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Un instant, Egwene regretta de ne pas avoir espionné les rêves de Moghedien pendant qu’elle était prisonnière, juste une fois, juste assez pour être capable de les reconnaître. Mais même l’identification de ses rêves ne révélerait pas où elle se trouvait maintenant. Et elle aurait couru le risque d’être attirée contre son gré dans le rêve de Moghedien. Elle méprisait Moghedien, et les Réprouvés lui vouaient une haine virulente. Ce qui se passait ici n’était pas réel, pas même aussi réel que le Tel’aran’rhiod, mais on s’en souvenait comme si ce l’était. Une nuit au pouvoir de Moghedien aurait été un cauchemar qu’elle se serait rappelé jusqu’à la fin de sa vie quand elle dormait. Et peut-être aussi quand elle était éveillée.

Autre circuit. Qu’est-ce que c’était ? Une beauté altière à la peau sombre, en bonnet couvert de perles et longue robe à ruches de dentelle, sortit des ombres et s’évanouit. Une Tairen qui rêvait, une Grande Dame, ou une femme qui se rêvait telle. Éveillée, elle était peut-être laide et boulotte, femme de fermier ou de marchand.

Il aurait mieux valu espionner Logain que Moghedien. Elle ne saurait toujours pas où il était, mais elle aurait au moins une idée de ses projets. Naturellement, être attirée dans un rêve de Logain n’aurait pas été plus agréable. Il haïssait les Aes Sedai. Organiser son évasion avait été un mal nécessaire ; elle espérait seulement que le prix à payer ne serait pas trop élevé. Oublie Logain. C’était Moghedien le danger, Moghedien qui pouvait la pourchasser, même ici, surtout ici, Moghedien qui…

Soudain, elle prit conscience qu’elle se mouvait pesamment, et elle émit un bruit de gorge contrarié, presque un gémissement. Sa robe magnifique s’était transformée en une armure de plates et de mailles, comme celles de la cavalerie lourde de Gareth Bryne. Elle tenait à la main un heaume à visière relevée, surmonté d’un plumet représentant la Flamme de Tar Valon. C’était très irritant. Elle avait dépassé un tel manque de contrôle.

Résolument, elle échangea l’armure contre ce qu’elle portait lors de sa précédente entrevue avec les Sagettes. Large jupe de drap noir et tunique blanche en algode, comme lorsqu’elle étudiait avec elles, avec un châle frangé d’un vert si sombre qu’il en paraissait noir, et un bandeau pour retenir ses cheveux en arrière. Elle ne fit pas des copies de leurs bijoux, bien sûr, cette multitude de colliers et de bracelets. Elles se moqueraient d’elle. Une femme constituait sa collection de bijoux au cours des ans, pas dans l’instantané d’un rêve.

— Logain est en route pour la Tour Noire, dit-elle tout haut.

En tout cas, elle souhaitait que ce fût le cas ; il serait surveillé, du moins elle l’espérait, et s’il était surpris à mal agir et de nouveau désactivé, Rand ne pourrait blâmer aucune sœur de son entourage, et « Moghedien n’a aucun moyen de savoir où je me trouve ». Elle s’efforça d’y croire.

— Pourquoi devrais-tu craindre les Âmes Fantômes ? demanda une voix derrière elle.

Elle sursauta violemment et se retrouva à deux mètres du sol avant de revenir à elle. Oh ! oui, je suis loin de ces fautes de débutante, pensa-t-elle en planant. Si cela continuait, elle sursauterait quand Chesa lui dirait bonjour le matin.

Espérant qu’elle ne rougissait pas trop fort, elle se laissa descendre lentement ; elle devait peut-être conserver un peu de dignité.

Peut-être. Pourtant le sourire de Bair, qui lui arrivait presque jusqu’aux oreilles, semblait creuser plus de rides que d’habitude dans son visage vieillissant. Contrairement aux deux femmes qui l’accompagnaient, elle ne pouvait pas canaliser, mais cela n’avait rien à voir avec l’exploration des rêves. Elle y était aussi habile que l’une et l’autre, plus en certains domaines. Amys lui souriait, elle aussi, moins largement, mais la blonde Mélaine rejeta la tête en arrière et hurla de rire.

— Je n’avais jamais vu personne…, parvint-elle tout juste à articuler, sursauter comme un lapin.

Elle sautilla sur place et s’éleva en l’air d’un bon pied.

— J’ai récemment causé un certain mal à Moghedien, dit Egwene, fière de son aplomb.

Elle aimait bien Mélaine, moins irascible depuis qu’elle avait des enfants ; des jumeaux, en fait – mais en cet instant, Egwene l’aurait étranglée avec joie.

— Quelques amies et moi avons froissé sa fierté, sinon plus. Je crois qu’elle aimerait me rendre la pareille.

Impulsivement, elle transforma sa tenue une fois de plus, revêtant une robe d’équitation, telle qu’elle en portait tous les jours maintenant, en somptueuse soie verte. Son index était cerclé du Grand Serpent d’or. Elle ne pouvait pas tout leur dire, mais ces femmes étaient des amies, et elles méritaient de savoir ce qu’elle pouvait leur communiquer.

— On se souvient des blessures d’orgueil longtemps après que les blessures de la chair sont guéries, formula Bair d’une voix aiguë, mais forte, véritable roseau de fer.

— Raconte, dit Mélaine avec un sourire d’anticipation. Comment l’as-tu humiliée ?

Bair était tout aussi enthousiaste. Dans un pays cruel, on apprend à rire de la cruauté, ou on passe sa vie à pleurer ; dans la Terre Triple, les Aiels avaient appris à rire depuis longtemps. De plus, humilier un ennemi était considéré comme un art.

Amys étudia un instant les vêtements d’Egwene, puis elle décida :

— Ce sera pour plus tard. Nous avons à parler, je crois.

Elle montra l’endroit où les Sagettes aimaient s’entretenir, sous le grand dôme, au cœur de la salle.

Le choix de cet endroit était un autre mystère pour Egwene. Les trois femmes s’assirent en tailleur, leurs jupes étalées autour d’elles, à quelques pas de ce qui semblait être une épée de cristal étincelant plantée dans les dalles. Elles n’y prêtèrent aucune attention – l’épée ne faisait pas partie de leurs prophéties – pas plus qu’aux personnes qui apparaissaient fugitivement dans la grande salle ; c’était toujours là qu’elles venaient.

La fabuleuse Callandor pouvait effectivement être utilisée comme épée, mais c’était en réalité une sa’angreal mâle, l’une des plus puissantes fabriquées à l’Ère des Légendes. Un frisson lui parcourut l’échine à l’idée d’une sa’angreal mâle. C’était différent quand Rand était seul à pouvoir canaliser. Et les Réprouvés, bien sûr. Mais maintenant, il y avait aussi ces Asha’man. Avec Callandor, un homme pouvait tirer assez de puissance du Pouvoir Unique pour raser une ville en un battement de cœur et tout dévaster à des miles à la ronde. Elle contourna l’épée de loin, en écartant machinalement ses jupes. Du Cœur de la Pierre, Rand avait tiré Callandor en accomplissement des Prophéties, puis il l’avait redéposée pour des raisons qui lui étaient propres. Remise en place, et protégée de pièges tissés par le saidin. Ils auraient leur reflet dans le Monde des Rêves, eux aussi, qui pouvait déclencher leur action de façon aussi décisive que l’original si des ondes mauvaises apparaissaient dans leur voisinage. Dans le Tel’aran’rhiod, certaines choses n’étaient que trop réelles.

S’efforçant de ne pas penser à l’Épée qui n’était-pas une Épée, Egwene vint se poster devant les trois Sagettes. Nouant leur châle autour de leur taille, elles délacèrent leur blouse. C’est ainsi que les Aielles recevaient leurs amies dans leur tente, sous un soleil brûlant. Elle ne s’assit pas, et si cela lui donna l’air d’une suppliante ou d’une accusée en jugement, tant pis. Au fond, elle l’était en un sens.

— Je ne vous ai pas dit pourquoi j’ai été appelée loin de vous, et vous ne me l’avez pas demandé.