Pieds nus, frissonnante, elle allait et venait, une maigre couverture drapée sur ses épaules. Il lui tardait que le jour arrivât. Ce soir, tout serait terminé. Une petite promenade, et je serai chez moi. Je serai de nouveau auprès de Tommen, dans mes propres appartements à l’intérieur de la citadelle de Maegor. Son oncle avait déclaré que c’était la seule façon de se sauver. Mais était-ce bien vrai ? Elle ne pouvait se reposer sur son oncle, pas plus qu’elle ne se fiait à ce Grand Septon. Je pourrais encore refuser. Insister de nouveau sur mon innocence et tout jouer sur un procès.
Mais elle ne pouvait permettre à la Foi de la juger, comme la Margaery Tyrell projetait de le faire. Cette tactique seyait sans doute à la petite rose, mais Cersei ne comptait guère d’amis parmi les septas et les moineaux entourant ce nouveau Grand Septon. Son seul espoir reposait sur un jugement par combat, et pour cela elle avait besoin d’un champion.
Si Jaime n’avait pas perdu sa main…
Une telle route ne conduisait nulle part, cependant. La main d’épée de Jaime avait disparu, et lui aussi, envolé on ne savait où avec cette Brienne, dans le Conflans. La reine se devait de trouver un nouveau défenseur, ou l’épreuve de ce jour serait le moindre de ses soucis. Ses ennemis l’accusaient de trahison. Elle devait contacter Tommen, à n’importe quel prix. Il m’aime. Il ne refusera rien à sa propre mère. Joffrey était têtu et imprévisible, mais Tommen est un bon petit garçon, un bon petit roi. Il fera ce qu’on lui demande. Qu’elle demeurât ici, et elle était perdue ; et la seule façon de regagner le Donjon Rouge était de marcher. Le Grand Moineau avait été inflexible, et ser Kevan refusait de lever le petit doigt contre lui.
« Il ne m’arrivera aucun mal aujourd’hui, déclara Cersei lorsque la première lueur de l’aube effleura sa fenêtre. Seul mon orgueil en souffrira. » Ces mots sonnaient creux à ses oreilles. Jaime pourrait encore arriver. Elle se le représentait, chevauchant à travers les brumes du matin, son armure dorée resplendissant aux feux du levant. Jaime, si jamais tu m’as aimée…
Quand ses geôlières vinrent la chercher, les septas Unella, Moelle et Scolera ouvraient la procession. En leur compagnie se trouvaient quatre novices et deux des sœurs du Silence. La vue de ces sœurs du Silence dans leurs bures grises remplit la reine d’une terreur soudaine. Pourquoi sont-elles ici ? Vais-je mourir ? Elles s’occupaient des morts. « Le Grand Septon avait promis qu’il ne m’adviendrait rien de mal.
— Et il en sera ainsi. » La septa Unella fit signe aux novices. Elles apportèrent du savon noir, une cuvette d’eau tiède, une paire de cisailles et un long rasoir à main. La vue de l’acier fit courir un frisson en elle. Elles ont l’intention de me raser. Une petite humiliation supplémentaire, un raisin sec dans mon gruau. Elle leur refusa la satisfaction de l’entendre implorer. Je suis Cersei de la maison Lannister, une lionne du Roc, reine de plein droit de ces Sept Couronnes, fille légitime de Tywin Lannister. Et les cheveux repoussent. « Finissez-en », leur déclara-t-elle.
L’aînée des sœurs du Silence leva les cisailles. Une barbière exercée, sans doute ; son ordre procédait souvent à la toilette des nobles tués, avant de les restituer à leur famille, tâche qui comprenait la taille de la barbe et des cheveux. La femme commença par mettre à nu le crâne de la reine. Cersei, assise, resta aussi figée qu’une statue de pierre tandis que cliquetaient les cisailles. Des volées de cheveux blonds tombèrent sur le sol. On ne l’avait pas laissée, durant sa captivité en cellule, les entretenir comme il convenait, mais même sale et emmêlée, sa chevelure brillait dès que le soleil la touchait. Ma couronne, songea la reine. Ils m’ont retiré l’autre couronne, et les voilà qui me volent également celle-ci. Quand ses mèches et ses frisures formèrent un amas autour de ses pieds, une des novices lui savonna le crâne, puis la sœur du Silence racla ce qui restait avec un rasoir.
Cersei espérait que l’on s’arrêterait là, mais non. « Retirez votre camisole, Votre Grâce, ordonna la septa Unella.
— Ici ? s’étonna la reine. Pourquoi ?
— On doit vous tondre. »
Me tondre, se répéta la reine, comme un mouton. Elle tira la camisole par-dessus sa tête et la jeta par terre. « Faites ce que vous voudrez. »
Ensuite, ce furent encore le savon, l’eau tiède et le rasoir. Le poil sous ses bras suivit, puis ses jambes et, enfin, le léger duvet doré qui couvrait son mont. Quand la sœur du Silence s’introduisit entre ses jambes avec le rasoir, Cersei se remémora toutes les fois où Jaime s’était agenouillé ainsi que la novice le faisait à présent, pour déposer des baisers à l’intérieur de ses cuisses, et la rendre humide. Il avait des baisers toujours chauds. Le rasoir avait le froid de la glace.
Quand l’acte fut accompli, elle fut aussi nue et vulnérable que femme pouvait l’être. Pas le moindre poil derrière lequel me cacher. Un petit rire échappa de ses lèvres, lugubre et amer.
« Votre Grâce trouve-t-elle tout ceci amusant ? interrogea la septa Scolera.
— Non, septa », répondit Cersei. Mais un jour, je te ferai arracher la langue avec des pinces rougies, et ce sera désopilant.
Une des novices lui avait apporté une robe, une tunique de septa, douce et blanche, afin de la draper le temps de sa descente des marches de la tour et de sa traversée du septuaire, et d’épargner aux fidèles qu’elle pourrait croiser en chemin le spectacle de la chair nue. Que les Sept nous protègent, quels hypocrites ! « Serai-je autorisée à porter une paire de sandales ? demanda-t-elle. Ces rues sont répugnantes.
— Point autant que vos péchés, répliqua la septa Moelle. Sa Sainteté Suprême a ordonné que vous vous présentiez telle que les dieux vous ont faite. Aviez-vous des sandales aux pieds quand vous êtes sortie du ventre de la dame votre mère ?
— Non, septa, fut obligée de dire la reine.
— Alors, vous avez votre réponse. »
Un glas commença à sonner. Le long emprisonnement de la reine était arrivé à son terme. Cersei serra la tunique plus près d’elle, reconnaissante de la chaleur qu’elle dispensait, et annonça : « Allons. » Son fils l’attendait à l’autre bout de la ville. Plus tôt elle se mettrait en route, plus tôt elle le verrait.
La pierre rugueuse des marches râpa la plante de ses pieds tandis que Cersei Lannister effectuait sa descente. Elle était entrée reine dans le septuaire de Baelor, portée dans une litière. Elle en sortait chauve, pieds nus. Mais j’en sors. C’est tout ce qui importe.
Le chant des cloches de la tour appelait la cité à venir témoigner de sa vergogne. Le Grand Septuaire de Baelor grouillait de fidèles assistant au service de l’aube, l’écho de leurs prières résonnant contre le dôme au-dessus d’eux, mais quand la procession de la reine fit son apparition, un silence soudain s’abattit et mille yeux se tournèrent pour la suivre tandis qu’elle descendait l’allée, croisant l’endroit où avait été exposé le corps de son père après son assassinat. Cersei passa avec hauteur, sans un coup d’œil à droite ni à gauche. Ses pieds nus claquaient sur le sol de marbre froid. Elle sentait les regards. Derrière leurs autels, les Sept semblaient observer, eux aussi.
Dans la Salle des Lampes, une douzaine de Fils du Guerrier attendaient son arrivée. Des capes aux couleurs de l’arc-en-ciel drapaient leur dos, et les cristaux qui surmontaient leurs casques scintillaient à la clarté des lampes. Leurs armures en plates d’argent étaient polies jusqu’à avoir l’éclat d’un miroir, mais par-dessous, elle le savait, chacun d’eux portait une haire. Leurs boucliers en amande arboraient tous les mêmes armoiries : une épée de cristal brillant dans les ténèbres, l’emblème ancien de ceux que le petit peuple appelait les Épées.