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— C’est le sergent qui a été le plus malin, confia Asha à Aly Mormont. Il a poussé Suggs à le tuer. » Elle se demanda si la même ruse pourrait fonctionner deux fois, au cas où son tour devrait venir un jour.

On enchaîna les quatre victimes dos à dos, deux par poteau. Elles restèrent accrochées là, trois vivants et un mort, tandis que les dévots du Maître de la Lumière entassaient sous leurs pieds des bûches fendues et des branches cassées, puis arrosaient d’huile de lampe les amas. Ils se devaient d’agir avec célérité. La neige tombait dru, comme toujours, et le bois serait bientôt détrempé.

« Où est le roi ? » s’enquit ser Corliss Penny.

Quatre jours plus tôt, un des écuyers du roi avait succombé au froid et à la faim, un gamin du nom de Bryen Farring, un parent de ser Godry. Stannis Baratheon s’était tenu, le visage dur, auprès du bûcher funéraire tandis que le corps de l’enfant était livré aux flammes. Puis le roi s’était retiré dans sa tour de guet. Il n’en avait plus émergé depuis… bien que, de temps en temps, on aperçût Sa Grâce sur le toit de la tour, silhouettée contre le feu du fanal qui y brûlait nuit et jour. En train de parler au dieu rouge, affirmaient certains. D’invoquer lady Mélisandre, insistaient d’autres. Que ce fût l’un ou l’autre, il semblait à Asha Greyjoy que le roi était désemparé et qu’il appelait à l’aide.

« Canty, allez trouver le roi et prévenez-le que tout est prêt, ordonna ser Godry au plus proche homme d’armes.

— Le roi est ici. » C’était la voix de Richard Horpe.

Par-dessus son armure de plates et de mailles, ser Richard portait son gambison matelassé, frappé des trois sphinx à tête de mort sur champ de cendre et d’os. Le roi Stannis marchait à ses côtés. Derrière eux, s’évertuant pour se maintenir à leur hauteur, Arnolf Karstark clopinait en s’appuyant sur une canne de prunellier. Lord Arnolf les avait rejoints huit jours plus tôt. Le Nordien apportait un fils, trois petits-fils, quatre cents piques, quarante archers, une douzaine de lanciers à cheval, un mestre et une cage de corbeaux… mais seulement assez de provisions pour alimenter les siens.

Karstark, au vrai, n’était point un seigneur, avait-on laissé entendre à Asha, simplement le gouverneur de Karhold tant que le seigneur véritable demeurerait prisonnier des Lannister. Décharné, voûté et tordu, avec une épaule gauche plus haute d’un demi-pied que la droite, il avait le cou maigre, des yeux gris louchons et des dents jaunies. Seuls quelques poils blancs le séparaient encore de la calvitie ; sa barbe fourchue était mi-partie blanche et grise, mais toujours en bataille. Asha trouvait à ses sourires quelque chose de rance. Et cependant, à en croire les ragots, c’était à Karstark qu’échoirait Winterfell s’ils s’en emparaient. Quelque part dans un lointain passé, la maison Karstark avait bourgeonné de la maison Stark, et lord Arnolf avait été le premier des bannerets d’Eddard Stark à se déclarer en faveur de Stannis.

À ce qu’en savait Asha, les Karstark adoraient ces anciens dieux du Nord qu’ils partageaient avec les Wull, les Norroit, les Flint et les autres clans des collines. Elle se demanda si lord Arnolf était venu assister à cette mise au bûcher à la requête du roi, afin d’être le témoin direct de la puissance du dieu rouge.

À la vue de Stannis, deux des hommes attachés aux poteaux se mirent à implorer grâce. Le roi écouta en silence, la mâchoire crispée. Puis il indiqua à Godry Farring : « Vous pouvez commencer. »

Le Tueur-de-Géants leva les bras. « Maître de la Lumière, entends-nous.

— Maître de la Lumière, défends-nous, psalmodièrent les gens de la reine, car la nuit est sombre et pleine de terreurs. »

Ser Godry leva la tête vers le ciel qui s’assombrissait. « Nous te rendons grâce pour le soleil qui nous réchauffe et t’implorons de nous le rendre, ô Seigneur, qu’il puisse éclairer notre chemin vers tes ennemis. » Des flocons de neige fondaient sur son visage. « Nous te rendons grâce pour les étoiles qui veillent sur nous, la nuit, et t’implorons d’arracher ce voile qui les masque, afin que nous puissions nous réjouir de nouveau à la vue de leur gloire.

— Maître de la Lumière, protège-nous, prièrent les gens de la reine, et tiens en respect les ténèbres sauvages. »

Ser Corliss Penny s’avança, brandissant la torche à deux mains, il lui fit décrire des cercles autour de sa tête, afin d’aviver les flammes. Un des captifs se mit à geindre.

« R’hllor, entonna ser Godry, nous te donnons à présent quatre mauvais hommes. D’un cœur joyeux et sincère, nous les livrons à tes feux purificateurs, que les ténèbres de leur âme puissent être consumées. Que leur chair odieuse soit brûlée et calcinée, que leurs esprits puissent s’élever, libres et purs, afin de monter dans la lumière. Accepte leur sang, ô Maître, et fais fondre les entraves de glace qui enchaînent tes serviteurs. Entends leur douleur, et accorde à nos épées la force, que nous puissions répandre le sang de tes ennemis. Accepte ce sacrifice, et indique-nous le chemin de Winterfell, afin que nous puissions défaire les incroyants. »

— Maître de la Lumière, accepte ce sacrifice », reprirent en écho une centaine de voix. Ser Corliss alluma le premier bûcher avec la torche, puis l’enfonça dans le bois à la base du second. Quelques filets de fumée commencèrent à s’élever. Les captifs se mirent à tousser. Les premières flammèches parurent, timides comme des donzelles, pointant et dansant de bûche en jambe. En quelques instants, les deux poteaux furent engloutis par les flammes.

« Il était mort, hurla celui qui pleurait, tandis que les flammes lui léchaient les jambes. On l’a retrouvé mort… Pitié… on avait faim… » Les feux gagnèrent ses couilles. Alors que le poil autour de sa queue commençait à s’embraser, ses plaintes se dissocièrent en un long hurlement inarticulé.

Asha Greyjoy sentit un goût de bile au fond de sa gorge. Sur les îles de Fer, elle avait vu des prêtres de son propre peuple trancher la gorge de serfs et offrir leurs corps à la mer en l’honneur du dieu Noyé. Une cérémonie brutale, mais celle-ci était pire.

Ferme les yeux, s’enjoignit-elle. Bouche-toi les oreilles. Détourne-toi. Tu n’as pas besoin de regarder ça. Les gens de la reine chantaient un péan de louanges à R’hllor le Rouge, mais elle ne distinguait pas les paroles sous les hurlements. La chaleur des flammes lui battait le visage ; pourtant, elle frissonna. L’air se chargea de fumée et de la puanteur de la chair brûlée, et un des corps tressautait encore contre les chaînes portées au rouge qui le rivaient au poteau.

Au bout d’un moment, les cris cessèrent.

Sans un mot, le roi Stannis s’en fut, retournant à la solitude de sa tour de guet. Retour au feu de son fanal, comme le savait Asha, à scruter la flamme en quête de réponses. Arnolf Karstark voulut boitiller à sa suite, mais ser Richard Horpe le saisit par le bras et l’orienta vers la maison commune. Le public commença à s’éloigner, chacun vers son propre feu et le maigre souper qu’il pourrait trouver.

Clayton Suggs se coula aux côtés d’Asha. « Le con de fer a-t-il goûté le spectacle ? » Son haleine puait la bière et l’oignon. Il a des yeux de porc, estima Asha. C’était approprié ; son bouclier et son surcot arboraient un cochon ailé. Suggs avança le museau si près d’elle qu’elle aurait pu compter les points noirs sur son nez, et annonça : « Il y aura plus grande foule encore pour vous voir vous trémousser contre un poteau. »