Quentyn Martell blêmit. « Moi ? Jamais je ne… vous ne pouvez imaginer que j’ai eu quelque chose à voir dans… »
C’était la vérité, ou il excelle en matière de comédie. « D’autres le pourraient, répondit ser Barristan. La Vipère Rouge était votre oncle. Et vous avez de bonnes raisons de souhaiter la mort du roi Hizdahr.
— Et d’autres aussi, suggéra Gerris Boisleau. Naharis, par exemple. Le…
— L’amant de cœur de la reine », compléta ser Barristan, avant que le chevalier dornien puisse dire quoi que ce soit qui souillât l’honneur de Daenerys. « C’est le terme dont vous usez, à Dorne, n’est-ce pas ? » Il n’attendit pas une réponse. « Le prince Lewyn était mon Frère juré. En ce temps-là, peu de choses restaient secrètes, dans la Garde Royale. Je sais qu’il avait une amante de cœur. Il n’estimait pas qu’il y eût de honte à cela.
— Non, admit Quentyn, écarlate. Mais…
— Daario tuerait Hizdahr en un éclair s’il l’osait, enchaîna ser Barristan. Mais pas avec du poison. Jamais. Et Daario ne se trouvait pas là, de toute façon. Hizdahr serait ravi de le blâmer pour les sauterelles, néanmoins… mais le roi pourrait encore avoir besoin des Corbeaux Tornade, et il les perdra s’il semble prêter la main à la mort de leur capitaine. Non, mon prince. Si Sa Grâce a besoin d’un empoisonneur, il se tournera vers vous. » Il avait exposé tout ce qu’il pouvait dire sans risque. Encore quelques jours, si les dieux leur souriaient, et Hizdahr zo Loraq ne régnerait plus sur Meereen… mais impliquer le prince Quentyn dans le bain de sang qui s’annonçait ne servirait à rien. « Si vous tenez à demeurer à Meereen, vous seriez bien inspiré de prendre vos distances avec la cour et d’espérer qu’Hizdahr vous oubliera, conclut ser Barristan. Et je continue de penser qu’un navire pour Volantis serait plus sage, mon prince. Quelle que soit la voie que vous choisirez, je vous souhaite tout le bien possible. »
Avant qu’il ait avancé de trois pas, Quentyn Martell l’appela. « Barristan le Hardi, vous appelle-t-on.
— Certains. » Selmy avait remporté cette épithète à l’âge de dix ans, frais émoulu écuyer, et si vaniteux et sot, cependant, qu’il s’était mis dans l’idée qu’il pouvait jouter contre des chevaliers expérimentés et éprouvés. Aussi avait-il emprunté un palefroi et de la plate dans l’armurerie de lord Dondarrion et était-il entré en lice à Havrenoir en tant que chevalier mystère. Même le héraut riait. J’avais les bras si maigres qu’en couchant ma lance, j’avais toutes les peines du monde à empêcher la pointe de labourer le sol. Lord Dondarrion aurait eu le plein droit de lui ordonner de descendre de cheval et de lui administrer une fessée, mais le prince des Libellules avait pris en pitié ce petit imbécile dans son armure mal ajustée et lui avait montré assez de respect pour relever son défi. Une charge avait suffi. Le prince Duncan l’avait ensuite aidé à se relever et lui avait ôté son casque. « Un enfant, avait-il proclamé devant la foule. Un enfant hardi. » Il y avait cinquante-trois ans. Combien sont encore en vie, de ceux qui se trouvaient là, à Havrenoir ?
« Quel nom croyez-vous qu’on me donnera, si je devais rentrer à Dorne sans Daenerys ? demanda le prince Quentyn. Quentyn le Prudent ? Quentyn le Poltron ? Quentyn le Couard ? »
Le Prince qui arriva trop tard, répondit dans sa tête le vieux chevalier… mais si un chevalier de la Garde Royale ne retient aucune autre leçon, il apprend à garder sa langue. « Quentyn l’Avisé », suggéra-t-il. Et il espéra que c’était la vérité.
Le Prétendant éconduit
L’heure des fantômes était presque venue quand ser Gerris Boisleau rentra à la pyramide pour rapporter qu’il avait déniché Fayots, Bouquine et le vieux Bill les Os dans une des caves les moins reluisantes de Meereen, à boire du vin jaune et à regarder des esclaves dénudés s’entre-tuer à mains nues et à dents limées.
« Fayots a dégainé une lame et proposé un pari pour vérifier si les déserteurs avaient la panse gorgée de boue jaune, rapporta ser Gerris, aussi lui ai-je jeté un dragon et demandé si de l’or jaune suffirait. Il a donné un coup de dents dans la pièce et m’a demandé ce que j’avais l’intention d’acheter. Quand je le lui ai dit, il a rangé son coutelas et voulu savoir si j’étais ivre ou fou.
— Qu’il croie ce qu’il voudra, du moment qu’il transmet le message, commenta Quentyn.
— Cela, au moins, il le fera. Je parierais que vous aurez votre entrevue, également, ne serait-ce que pour que le Guenilleux puisse demander à la Belle Meris de vous tailler le foie en tranches et de le frire aux petits oignons. Nous devrions écouter Selmy. Quand Barristan le Hardi dit de fuir, le sage lace ses chaussures. Il nous faut trouver un navire en partance pour Volantis tant que le port est encore ouvert. »
Cette seule mention suffit à colorer de vert les bajoues de ser Archibald. « Plus jamais de navires. Plutôt retourner à Volantis à cloche-pied. »
Volantis, songea Quentyn. Ensuite Lys, et la maison. Retour par le trajet aller, les mains vides. Trois braves qui sont morts, et pour quoi ?
Ce serait bon de revoir la Sang-vert, de visiter Lancehélion et les Jardins Aquatiques, et de respirer l’air pur et doux des montagnes à Ferboys, plutôt que les miasmes chauds, humides et infects de la baie des Serfs. Son père ne prononcerait pas un mot de reproche, Quentyn le savait, mais la déception serait là, dans ses yeux. Sa sœur afficherait son dédain, les Aspics des Sables se moqueraient de lui avec des sourires acérés comme des épées, et lord Ferboys, son second père, qui avait envoyé son propre fils avec lui pour assurer sa sécurité…
« Je ne veux pas vous retenir ici, annonça Quentyn à ses amis. C’est à moi que mon père a confié cette tâche, et non à vous. Rentrez chez vous, si c’est ce que vous souhaitez. Par tous les moyens qui vous plairont. Je reste. »
Le mastodonte haussa les épaules. « Alors, le Buveur et moi, on reste aussi. »
La nuit suivante, Denzo D’han se présenta à la porte du prince Quentyn pour discuter des conditions. « Il vous rencontrera demain, près du marché aux épices. Cherchez une porte marquée d’un lotus mauve. Frappez deux coups et appelez à la liberté.
— Entendu, dit Quentyn. Arch et Gerris m’accompagneront. Il peut amener deux hommes, lui aussi. Pas plus.
— Si tel est le bon plaisir de mon prince. » Oh, certes, les mots du guerrier poète étaient courtois, mais la malveillance aiguisait le ton de sa voix, et la moquerie brillait dans ses yeux. « Venez au coucher du soleil. Et veillez à ce qu’on ne vous suive pas. »
Les Dorniens quittèrent la Grande Pyramide une heure avant le couchant, au cas où ils se fourvoieraient en route ou rencontreraient quelques difficultés à localiser le lotus mauve. Quentyn et Gerris avaient ceint leur baudrier d’épée. Le mastodonte portait sa masse de guerre accrochée en travers de son large dos.
« Il n’est pas encore trop tard pour renoncer à cette folie », insista Gerris tandis qu’ils descendaient une ruelle fétide en route pour le vieux marché aux épices. L’air était saturé par une odeur de pisse et ils entendaient gronder les roues ferrées d’une carriole des morts en avant d’eux. « Le vieux Bill les Os avait coutume de raconter que la Belle Meris pouvait étirer l’agonie d’un homme sur toute une lune. Nous leur avons menti, Quent. On s’est servis d’eux pour parvenir ici, et ensuite on est passés chez les Corbeaux Tornade.