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— Nous devrions rester ici jusqu’à ce que le temps change », estima ser Folcœur Wylde, un vieux chevalier cadavérique dont la nature démentait le prénom. Asha avait entendu des rumeurs prétendant que les hommes d’armes pariaient entre eux sur les prochains grands chevaliers et seigneurs qui mourraient. Ser Folcœur s’était nettement détaché parmi les favoris. Et combien d’argent a-t-on placé sur moi, je me demande ? Peut-être est-il encore temps d’engager un pari. « Ici au moins nous avons quelque abri, insistait Wylde, et il y a du poisson dans les lacs.

— Trop peu de poissons et trop de pêcheurs », contesta lord Cossepois sur un ton lugubre. Il avait de bonnes raisons de parler sur ce ton : c’étaient ses hommes que ser Godry venait de faire brûler, et on en avait entendu suggérer dans cette même salle que Cossepois en personne savait certainement ce qu’ils faisaient, voire qu’il avait pris part à leurs banquets.

« Il a pas tort », bougonna Ned Woods, un des éclaireurs de Motte. Ned Sans-Nez, on l’appelait ; des engelures lui avaient pris le bout du nez deux hivers plus tôt. Woods connaissait le Bois-aux-Loups aussi bien que n’importe quel homme vivant. Les plus arrogants seigneurs du roi avaient appris à prêter l’oreille, quand il parlait. « J’ les connais, ces lacs. Zêtes mis dessus comme des asticots sur une charogne, par centaines. Zavez percé tant d’ trous dans la glace que c’est grand miracle si y en a pas eu davantage qui sont tombés au travers. Du côté de l’île, par endroits, on dirait un fromage attaqué par les souris. » Il secoua la tête. « Les lacs, c’est fini. Les avez épuisés.

— Raison de plus pour nous mettre en marche, insista Humfrey Clifton. Si notre destin veut que nous mourions, mourons l’épée à la main. »

C’était la même dispute que le soir précédent et celui d’avant. Continuons et mourons, restons ici et mourons, battons en retraite et mourons.

« Libre à vous de périr à votre guise, Humfrey, déclara Justin Massey. Pour ma part, je préférerais vivre pour connaître un autre printemps.

— Certains pourraient considérer cette attitude comme lâche, riposta lord Cossepois.

— Plutôt lâche que cannibale. »

Le visage de Cossepois se tordit avec une fureur soudaine. « Vous…

— La mort fait partie de la guerre, Justin. » Ser Richard Horpe se tenait dans l’encadrement de la porte, ses cheveux sombres trempés de neige fondante. « Ceux qui marcheront avec nous auront leur part de tout le butin que nous prendrons à Bolton et à son bâtard, et une plus grande de gloire éternelle. Ceux qui sont trop faibles pour avancer devront se débrouiller tout seuls. Mais vous avez ma parole, nous enverrons des vivres dès que nous aurons pris Winterfell.

— Vous ne prendrez pas Winterfell !

— Oh, que si ! » Le caquètement venait du haut bout de la table, où Arnolf Karstark siégeait avec son fils Arthor et trois petits-fils. Lord Arnolf se repoussa contre la table pour se lever, tel un vautour se retirant de sa proie. Une main tachetée crocha l’épaule de son fils pour s’y soutenir. « Nous le prendrons, pour le Ned et pour sa fille. Oui-da, et pour le Jeune Loup aussi, qu’on a si cruellement massacré. Moi et les miens, nous vous ouvrirons la voie, au besoin. J’en ai dit autant à Sa Bonne Grâce le roi. Marchez, je lui ai dit et, avant que la lune soit passée, nous nous baignerons tous dans le sang des Frey et des Bolton. »

Des hommes commencèrent à taper du pied, à marteler de leur poing le plateau de la table. Presque tous étaient des Nordiens, nota Asha. De l’autre côté de la fosse du feu, les seigneurs sudiers siégeaient en silence sur leurs bancs.

Justin Massey attendit que le tumulte s’apaisât. Puis il déclara : « Voilà un admirable courage, lord Karstark, mais ce n’est pas le courage qui jettera bas les murailles de Winterfell. Comment comptez-vous prendre le château, je vous prie ? À coups de boules de neige ? »

Un des petits-fils d’Arnolf lui répondit : « Nous abattrons des arbres pour en faire des béliers et enfoncer les portes.

— Et nous mourrons. »

Un autre petit-fils se fit entendre. « Nous construirons des échelles et nous escaladerons les remparts.

— Et nous mourrons. »

Arthor Karstark, fils cadet de lord Arnolf, prit la parole. « Nous dresserons des tours de siège.

— Et nous mourrons, et nous mourrons, et nous mourrons. » Ser Justin leva les yeux au ciel. « Bonté des dieux, êtes-vous tous fous, chez les Karstark ?

— Des dieux ? reprit Richard Horpe. Vous vous oubliez Justin. Nous n’avons qu’un dieu, ici. Ne parlez pas de démons en la présente compagnie. Seul le Maître de la Lumière peut nous sauver, à présent. N’en êtes-vous pas d’accord ? » Il posa la main sur la poignée de son épée, comme pour souligner ses mots, mais ses yeux ne quittèrent pas le visage de Justin Massey.

Sous ce regard, ser Justin perdit de sa superbe. « Le Maître de la Lumière, certes. Ma foi est aussi profonde que la vôtre, Richard, vous le savez.

— C’est votre courage que je mets en doute, Justin, pas votre foi. Vous avez prêché la défaite à chaque étape du trajet depuis que nous avons quitté Motte-la-Forêt. Je finis par me demander de quel côté vous êtes. »

Une rougeur monta sur le cou de Massey. « Je ne resterai pas ici pour me faire insulter. » Il arracha sa cape humide du mur avec tant de force qu’Asha l’entendit se déchirer, puis passa d’un pas furieux devant Horpe et franchit la porte. Une bouffée d’air froid traversa la salle, soulevant les cendres du foyer et avivant un instant ses flammes.

Brisé aussi vite que cela, observa Asha. Mon champion est taillé dans le saindoux. Cependant, ser Justin restait l’un des seuls à pouvoir objecter si les gens de la reine tentaient de la brûler. Aussi se remit-elle debout pour revêtir sa propre cape et le suivre dans la tempête de neige.

Elle se perdit avant d’avoir fait dix pas. Asha voyait le feu du fanal flamber au sommet de la tour de guet, une vague lueur orange flottant dans les airs. À tous autres égards, le village avait disparu. Elle était seule, dans un monde blanc de neige et de silence, à se frayer un passage dans des congères qui lui montaient jusqu’aux cuisses. « Justin ? » appela-t-elle. Pas de réponse. Quelque part sur sa gauche, elle entendit un cheval renâcler. La pauvre bête semble nerveuse. Peut-être sait-elle qu’elle fournira le repas de demain. Asha serra plus fort sa cape autour d’elle.

Elle se retrouva sur le pré communal sans s’en apercevoir. Les poteaux en pin se dressaient toujours, calcinés et charbonneux, mais pas totalement consumés. Les chaînes cerclant les morts avaient désormais refroidi, elle le constata, mais elles retenaient encore les cadavres dans leur étreinte de fer. Un corbeau s’était perché sur l’un d’eux, tiraillant les lambeaux de chair brûlée qui s’accrochaient encore au crâne noirci. Les rafales de neige avaient couvert les cendres à la base du bûcher, montant le long de la jambe du mort, jusqu’à la cheville. Les vieux dieux cherchent à l’ensevelir, pensa Asha. Ce n’est pas leur ouvrage.

« Regarde bien, petite conne, énonça derrière elle la voix grave de Clayton Suggs. Tu seras aussi jolie qu’eux une fois qu’on t’aura rôtie. Dis-moi, ça hurle, un encornet ? »

Dieu de mes pères, si vous pouvez m’entendre dans vos domaines aquatiques sous les vagues, accordez-moi juste une petite hache de jet. Le dieu Noyé ne répondit pas. Il répondait rarement. C’était le problème, avec les dieux. « Avez-vous vu ser Justin ?