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— Non. » Elle écarquilla les yeux. « Pas ça. De grâce.

— La perspective ne m’enchante pas davantage. »

À quelques pas de là, six des esclaves soldats de Yezzan, accroupis dans la poussière, lançaient les osselets en faisant circuler une outre de main en main. L’un d’eux, le sergent qu’on appelait le Balafré, était une sombre brute au crâne aussi lisse que la pierre et à la carrure de bœuf. Proche du bœuf par la ruse, également, se rappela Tyrion.

Il se dandina jusqu’à eux. « Balafré, aboya-t-il, le noble Yezzan a besoin d’eau pure et fraîche. Emmène deux hommes et rapporte autant de seaux que vous pourrez en tenir. Et ne traîne pas. »

Les soldats interrompirent leur partie. Le Balafré se remit debout, fronçant sa protubérante arcade sourcilière. « T’as dit quoi, le nain ? Tu te prends pour qui ?

— Tu sais qui je suis. Yollo. Un des trésors de ton maître. Maintenant, exécute ce que je t’ai dit. »

Les soldats éclatèrent de rire. « Allez, Balafré, gouailla l’un d’eux, et traîne pas. Le singe de Yezzan t’a donné un ordre.

— On dit pas aux soldats ce qu’il faut faire, déclara le Balafré.

— Des soldats ? » Tyrion feignit la perplexité. « Je ne vois que des esclaves. Tu portes un collier autour du cou, exactement comme moi. »

Le sauvage revers de main que lui flanqua le Balafré l’envoya rouler à terre, et lui éclata la lèvre. « Le collier de Yezzan. Pas le tien. »

Tyrion essuya du dos de la main le sang de sa lèvre fendue. Lorsqu’il voulut se remettre debout, une jambe s’effaça sous lui, et il retomba à genoux. Il eut besoin de l’aide de Sou pour se relever. « Douceur a dit qu’il fallait de l’eau au maître, insista-t-il avec son plus beau geignement.

— Douceur a qu’à aller se faire foutre. Il peut même faire ça tout seul. On reçoit pas d’ordres de ce monstre, non plus. »

Non, songea Tyrion. Même parmi les esclaves, il y avait les seigneurs et les paysans, comme il n’avait pas tardé à l’apprendre. L’hermaphrodite, de longue date le favori particulier de leur maître, avait été cajolé, gâté, et pour cela, les autres esclaves du noble Yezzan le haïssaient.

Les soldats avaient coutume de recevoir les ordres de leurs maîtres et de leur surveillant. Mais Nourrice était mort, et Yezzan trop mal en point pour désigner un successeur. Quant aux trois neveux, à la première rumeur de sabots de la jument pâle, ces braves hommes libres s’étaient souvenus d’affaires pressantes les requérant ailleurs.

« L… l’eau, insista Tyrion, pleurnichard. Pas celle du fleuve, le guérisseur a dit. De l’eau pure, de l’eau fraîche du puits. »

Le Balafré grogna. « Eh ben, vas-y, toi. Et traîne pas.

— Nous ? » Tyrion échangea avec Sou un regard désemparé. « C’est lourd, de l’eau. Nous ne sommes pas aussi forts que vous. Est-ce que… est-ce qu’on pourrait prendre la carriole avec la mule ?

— Prends tes jambes.

— Nous allons devoir faire une douzaine de voyages.

— Faites-en cent. J’en ai rien à foutre.

— Mais tous les deux, tout seuls… jamais nous ne pourrons transporter toute l’eau dont le maître a besoin.

— Utilisez votre ours, suggéra le Balafré. Il est probablement bon qu’à ça, à aller chercher de l’eau. »

Tyrion recula. « Comme vous voulez, maître. »

Le Balafré grimaça un sourire. Oh, « maître », ça lui a plu, ça. « Morgo, apporte les clés. Vous allez remplir les seaux et vous revenez tout de suite, le nain. Tu sais ce qui arrive aux esclaves qui essaient de s’enfuir.

— Apporte les seaux », ordonna Tyrion à Sou. Il partit avec le dénommé Morgo chercher ser Jorah dans sa cage.

Le chevalier ne s’était pas bien adapté à la servitude. Quand on lui avait demandé de jouer les ours et d’enlever la belle damoiselle, il s’était montré maussade et peu coopératif, tenant son rôle sans la moindre conviction, lorsqu’il daignait prendre part à leur spectacle. Bien qu’il n’eût pas tenté de s’évader, ni exercé de violence contre ses geôliers, il ignorait en général leurs ordres ou répondait par des imprécations à voix basse. Rien de tout cela n’avait amusé Nourrice, qui avait manifesté son mécontentement en confinant Mormont dans une cage en fer et en le faisant battre chaque soir tandis que le soleil sombrait dans la baie des Serfs. Le chevalier recevait les coups en silence : on n’entendait que les jurons grommelés par les esclaves qui le frappaient et les chocs mats de leurs bâtons qui cognaient la chair meurtrie et endolorie de ser Jorah.

Cet homme n’est qu’une coquille vide, avait pensé Tyrion, la première fois qu’il avait vu rosser le grand chevalier. J’aurais dû tenir ma langue et laisser Zahrina l’emporter. Il aurait sans doute connu un sort préférable.

Mormont émergea du confinement étroit de sa cage, tordu, clignant les paupières, les deux yeux pochés et le dos tout encroûté de sang séché. Il avait le visage tellement tuméfié et enflé que ce n’était quasiment plus une figure humaine. Il était nu, hormis son pagne, une guenille jaune et crasseuse. « Tu vas les aider à porter de l’eau », lui indiqua Morgo.

Pour toute réponse, ser Jorah lui adressa un regard renfrogné. Il est des hommes qui préféreraient mourir libres que de vivre en esclave, je suppose. Pour sa part, Tyrion ne souffrait pas de cette affliction, mais si Mormont assassinait Morgo, les autres esclaves pourraient négliger d’observer ce distinguo entre eux. « Viens », intervint-il avant que le chevalier ne commette un acte de bravoure imbécile. Il s’éloigna en se dandinant, en espérant que Mormont allait suivre.

Pour une fois, les dieux furent bons. Mormont suivit.

Deux seaux pour Sou, deux pour Tyrion, et quatre pour ser Jorah, deux dans chaque main. Le puits le plus proche se situait au sud-ouest de la Mégère, aussi partirent-ils dans cette direction, les grelots de leurs colliers tintinnabulant gaiement à chaque pas. Personne ne leur prêta attention. Ce n’étaient que des esclaves qui allaient chercher de l’eau pour leur maître. Porter un collier, en particulier un collier doré frappé du nom de Yezzan zo Qaggaz, conférait certains avantages. Le tintement de leurs clochettes proclamait leur valeur à quiconque était doté d’oreilles. Un esclave n’avait que l’importance de son maître ; Yezzan était l’homme le plus riche de la Cité Jaune, et il avait fourni à la guerre six cents esclaves soldats, même s’il ressemblait à une monstrueuse limace jaune et qu’il puait la pisse. Leurs colliers leur permettaient de se déplacer partout où ils le souhaitaient dans l’enceinte du camp.

Jusqu’à ce que Yezzan meure.

Les Lords de la Sonnaille faisaient s’exercer leurs esclaves soldats sur le champ voisin. Le fracas des chaînes qui les entravaient produisait une discordante musique métallique tandis qu’ils défilaient au pas cadencé sur le sable et se rangeaient en formation avec leurs longues piques. Ailleurs, des équipes d’esclaves élevaient des rampes de pierre et de sable sous leurs mangonneaux et leurs scorpions, les dirigeant vers le ciel, afin de mieux défendre le camp en cas de retour du dragon noir. Les voir transpirer et jurer en hissant les lourds engins sur les plans inclinés fit sourire le nain. On notait également beaucoup d’arbalètes. Un homme sur deux en portait une, semblait-il, avec un plein carquois de viretons accroché à la hanche.