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Ensuite, tout cela s’était effacé, les bruits s’estompant, les gens rapetissant, les piques et les flèches retombant au-dessous d’eux tandis que Drogon se hissait dans le ciel à coups de griffes. De plus en plus haut il l’avait emportée, bien au-dessus des pyramides et des arènes, ses ailes déployées pour capter l’air chaud montant des briques de la ville, cuisant au soleil. Si je tombe et que je meurs, cela en aura quand même valu la peine, s’était-elle dit.

Plein nord, ils avaient volé, par-delà le fleuve, Drogon planant sur des ailes déchirées et trouées, à travers des nuages qui défilaient comme les bannières d’un ost fantomatique. Daenerys aperçut les côtes de la baie des Serfs et l’ancienne route valyrienne qui courait en les suivant à travers les sables et la désolation jusqu’à disparaître à l’ouest. La route qui s'en va chez moi. Puis il n’y eut rien sous eux, que de l’herbe qui ondulait au vent.

Y avait-il des milliers d’années écoulées depuis ce premier vol ? Parfois, elle en avait bien l’impression.

Le soleil devint plus chaud en montant dans le ciel, et elle sentit sous peu sa tête lui cogner. Les cheveux de Daenerys repoussaient, mais lentement. « J’ai besoin d’un chapeau », déclara-t-elle à voix haute. Sur les hauteurs de Peyredragon, elle avait tenté de s’en confectionner un, tressant des tiges d’herbes comme elle avait vu des femmes dothrakies le faire lorsqu’elle était avec Drogo, mais, soit elle employait une variété d’herbe qui ne convenait pas, soit elle était simplement dénuée du talent nécessaire. Tous ses chapeaux tombaient en pièces entre ses doigts. Essaie encore, dit-elle pour s’encourager. Tu réussiras mieux la prochaine fois. Tu es le sang du dragon, tu peux fabriquer un chapeau. Elle essaya, encore et encore, mais sa dernière tentative n’avait pas davantage abouti que la première.

L’après-midi était là quand Daenerys trouva le ruisseau qu’elle avait aperçu du haut de la colline. C’était un ru, un filet d’eau, une saignée pas plus large que son bras… et son bras avait maigri à chaque jour passé sur Peyredragon. Daenerys recueillit de l’eau dans sa main et s’en éclaboussa le visage. Quand elle plaça ses mains en coupe, ses phalanges s’enlisèrent dans la vase au fond du ruisseau. Elle aurait préféré une eau plus fraîche, plus claire… mais non, si elle devait accrocher ses espoirs à des vœux, elle souhaiterait qu’on vînt à son secours.

Elle s’agrippait encore à l’espoir qu’on suivrait ses traces. Ser Barristan pourrait venir en quête d’elle ; premier de sa Garde Royale, il s’était juré de défendre la vie de sa reine au prix de la sienne. Et ses Sang-coureurs n’étaient pas étrangers à la mer Dothrak, et leurs vies étaient liées à la sienne. Son époux, le noble Hizdahr zo Loraq, pourrait dépêcher des groupes de recherche. Et Daario… Daenerys se le représentait, chevauchant vers elle à travers les hautes herbes, souriant, sa dent en or brillant aux feux du soleil couchant.

Seulement, Daario avait été livré aux Yunkaïis, comme otage, pour assurer qu’aucun mal n’adviendrait aux capitaines yunkaïis. Daario et Héro, Jhogo et Groleo, et trois parents d’Hizdahr. Désormais, tous les otages avaient été restitués, certainement. Toutefois…

Elle se demanda si les lames de son capitaine étaient encore accrochées au mur auprès du lit de la reine, en attendant que Daario revînt les récupérer. « Je laisse mes filles avec toi, avait-il déclaré. Prends-en soin pour moi, mon amour. » Et elle se demanda ce que les Yunkaïis savaient du prix qu’elle attachait à son capitaine. Elle avait posé la question à ser Barristan, l’après-midi où les otages étaient partis. « Ils auront entendu les ragots, avait-il répondu. Naharis a même pu se targuer de la grande… considération que Votre Grâce lui témoigne. Si vous voulez bien me pardonner de le dire, la modestie n’est pas une des vertus du capitaine. Il tire grand orgueil de sa… de son habileté à l’épée. »

Il se vante de coucher avec moi, tu veux dire. Mais Daario n’aurait pas été assez sot pour se vanter ainsi parmi ses ennemis. C’est sans importance. En ce moment, les Yunkaïis doivent rentrer chez eux. C’était pour cette raison qu’elle avait agi comme elle l’avait fait. Pour la paix.

Elle se retourna vers le chemin qu’elle avait parcouru, vers Peyredragon qui s’élevait au-dessus des plaines herbues comme un poing serré. Ça paraît si près. Je marche depuis des heures, et pourtant l’impression demeure que je pourrais tendre le bras et le toucher. Il n’était pas trop tard pour rebrousser chemin. Il y avait du poisson dans le bassin qu’alimentait la source, près de la caverne de Drogon. Elle en avait attrapé un le premier jour là-bas, elle pourrait en pêcher d’autres. Et il y aurait des restes, des os calcinés où s’accrochaient encore des lambeaux de viande, les reliquats des chasses du dragon.

Non, se dit Daenerys. Si je regarde en arrière, c’en est fait de moi. Elle pourrait vivre des années sur les rochers cuits au soleil de Peyredragon, chevauchant Drogon le jour et grignotant ses reliefs à chaque nuit tombante, tandis que le grand océan d’herbe virait de l’or à l’orange, mais ce n’était pas pour cette existence qu’elle était née. Aussi tourna-t-elle de nouveau le dos à la colline au loin et se boucha-t-elle les oreilles au chant d’essor et de liberté que susurrait le vent en jouant dans les crêtes rocailleuses de la colline. Le ruisseau courait vers le sud-sud-est, pour autant qu’elle pût en juger. Elle le suivit. Conduis-moi au fleuve, c’est tout ce que je te demande. Conduis-moi au fleuve et je ferai le reste.

Les heures s’écoulèrent lentement. Le ruisseau obliquait d’un côté et de l’autre, et Daenerys l’accompagnait, marquant une cadence sur sa jambe avec le fouet, en s’efforçant de ne pas songer au chemin qu’elle avait parcouru, ni aux battements sous son crâne, ni à son ventre creux. Fais un pas. Puis le suivant. Encore un pas. Et encore. Que pouvait-elle faire d’autre ?

Le calme régnait, sur sa mer. Quand soufflait le vent, l’herbe soupirait tandis que les tiges frottaient les unes contre les autres, chuchotant dans une langue que seuls comprenaient les dieux. De temps en temps, le petit cours d’eau gazouillait en contournant une pierre. La boue giclait entre les orteils de Daenerys. Des insectes bourdonnaient autour d’elle, des libellules indolentes, des guêpes vertes luisantes et des moustiques qui piquaient, presque trop petits pour être visibles. Elle les giflait distraitement quand ils se posaient sur ses bras. Une fois, elle surprit un rat qui buvait au ruisseau, mais il s’enfuit en la voyant paraître, détalant entre les tiges pour disparaître dans les hautes herbes. Parfois elle entendait des oiseaux chanter. Le son lui faisait gronder l’estomac, mais elle n’avait pas de rets pour les prendre, et jusqu’ici elle n’avait pas croisé de nids. Autrefois, je rêvais de voler, et maintenant que j’ai volé, je rêve de dérober des œufs. L’idée la fit rire. « Les hommes sont fous, et les dieux plus encore », expliqua-t-elle aux herbes, et les herbes susurrèrent leur assentiment.