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Juste après midi, elle atteignit un buisson qui poussait près du ruisseau, ses branches torses couvertes de baies dures et vertes. Daenerys les lorgna d’un œil soupçonneux, puis en cueillit une sur une branche, qu’elle grignota. La pulpe en était acide et croquante, avec un arrière-goût amer qui lui parut familier. « Dans le khalasar, ils utilisaient ce genre de baies pour assaisonner les rôtis », décida-t-elle. Le dire à haute voix renforça sa conviction. Son estomac grondait, et Daenerys se retrouva à cueillir des baies à deux mains pour les jeter dans sa bouche.

Une heure plus tard, son estomac commença à être tordu de crampes si fortes qu’elle ne put pas continuer. Elle passa le reste de la journée à vomir une bouillie verte. Si je reste ici, je vais mourir. Je suis peut-être déjà en train d’agoniser. Le dieu cheval des Dothrakis écarterait-il les herbes et la prendrait-il dans son khalasar d’étoiles, afin qu’elle chevauchât dans les terres de la nuit avec le khal Drogo ? En Westeros, les morts de la maison Targaryen étaient livrés aux flammes, mais qui, ici, allumerait son bûcher ? Ma chair ira nourrir les loups et les charognards, songea-t-elle avec tristesse, et les vers creuseront leurs tunnels dans mon ventre. Ses yeux revinrent vers Peyredragon. La colline semblait plus petite. Elle voyait de la fumée s’élever de son sommet sculpté par les vents, à des milles d’elle. Drogon est rentré de sa chasse.

Le coucher du soleil la trouva accroupie dans l’herbe, en train de gémir. Chacune de ses selles était plus molle que la précédente et sentait plus mauvais. Le temps que la lune se levât, elle chiait de l’eau brune. Plus elle buvait et plus elle chiait, mais plus elle chiait et plus elle avait soif, et sa soif l’envoyait à quatre pattes jusqu’au ruisseau pour aspirer plus d’eau. Lorsqu’elle ferma enfin les yeux, Daenerys ne savait pas si elle aurait assez de force pour les rouvrir.

Elle rêva de son frère mort.

Viserys ressemblait exactement à ce qu’il avait été la dernière fois qu’elle l’avait vu. Il avait la bouche tordue de souffrance, les cheveux brûlés, et son visage noir fumait aux endroits où l’or fondu lui avait coulé sur le front, sur les joues et dans les yeux.

« Tu es mort », déclara Daenerys.

Assassiné. Bien que ses lèvres n’eussent pas bougé, elle entendait quand même sa voix, qui lui chuchotait à l’oreille. Tu n’as jamais porté mon deuil, ma sœur. Mourir sans être pleuré n’est pas facile.

« Je t’ai aimé, jadis. »

Jadis, répéta-t-il, avec tant d’amertume qu’elle en frémit. Tu aurais dû être mon épouse, me donner des enfants aux cheveux d’argent et aux yeux mauves, pour préserver la pureté de la lignée du dragon. Je me suis occupé de toi. Je t’ai appris qui tu étais. Je t’ai nourrie. J’ai vendu la couronne de notre mère pour continuer à te nourrir.

« Tu m’as fait mal. Tu m’as fait peur. »

Seulement quand tu éveillais le dragon. Je t’aimais.

« Tu m’as vendue. Tu m’as trahie. »

Non. La traîtresse, c’était toi. Tu t’es retournée contre moi, contre ton propre sang. Ils m’ont floué. Ton époux chevalin et ses sauvages puants. C’étaient des tricheurs et des menteurs. Ils m’ont promis une couronne en or et m’ont donné ceci. Il toucha l’or fondu qui lui coulait lentement sur le visage, et de la fumée monta de son doigt.

« Tu aurais pu avoir ta couronne, lui dit Daenerys. Le soleil étoilé de ma vie l’aurait remportée pour toi, si seulement tu avais attendu. »

J’ai attendu assez longtemps. J’ai attendu toute ma vie. J’étais leur roi, leur roi légitime. Ils ont ri de moi.

« Tu aurais dû rester à Pentos, avec Maître Illyrio. Le khal Drogo devait me présenter au dosh khaleen, mais tu n’avais aucune raison de chevaucher avec nous. Tu as choisi de le faire. Tu as commis une erreur. »

Veux-tu réveiller le dragon, petite putain sans cervelle ? Le khalasar de Drogo m’appartenait. Je les lui ai achetés, cent mille hurleurs. Je les ai payés avec ta virginité.

« Tu n’as jamais compris. Les Dothrakis n’achètent rien, ils ne vendent rien. Ils font des cadeaux et en reçoivent. Si tu avais attendu… »

J’ai attendu. Attendu ma couronne, mon trône, toi. Toutes ces années, et tout ce que j’en ai tiré, c’est un chaudron d’or fondu. Pourquoi t’ont-ils donné les œufs de dragon ? Ils auraient dû me revenir. Si j’avais possédé un dragon, j’aurais enseigné au monde ce que notre devise signifie. Viserys se mit à rire, jusqu’à ce que sa mâchoire se séparât en fumant de son visage et que le sang et l’or fondu se répandissent hors de sa bouche.

Quand elle se réveilla, le souffle court, ses cuisses étaient nappées de sang.

Un moment elle ne comprit pas de quoi il s’agissait. Le monde commençait tout juste à s’éclaircir et les hautes herbes chuchotaient doucement sous le vent. Non, je vous en prie, laissez-moi dormir encore un peu. Je suis tellement fatiguée. Elle essaya de s’enfouir de nouveau sous le tas d’herbe qu’elle avait arrachée en s’endormant. Certaines des tiges semblaient humides. Avait-il de nouveau plu ? Elle s’assit, craignant de s’être souillée pendant son sommeil. Quand elle porta ses doigts devant son visage, elle sentit sur eux l’odeur du sang. Est-ce que je suis en train de mourir ? Puis elle vit le pâle croissant de la lune, qui flottait haut au-dessus des herbes, et l’idée lui vint que ce n’était que le sang de la lune.

Si elle n’avait pas été si malade et effrayée, cela aurait pu représenter un soulagement pour elle. Mais elle fut prise de frissons violents. Elle se frotta les doigts dans la terre et attrapa une poignée d’herbe pour s’essuyer entre les jambes. Le dragon ne pleure pas. Elle saignait, mais ce n’était que du sang de femme. Cependant, la lune n’est encore qu’un croissant. Comment cela se peut-il ? Elle essaya de se souvenir de la dernière fois qu’elle avait saigné. La dernière pleine lune ? La précédente ? Celle d’avant, encore ? Non, ça ne peut pas remonter si loin. « Je suis le sang du dragon », déclara-t-elle à l’herbe, à voix haute.

Autrefois, lui chuchota l’herbe, en retour, jusqu’à ce que tu enchaînes tes dragons dans le noir.

« Drogon a tué une petite fille. Elle s’appelait… Son nom… » Daenerys ne se souvenait plus du nom de l’enfant. Cela l’attrista tellement qu’elle en aurait pleuré si le feu n’avait pas consumé toutes ses larmes. « Jamais je n’aurai de petite fille. J’étais la Mère des Dragons. »

Certes, répondit l’herbe, mais tu t’es retournée contre tes enfants.

Elle avait le ventre vide, ses pieds douloureux et couverts d’ampoules, et il lui parut que les crampes s’étaient aggravées. Son ventre était rempli d’un nœud de serpents qui lui mordaient les entrailles. Elle prit une poignée de boue et d’eau avec des mains tremblantes. À midi, l’eau serait tiède, mais dans la froidure de l’aube, elle était presque fraîche et l’aida à garder les yeux ouverts. Tandis qu’elle s’éclaboussait le visage, elle vit à nouveau du sang sur ses cuisses. Le rebord déchiré de sa tunique en était taché. La vision de tant de rouge l’effraya. Du sang de la lune, ce n’est que mon sang de la lune, mais elle ne se rappelait pas avoir jamais eu un flot aussi important. Se pourrait-il que ce soit l’eau ? Si c’était l’eau, elle était perdue. Elle devait boire ou périr de soif.