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« Méfie-toi de ceux-là, Jon Snow, le mit en garde Tormund. Un peuple de sauvages. Les hommes sont mauvais et les femmes sont pires. » Il prit une gourde sur sa selle et la tendit à Jon. « Tiens. Ça t’ les fera peut-être paraître moins féroces. Et ça t’ réchauffera pour la nuit. Non, vas-y, tu peux la garder. Bois un bon coup. »

Elle contenait un hydromel si puissant qu’il tira des larmes des yeux de Jon et lui vrilla des filaments de feu dans la poitrine. Il but une grande gorgée. « Tu es un brave homme, Tormund Marmot-d’Ogres. Pour un sauvageon.

— Meilleur qu’ pas mal de monde, ça s’ peut. Mais pas aussi bon qu’ d’autres. »

Et toujours les sauvageons arrivaient, tandis que le soleil se traînait dans le ciel bleu lumineux. Juste avant midi, le mouvement se suspendit quand un char à bœuf se bloqua dans un coude à l’intérieur du tunnel. Jon Snow alla personnellement y regarder de plus près. Le chariot était désormais fermement coincé. Les hommes qui suivaient menaçaient de le débiter en morceaux et d’abattre le bœuf sur pied, tandis que le charretier et sa famille juraient de les tuer s’ils s’y aventuraient. Avec l’assistance de Tormund et de son fils Toregg, Jon réussit à éviter que les sauvageons n’en vinssent à faire couler le sang, mais il fallut pratiquement une heure avant que le passage ne soit rétabli.

« Zavez besoin d’une porte plus grande, se plaignit Tormund auprès de Jon, en levant un regard morose vers le ciel, où venaient d’éclore quelques nuages. Ça va trop lentement, comme ça, bordel. Autant aspirer la Laiteuse avec un roseau. Har. Si j’avais le cor de Joramun. J’y soufflerais un bon coup, et on grimperait à travers les décombres.

— Mélisandre a brûlé le cor de Joramun.

— Ah ouais ? » Tormund se claqua la cuisse et hurla de rire. « Elle a brûlé c’te belle trompe ancienne, oui-da. C’est un péché, moi j’ dis, foutre. Mille ans, qu’elle avait. On l’avait découverte dans une tombe de géant, et aucun d’entre nous avait jamais vu si grande trompe. Ça doit être pour ça que Mance a eu l’idée de te raconter que c’était celle de Joramun. Il voulait que vous autres corbacs croyiez qu’il avait en son pouvoir le moyen d’ faire crouler votre foutu Mur à vos genoux. Mais le véritable cor, on l’a jamais trouvé, malgré tout c’ qu’on a fouillé. Sinon, tous les agenouillés de vos Sept Couronnes auraient eu des morceaux de glace pour se rafraîchir leur vin durant tout l’été. »

Jon se retourna sur sa selle, sourcils froncés. Et Joramun sonna du cor de l’Hiver et il réveilla les géants dans la terre. Cette énorme trompe avec ses bandes de vieil or, incisées de runes anciennes… Mance Rayder lui avait-il menti, ou était-ce Tormund qui mentait à présent ? Si le cor de Mance n’était qu’une feinte, où se cache la vraie trompe ?

Dans l’après-midi, le soleil disparut, la journée vira au gris venteux. « Ciel de neige », prédit Tormund d’un air sinistre.

D’autres avaient lu le même présage dans ces plates nuées blanches. Il parut les inciter à se hâter. L’humeur commença à s’aigrir. Un homme fut poignardé alors qu’il essayait de se faufiler devant d’autres qui stationnaient dans la colonne depuis des heures. Toregg arracha le poignard à l’agresseur et extirpa les deux hommes de la presse pour les renvoyer au camp sauvageon et recommencer tout au début.

« Tormund, dit Jon en regardant quatre vieilles femmes tirer une pleine carriole d’enfants vers la porte, parle-moi de notre ennemi. Je voudrais savoir tout ce qu’on peut apprendre sur les Autres. »

Le sauvageon se frotta la bouche. « Pas ici, marmonna-t-il, pas de ce côté d’ votre Mur. » Le vieil homme jeta un coup d’œil inquiet aux arbres dans leurs manteaux blancs. « Y sont jamais loin, tu sais. Y sortent pas le jour, pas quand not’ vieux soleil brille, mais va pas t’imaginer qu’ ça veut dire qu’y sont partis. Les ombres disparaissent jamais. Ça se peut que tu les voies pas, mais elles s’accrochent en permanence à tes talons.

— Vous ont-elles gênés, durant votre voyage vers le sud ?

— Elles sont jamais sorties en force, si c’est c’ que tu veux dire, mais elles nous accompagnaient tout de même, en nous grignotant sur les bords. J’aime pas penser au nombre d’avant-coureurs qu’on a perdus ; rester à la traîne ou s’écarter du groupe, c’était un coup à y laisser la vie. À chaque tombée de la nuit, on encerclait nos campements de feux. Elles aiment pas trop le feu, sur ce point y a pas de doute. Mais avec l’arrivée des neiges… Certaines nuits, nos feux avaient l’air de se ratatiner et de crever. Les nuits comme ça, on trouvait toujours des morts, au matin. À moins qu’y te trouvent les premiers. La nuit où Torwynd… mon petit, il… » Tormund détourna la tête.

« Je sais », commenta Jon Snow.

Tormund retourna la tête. « T’y connais rien. Ouais, t’as tué un mort, j’ai entendu dire ça. Mance en a tué cent. On peut combattre les morts, mais quand arrivent leurs maîtres, quand se lèvent les brumes blanches… Comment tu combats du brouillard, corbac ? Des ombres avec des dents… un air si froid que t’as mal quand tu respires, comme un poignard en pleine poitrine… Tu sais rien, tu peux pas savoir… Ton épée, elle peut trancher le froid ? »

Nous verrons bien, se dit Jon, se remémorant ce que Sam lui avait révélé, ce qu’il avait déniché dans ses vieux bouquins. Grand-Griffe avait été forgée dans les feux de l’ancienne Valyria, forgée dans la flamme des dragons et chargée de sortilèges. De l’acierdragon, comme l’appelait Sam. Plus solide que n’importe quel acier commun, plus léger, plus dur, plus acéré… Mais des mots dans un livre étaient une chose. La véritable mise à l’épreuve viendrait lors de la bataille.

« Tu n’as pas tort, répondit Jon. Je ne sais pas. Et si les dieux sont bons, je ne saurai jamais.

— Les dieux sont rarement bons, Jon Snow. » Tormund indiqua le ciel d’un signe de tête. « Les nuages montent. Déjà, il fait plus froid, plus sombre. Ton Mur pleure plus. Regarde. » Il pivota pour appeler son fils, Toregg. « Repars au camp et secoue-les. Les malades et les blessés, les endormis et les poltrons, mets-les debout. Boute le feu à leurs tentes, au besoin. La porte doit se fermer à la tombée de la nuit. Tout homme qui n’aura pas passé le Mur à ce moment-là a intérêt à prier pour que les Autres le trouvent avant moi. C’est entendu ?

— Entendu. » Toregg donna du talon dans son cheval et remonta la colonne au galop.

Les sauvageons passaient, et passaient. Le jour s’assombrit, exactement comme l’avait annoncé Tormund. Des nuages nappèrent le ciel d’un horizon à l’autre, et la chaleur s’enfuit. On se bouscula davantage à la porte, quand des hommes, des chèvres et des taureaux cherchèrent à se faufiler les uns devant les autres. C’est plus que de l’impatience, comprit Jon. Ils ont peur. Guerriers, piqueuses, pillards, ils ont peur de ces bois, des ombres qui se meuvent entre les arbres. Ils veulent placer le Mur entre eux, avant que la nuit ne tombe.

Un flocon de neige dansa dans les airs. Puis un autre. Dansez avec moi, Jon Snow, pensa-t-il. Vous allez danser avec moi, d’ici guère de temps.

Et toujours les sauvageons se succédaient. Certains progressaient plus vite, à présent, se pressant pour traverser le champ de bataille. D’autres – les vieux, les jeunes, les faibles – parvenaient à peine à se mouvoir. Durant la matinée, le champ avait été couvert d’une épaisse couverture de vieille neige, dont la carapace blanche brillait au soleil. Désormais, le champ était brun, noir et boueux. Le passage du peuple libre avait changé le sol en gadoue et en glaise : les roues en bois des chariots et les sabots des chevaux, les patins d’os, de corne et de fer, les lourdes bottes, les sabots des cochons, des vaches et des taureaux, ceux, noirs et nus, du peuple des Pieds Cornés, tout cela avait laissé sa marque. La fange ralentissait encore davantage la colonne. « Il vous faut une porte plus grande », se plaignit Tormund derechef.