tardif. C’était sans doute à cause d’elle que les sœurs avaient accepté à contrecœur de tester des femmes ayant plus de dix-sept ou dix-huit ans.

Areina, en revanche, faisait partie des Chasseurs-en-Quête-du-Cor ; elle fanfaronnait comme un homme et adorait parler d’aventures, celles qu’elle avait vécues et celles qu’elle vivrait, quand elle ne s’exerçait pas au tir à l’arc. Elle tenait sans doute cet arc de Birgitte, comme sa façon de s’habiller. En tout cas, elle semblait ne s’intéresser à rien en dehors de son arc, sauf à flirter ouvertement de temps en temps, quoique pas récemment. Peut-être que les longues marches la laissaient trop fatiguée pour flirter, sinon pour tirer à l’arc. Pourquoi voyageait-elle encore avec elles, c’est ce qu’Egwene ne comprenait pas ; il était peu probable de trouver le Cor de Valère au cours de leur marche, et impossible qu’elle le croie caché à la Tour Blanche. Très peu de gens le savaient. Egwene n’était même pas sûre qu’Elaida était au courant.

Areina était bouffonne et ridicule, mais Egwene ressentait une certaine sympathie pour Nicola. Elle comprenait son insatisfaction, comprenait son désir de tout savoir tout de suite. Elle avait été comme ça, elle aussi. Peut-être l’était-elle encore.

— Nicola, dit-elle avec douceur, nous avons toutes nos limites. Par exemple, je n’égalerai jamais Nynaeve Sedai, quoi que je fasse.

— Mais si on me donnait seulement ma chance, Mère.

Nicola se tordit les mains, implorante, et il y avait aussi une nuance de supplication dans sa voix, mais elle regardait toujours Egwene sans ciller.

— La chance qu’on vous a donnée.

— Ce que j’ai fait – parce que je n’avais pas le choix, parce que j’étais ignorante –, cela s’appelle du gavage, Nicola, et c’est dangereux.

Elle ignorait le terme jusqu’au jour où Siuan s’était excusée de lui avoir fait subir ce traitement, et c’était l’unique fois où Siuan avait paru sincèrement repentante.

— Si vous tentez de canaliser avec la saidar plus que vous n’êtes prête à le faire, vous risquez de vous brûler avant même d’avoir atteint votre plein développement, vous le savez. Apprenez à être patiente. De toute façon, les sœurs ne vous laisseront rien faire avant que vous ne soyez prête.

— Nous sommes arrivées à Salidar par la rivière, sur le même bateau que Nynaeve et Elayne, dit soudain Areina.

Son regard était plus que direct ; il la défiait.

— Et Birgitte.

Pour une raison inconnue, elle prononça ce nom avec amertume.

Nicola lui fit signe de se taire.

— Il est inutile de parler de ça.

Curieusement, elle n’avait pas l’air de le penser.

Espérant que son visage restait presque aussi impassible que celui de Nicola, Egwene s’efforça de réprimer une gêne soudaine.

« Marigan », elle aussi, était arrivée à Salidar sur ce bateau. Une chouette ulula, et elle frissonna. Certains croyaient qu’entendre un tel cri au clair de lune annonçait de mauvaises nouvelles. Elle n’était pas superstitieuse, mais…

— Inutile de parler de ça ?

Les deux autres se regardèrent, et Areina hocha la tête.

— C’était sur le chemin du village.

Bien qu’affectant toujours l’embarras, Nicola regarda Egwene droit dans les yeux.

— Areina et moi, nous avons entendu Thom Merrilin et Juilin Sandar qui discutaient. Le ménestrel et le preneur-de-larrons. Juilin disait que s’il y avait des Aes Sedai au village – nous n’étions pas sûres de leur présence – et que si elles apprenaient que Nynaeve et Elayne s’étaient fait passer pour des Aes Sedai, alors nous sauterions dans un banc de brochets, ce qui, je pense, doit être assez malsain.

— Le ménestrel nous a vues et l’a fait taire, intervint Areina, tripotant son carquois à sa ceinture, mais on avait entendu.

Sa voix était aussi dure que son regard.

— Je sais qu’elles sont Aes Sedai toutes les deux maintenant, Mère, mais est-ce qu’elles n’auraient pas des ennuis si quelqu’un apprenait ce qu’elles ont fait ? Les sœurs, je veux dire ? Quiconque se fait passer pour une sœur a des problèmes si c’est découvert, même des années plus tard.

Son visage ne changea pas, mais soudain elle fixa Egwene. Elle se pencha vers elle, concentrée.

Enhardie par le silence d’Egwene, Areina eut un grand sourire. Un sourire déplaisant.

— Il paraît que Nynaeve et Elayne ont quitté la Tour, envoyées en mission par la femme Sanche quand elle était Amyrlin. Il paraît qu’elle vous avait envoyée en mission, vous aussi, et que vous avez eu toutes sortes de problèmes en revenant.

Elle termina, sournoise :

— Vous vous rappelez qu’elles jouaient les Aes Sedai ?

Immobiles, elles la regardaient, Areina insolemment appuyée sur son arc, Nicola, nerveuse au point que l’air semblait électrique autour d’elle.

— Siuan Sanche est Aes Sedai, dit Egwene avec froideur, de même que Nynaeve al’Meara et Elayne Trakand. Vous leur manifesterez le respect d’usage. Pour vous, elles sont Siuan Sedai, Nynaeve Sedai, et Elayne Sedai.