— À vos ordres, messire. Il se trouve que la maison Estremont est liée par le sang avec les deux rois. De bons otages.
— De bonnes rançons, jugea Harry Sans-Terre, guilleret.
— Il est également temps que nous fassions venir le prince Aegon, annonça lord Jon. Il sera plus en sécurité ici, derrière les remparts de la Griffonnière, que dans le camp.
— Je vais envoyer un cavalier, assura Franklyn Flowers, mais l’idée de rester en sécurité ne va pas trop plaire au jouvenceau, je vous le dis. Il veut se trouver au plus fort des événements. »
Nous le voulions tous, à son âge, se remémora lord Jon.
« L’heure est-elle venue de lever sa bannière ? s’enquit Gesse.
— Pas encore. Que Port-Réal imagine qu’il s’agit d’un simple lord qui rentre d’exil avec des épées-louées pour revendiquer son héritage. Une vieille histoire connue, tout cela. Je vais même écrire au roi Tommen en ce sens, et solliciter un pardon et la restitution de mes terres et de mes titres. Cela leur donnera matière à remâcher quelque temps. Et pendant qu’ils temporiseront, nous contacterons en secret de probables amis dans les terres de l’Orage et le Bief. Et à Dorne. » C’était l’étape cruciale. De moindres seigneurs pourraient s’unir à leur cause par peur des coups ou espoir de gain, mais seul le prince de Dorne avait le pouvoir de défier la maison Lannister et ses alliés. « Par-dessus tout, nous devons avoir Doran Martell avec nous.
— Peu de chances pour cela, jugea Paisselande. Le Dornien a peur de son ombre. Pas vraiment le genre audacieux. »
Pas plus que toi. « Certes, le prince Doran est un homme prudent. Jamais il ne se ralliera à nous, à moins qu’il ne soit convaincu que nous l’emporterons. Aussi, pour le convaincre, devons-nous montrer notre force.
— Si Peake et Rivers réussissent, nous contrôlerons la plus grande partie du cap de l’Ire, suggéra Paisselande. Quatre châteaux en autant de jours, voilà un début splendide, mais nous ne sommes encore qu’à la moitié de nos forces. Nous devons attendre le reste de mes hommes. Nous manquons également de chevaux et d’éléphants. Attendons, je dis. Amassons nos forces, gagnons quelques nobliaux à notre cause, laissons Lysono Maar envoyer ses espions pour apprendre ce que nous pourrons de nos ennemis. »
Connington jeta au grassouillet capitaine-général un regard froid. Cet homme n’est ni Cœurnoir, ni Aigracier, ni Maelys. Il attendrait que les sept enfers soient pris par les glaces s’il le pouvait, plutôt que de risquer une nouvelle série d’ampoules. « Nous n’avons pas traversé la moitié du monde pour attendre. Notre meilleure chance est de frapper fort et vite, avant que Port-Réal sache qui nous sommes. J’ai l’intention de prendre Accalmie. Une forteresse quasi inexpugnable, et la dernière tête de pont de Stannis Baratheon dans le Sud. Une fois qu’elle sera à nous, elle nous fournira une place forte sûre où nous réfugier au besoin, et sa conquête démontrera notre force. »
Les capitaines de la Compagnie Dorée échangèrent des regards. « Si Accalmie est toujours tenue par des hommes fidèles à Stannis, c’est à lui que nous la prendrons, et non aux Lannister, objecta Brendel Broigne. « Pourquoi ne pas faire cause commune avec lui contre les Lannister ?
— Stannis est le frère de Robert, de cette même engeance qui a provoqué la chute de la maison Targaryen, lui rappela Jon Connington. De plus, il se trouve à mille lieues d’ici, avec on ne sait quelles maigres forces encore sous ses ordres. Entre nous s’étend tout le royaume. Le simple fait de l’atteindre exigerait la moitié d’un an, et il a tant et moins à nous offrir.
— Si Accalmie est tellement inexpugnable, comment comptez-vous vous en emparer ? voulut savoir Malo.
— Par la ruse. »
Harry Paisselande marqua son désaccord. « Nous devrions attendre.
— Nous le ferons. » Jon Connington se remit debout. « Dix jours. Pas davantage. Il nous faudra tout ce temps pour nous préparer. Au matin du onzième jour, nous partirons pour Accalmie. »
Le prince vint les rejoindre quatre jours plus tard, caracolant en tête d’une colonne de cent chevaux, avec trois éléphants progressant lourdement à l’arrière. Lady Lemore l’accompagnait, de nouveau revêtue d’une robe blanche de septa. En tête venait ser Rolly Canardière, une cape blanche comme neige flottant à ses épaules.
Un homme solide, et un vrai, songea Connington en regardant Canard mettre pied à terre, mais point digne de la Garde Royale. Il avait fait de son mieux pour dissuader le prince d’attribuer à Canardière le manteau, lui faisant observer qu’il valait mieux garder cet honneur en réserve pour des guerriers de plus grand renom, dont la féauté ajouterait du lustre à leur cause, et les fils cadets de grands seigneurs, dont le soutien leur serait nécessaire dans la lutte à venir, mais le jouvenceau n’en avait point démordu. « Canard mourrait pour moi, au besoin, avait-il déclaré, et voilà tout ce que je demande à ma Garde Royale. Le Régicide était un guerrier de grand renom, et fils d’un grand seigneur, en sus. »
Du moins l’ai-je convaincu de laisser les autres six places vacantes, sinon Canard pourrait bien avoir six canetons à sa traîne, chacun plus aveuglément convenable que l’autre. « Escortez Sa Grâce jusqu’à ma salle privée, ordonna-t-il. Sur-le-champ. »
Le prince Aegon Targaryen n’était point tout à fait si obéissant que l’avait été Griff le Jeune, toutefois. Presque une heure s’écoula avant qu’il parût enfin dans la salle privée, Canard à ses côtés. « Lord Connington, déclara-t-il, votre château me plaît. »
« Votre père a des terres splendides », avait-il dit. Ses cheveux d’argent flottaient dans le vent, et ses yeux étaient d’un mauve profond, plus sombre que ceux de ce jouvenceau. « Il me plaît aussi, Votre Grâce. Je vous en prie, prenez un siège. Ser Rolly, nous n’aurons plus besoin de vous, à présent.
— Non, je veux que Canard reste ici. » Le prince s’assit. « Nous avons discuté avec Paisselande et Flowers. Ils nous ont parlé de l’attaque que vous projetez contre Accalmie. »
Jon Connington ne laissa pas paraître sa fureur. « Et Harry Sans-Terre a-t-il essayé de vous convaincre de la retarder ?
— Il l’a fait, en effet, répondit le prince, mais je m’y refuse. Harry est une vieille fille, non ? Vous avez pleinement raison, messire. Je veux que l’attaque ait bien lieu… avec une modification. J’ai l’intention de la mener moi-même. »
Le sacrifice
Sur le pré du village, les gens de la reine dressaient leur bûcher.
Ou devait-on dire sur la banquise du village ? La neige montait partout jusqu’aux genoux, sauf aux endroits où les hommes l’avaient dégagée, afin de pratiquer, à la hache, à la pelle et au pic des trous dans le sol gelé. Des tourbillons de vent venus de l’ouest poussaient de nouvelles chutes de flocons à la surface des lacs pris par la glace.
« Vous ne tenez pas à regarder ça, déclara Aly Mormont.
— Non, mais je vais le faire quand même. » Asha Greyjoy était la fille de la Seiche, pas une donzelle dorlotée incapable de supporter le spectacle de choses laides.
La journée avait offert obscurité, froid et famine, comme la veille et la journée d’avant. Elles en avaient passé l’essentiel sur la glace, à grelotter auprès de deux orifices qu’elles avaient percés dans le plus petit des lacs gelés, des lignes de pêche serrées dans des mains embarrassées de mitaines. Il y avait peu de temps encore, elles pouvaient espérer hameçonner un ou deux poissons chacune, et des hommes du Bois-aux-Loups plus expérimentés dans la pêche sur glace en sortaient quatre ou cinq. Aujourd’hui, Asha n’était revenue qu’avec un coup de froid qui la pénétrait jusqu’à l’os. Aly ne s’était pas mieux comportée. Voilà trois jours que ni l’une ni l’autre n’avait attrapé de poisson.