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À Volantis, il avait vu les galères embarquer des provisions. Toute la cité paraissait soûle. On apercevait marins, soldats et vagabonds danser dans les rues en compagnie de nobles et de gras négociants et, dans chaque auberge et gargote, on levait sa coupe aux nouveaux triarques. On ne causait que de l’or, des pierreries et des esclaves qui afflueraient à Volantis une fois que la reine dragon serait morte. Une journée de comptes rendus de ce genre et Victarion ne put en supporter davantage ; il paya les vivres et l’eau à prix d’or, malgré la honte qu’il en éprouvait, et reprit la mer avec sa flotte.

Les tempêtes avaient dû égailler et retarder les Volantains, tout comme elles l’avaient fait de ses propres bâtiments. Si la fortune souriait à Victarion, nombre de leurs vaisseaux de guerre avaient sombré ou s’étaient échoués. Mais pas tous. Aucun dieu n’avait tant de bonté, et les galères vertes rescapées avaient très bien pu déjà contourner Valyria. Ils vont filer vers le nord en direction de Meereen et de Yunkaï, de grands dromons de guerre regorgeant d’esclaves soldats. Si le dieu des Tempêtes les a épargnés, ils pourraient avoir atteint le golfe de Douleur. Trois cents navires, voire cinq cents. Leurs alliés croisaient déjà au large de Meereen : des Yunkaïis et des Astaporis, des hommes de la Nouvelle-Ghis et de Qarth, de Tolos et le dieu des Tempêtes savait d’où encore, même les propres vaisseaux de guerre de Meereen, ceux qui avaient fui la ville avant sa chute. Face à tout cela, Victarion alignait cinquante et quatre bâtiments. Cinquante et trois, sans le Squale.

L’Œil de Choucas avait traversé la moitié du monde, pillant et razziant, de Qarth à Grand Banian, faisant escale dans des ports sans foi ni loi au-delà desquels seuls s’aventuraient les insensés. Euron avait même bravé la mer Fumeuse et survécu pour s’en vanter. Et cela, avec un seul navire. S’il peut se rire des dieux, alors moi aussi.

« Bien, capitaine », répondit Wulfe-qu’une-oreille. Il ne valait pas la moitié de Nutt le Barbier, mais l’Œil de Choucas lui avait volé Nutt. En l’élevant au titre de lord Bouclier de Chêne, son frère s’était approprié le bras droit de Victarion. « Destination Meereen, toujours, hein ?

— Où voudrais-tu aller, sinon ? C’est à Meereen que m’attend la reine dragon. » La plus belle femme du monde, s’il faut en croire mon frère. Elle a des cheveux d’or blanc et des yeux d’améthyste.

Espérait-il trop en supposant que, pour une fois, Euron avait dit la vérité ? Peut-être. La fille se révélerait probablement être une garce tavelée de vérole avec des seins qui lui battaient les genoux et, en guise de « dragons », des lézards tatoués des marais de Sothoryos. Mais si elle correspond à tout ce que clame Euron… Ils avaient entendu vanter la beauté de Daenerys Targaryen de la bouche de pirates des Degrés et de gras marchands de l’Antique Volantis. Ça pourrait être vrai. Et Euron n’en avait certes pas fait don à Victarion ; l’Œil de Choucas avait l’intention de la garder pour lui. Il m’envoie comme un domestique la lui ramener. Comme il hurlera quand je la garderai pour moi ! Que les hommes murmurent. Ils avaient trop loin navigué et trop perdu pour que Victarion mît cap à l’ouest sans sa prise.

Le capitaine fer-né referma sa main valide en un poing. « Va faire exécuter mes ordres. Et puis trouve-moi le mestre, où qu’il se cache, et envoie-le dans ma cabine.

— Bien. » Wulfe s’en fut en clopinant.

Victarion Greyjoy se retourna vers la proue, parcourant sa flotte du regard. Les longs vaisseaux couvraient la mer, voiles ferlées et rames embarquées, flottant à l’ancre ou halés sur la plage de sable pâle. L’île des Cèdres. Où étaient-ils, ces cèdres ? Noyés quatre cents ans plus tôt, de toute évidence. Victarion était descendu à terre une douzaine de fois pour chasser de la viande fraîche, et il n’avait toujours pas vu l’ombre d’un seul.

Selon le mestre efféminé dont Euron l’avait encombré à Westeros, ces lieux s’appelaient jadis « L’île des Cent Batailles », mais les guerriers qui avaient livré les batailles en question étaient tous tombés en poussière depuis des siècles. L’île des Singes, voilà comment on devrait l’appeler. Elle avait des cochons, également : les plus massifs et les plus noirs que Fer-né ait jamais vus, et une abondance de marcassins couinant dans les taillis, des créatures effrontées qui n’avaient pas la peur de l’homme. Mais ils apprenaient. Les cambuses de la Flotte de Fer se remplissaient de jambons fumés, de porc salé et de bacon.

Les singes, en revanche… les singes étaient une plaie. Victarion avait interdit à ses hommes d’introduire à bord la moindre de ces démoniaques créatures, et pourtant, sans qu’on sût comment, la moitié de sa flotte en était désormais infestée, y compris son propre Fer Vainqueur. Il en voyait en ce moment précis se balancer d’espars en vergues, d’un navire à l’autre. Que ne donnerais-je pour une arbalète.

Victarion n’aimait pas cette mer, ni ces infinis cieux sans nuages, ni le soleil ardent qui leur martelait la tête et cuisait les ponts jusqu’à chauffer assez les planches pour brûler des pieds nus. Il n’aimait pas ces ouragans, qui semblaient surgir de nulle part. Les tempêtes sévissaient souvent sur les mers autour de Pyk, mais on pouvait au moins subodorer leur arrivée. Ces bourrasques méridionales étaient sournoises comme des femmes. Même l’eau n’avait pas la bonne couleur – un turquoise miroitant à proximité de la côte et, plus au large, un bleu si foncé qu’il confinait au noir. Victarion avait la nostalgie des flots gris-vert de chez lui, avec leurs houles et leurs déferlantes.

Cette île des Cèdres ne lui plaisait pas non plus. Certes, la chasse y était bonne, mais les forêts étaient trop vertes et tranquilles, débordant d’arbres tordus et de bizarres fleurs bariolées, sans commune mesure avec ce que ses hommes avaient jamais pu rencontrer, et des horreurs rôdaient parmi les décombres des palais et les débris des statues de Vélos l’engloutie, à une demi-lieue au nord du cap où la flotte tanguait à l’ancre. La dernière fois que Victarion avait passé la nuit à terre, des rêves noirs l’avaient perturbé et, à son réveil, il avait la bouche remplie de sang. Le mestre assurait qu’il s’était mordu la langue dans son sommeil, mais il vit là un présage envoyé par le dieu Noyé, afin de l’avertir : qu’il s’attardât ici trop longtemps, et il se noierait dans son propre sang.

Le jour où le Fléau s’était abattu sur Valyria, racontait-on, une muraille d’eau de trois cents pieds de haut avait déferlé sur l’île, noyant des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, ne laissant pour raconter les événements que quelques pêcheurs qui se trouvaient en mer et une poignée de piquiers vélosiens en faction dans une solide tour de pierre sur la plus haute colline de l’île, d’où ils avaient vu les vallées au-dessous d’eux se changer en mer démontée. La belle Vélos avec ses palais de cèdre et de marbre rose avait disparu en un battement de cœur. À l’extrémité nord de l’île, les anciens murs de brique et les pyramides à degrés du port esclavagiste de Ghozaï avaient subi le même sort.

Tant de noyés… Le dieu Noyé sera fort, là-bas, avait estimé Victarion en choisissant l’île pour la réunion des trois parties de sa flotte. Mais il n’était pas prêtre. Et s’il s’était complètement fourvoyé ? Peut-être le dieu Noyé avait-il détruit l’île dans son courroux. Son frère Aeron aurait su la réponse, mais le Tifs-trempés était resté sur les îles de Fer à prêcher contre l’Œil de Choucas et son règne. Aucun impie ne peut s’asseoir sur le trône de Grès. Et cependant, les capitaines et les rois avaient crié en faveur d’Euron aux états généraux de la royauté, le préférant à Victarion et à d’autres hommes pieux.